La France a fait en vain le trottoir à Varsovie, retour sur l’affaire des Mistrals
par Laurent Courtois
mercredi 14 mars 2018
Une France prête à tout pour des contrats militaires hypothétiques avec la Pologne. Une décision inconstitutionnelle et impopulaire prise sans consulter le parlement. Plus de 500 millions d'euros de déficit équilibrés par le racket des automobilistes via des amendes à gogo. Voici le triste bilan de l'affaire des Mistrals.
Suite au rattachement de la Crimée à la Russie, François Hollande a pris d'une manière partiale la décision d'annuler la livraison des Mistrals vendus à la Russie par son prédécesseur. Écrasée par la raison d'état, la presse française se fit bien discrète sur les tenants et aboutissants de cette affaire scabreuse. S'il y a bien une chose à laquelle les mensonges ne résistent pas, c'est à l'épreuve du temps. Qu'en est-il pour le « Mistral gate » ?
Une annulation impopulaire prise de manière inconstitutionnelle :
Interrogé par l'IFOP pour la Tribune, une très grande majorité des français (64%), se déclarait favorable à la livraison des Mistrals. C'est donc un euphémisme de dire que la mesure était impopulaire au sein de la population. Dans ce même sondage 81 % des français estimaient « que la Russie est un grand pays avec lequel la France doit entretenir de bonnes relations ». Si tel était la volonté des français, comment expliquer la politique godillot pro-US que mènent les gouvernements successifs depuis 6 ans ? La France serait-elle devenue une dictature cachée derrière le masque de la démocratie participative ?
Qu'en était-il pour les parlementaires français ? La réponse est donnée par la manière d'agir qui fut utilisée par le gouvernement. La décision fut prise dès avril 2015, mais le gouvernement français attendit la trêve parlementaire estivale pour acter l'annulation de la vente et mettre ainsi les citoyens et les parlementaires devant le fait accompli. Ainsi point de débat possible, point de controverse, plus de risque de voir la vérité s'étaler au grand jour.
Cette décision bien qu'inconstitutionnelle car violant l'article 53 de la constitution, fut « votée » à la rentrée parlementaire suivante. Devant voter l'autorisation d'un remboursement effectué depuis presque deux mois, quasiment aucun député ne se déplaça. L'annulation de la vente des Mistrals fut approuvée par l'Assemblée Nationale par seulement 13 des 577 députés français (96 % des députés étaient absents lors du vote). Au sénat, elle fut votée à main levée, dans le pur style des républiques bananières.
Il existe dans l'histoire de France un précèdent célèbre de violation de la constitution à des fins bassement économiques : la vente de la Louisiane (22% de la surface actuelle de l'Union) aux USA par Napoléon 1er. Le tiers du montant de la vente fut rétrocédé aux USA, le jour même, faisant fi du traité de Mortefontaine. Là encore, la constitution française fut bafouée au profit de Washington. Comme disait Thucydide, l'histoire est un éternel recommencement. Par le passé, brader ses intérêts aux USA et partir en guerre contre la Russie, coûta à la France un Empire ; et dans le futur ?
Des pertes financières compensées selon la Cours des Comptes par le racket policier au bord des routes :
Selon la Cours des Comptes (CC), la somme qui servit à rembourser la Russie (950 M€) fut prélevée d'une manière illégale "à partir de la mission Défense", c'est-à-dire sur le budget des armées. Un autre rapport de la CC précise que ce fut le « budget équipement » (programme 146 de la LOFL) de la défense qui fut ponctionné, mais « La trésorerie du programme 146 étant insuffisante, une levée partielle de réserve a été effectuée le 4 août 2015 (tampon n°18) ».
Heureusement pour les pauvres piou-piou français, trois jours plus tard la DCNS (constructeur des Mistrals) a remboursé à l’État les sommes perçues par la Russie soit 892,9 M€. Quid des 57 millions restant...
La non-vente des Mistrals a entraîné par rapport à la Loi de Finance Initiale (LFI) 2015, une perte de 500 millions de recettes non-fiscales, liée au non versement de la COFACE, à laquelle s'ajoute le remboursement de la formation des marins russes soit 57 M€. L'impact sur le Budget de 2015, fut une aggravation nette du déficit de 557 M€., mais, toujours selon la CC rien de grave ! Puisque cette perte fut compensée au budget par la hausse du montant des amendes routières de 1,7 milliards d'euros. Autant dire que pour rembourser les Mistrals, les français furent rackettés le long des routes.
Pauvres français qui n'avaient rien demandé et qui payèrent de leurs poches les pots cassés...
Une France humiliée, trahie par son « allier » polonais :
Selon le Sénateur Robert del Picchia (LR), La Pologne avait en effet menacé d'interrompre les négociations, qui portaient sur cinquante hélicoptères Caracal pour un montant de 2,5 milliards d'euros, si nous livrions les bateaux. Varsovie pour marquer sa reconnaissance face au sacrifice français rompit les négociations portant sur la vente desdits hélicoptères en octobre 2016. Pour décrire les négociations nous laisserons la parole à Tom Enders patron d'Airbus "Nous n'avons jamais été traités comme ça par un gouvernement client comme nous l'avons été par ce gouvernement" . Le Ministre controversé de la Défense Polonais de l'époque et ancien salarié de Boeing aux États-Unis Antoni Macierewicz, a révélé qu'il avait "tué les Caracal". La France a donc sacrifié le marché russe pour préserver le marché Polonais, qui était déjà perdu à l'époque.... Il est bon de souligner que cet argument de ventes d'armes à la Pologne a été un des principaux argument utilisé par le Collectif « NoMistralforPutin » de Bernard Grua.
Ce collectif évoquait aussi la vente à la Pologne de 3 sous-marins de type Scorpène, de 6 corvettes Godwin (4 ont été vendues depuis à l’Égypte). Concernant les sous-marins fin 2017, l'affaire s'annonçait au plus mal, l'Allemagne étant bien placée avec ses U212. La réponse définitive devait arriver début 2018. Pour les corvettes Godwin, là aussi, plus de nouvelle de la vente...La démission d'Antoni Macierewicz, le 9 janvier dernier va-t-elle changer la donne ?
Quoi qu'il en soit, 3 ans plus tard, la France n'a pas encore vu un euro des 8 milliards promis par la Pologne en contre-partie commerciale à la non-vente des Mistrals. Durant ces trois années Varsovie fut un client assidu de l'industrie militaire américaine. Achat d'hélicoptères Blacks Hawks au lieu des Caracals français, de drones Blackjack et Orbiter US à la place des Watchkeepers hexagonaux, missiles Patriotes, Boeing 737 et un jet d'affaire Gulfstream G550, pour le transport militaire etc... Autant dire que la France a été le Dindon de cette farce Picrocholesque. Un esprit chagrin irait même jusqu'à dire qu'en 2015, la France a fait en vain le trottoir à Varsovie...
Extrait du rapport "Missions Engagement financiers de l'Etat" de la Cours des Comptes
Coût réel des mistrals pour la France :
On arrive sur la partie la plus épineuse de l'affaire. Les chiffres sont insondables et ce d'autant plus que depuis le début de l'affaire le gouvernement français, s'est conduit comme la plus pure des républiques bananières.
La vente des deux navires à l’Égypte a rapporté 950 M€, ce qui équilibre l'argent avancé par l'Armée Française. Mais quel est le prix réel des Mistrals ?
Pour terminer la construction des Mistrals la DCNS a du réinjecter 140 millions d'euros. Le prix réel de revient des deux BPC est donc de 1032,9 M€. Ce point a été négligé par les partisans de la non livraison Jean-Pierre Aulny, Directeur-Adjoint de l'IRIS en tête (1 et 2).
En rajoutant à cette somme le prix de la formation des marins russes, on arrive à une marge de 120 M€ (soit 10% du contrat total, valeur plus qu'admissible), à faire passer en pertes et profits.
On arrive donc à un minimum de 310 M€, auxquels il faut ajouter le prix de la formation des équipages égyptiens, évaluée à une dizaine de millions d'euros, soit 5 fois moins que celle des équipages russes. Je laisse chacun, s'interroger sur cet écart...
Le premier BPC devrait être livré en Novembre 2014 à la Russie, il l'a été en Juin 2016, soit avec 20 mois de retard ce qui a entraîné un surcoût de 20 M€ de « gardiennage » et de maintien opérationnel. Pour le second, ces frais s’élèvent à 12 M€, soit un total de 32 M€.
La DCNS a rendu à la Russie pour 23 M€ de matériel dont le démontage a coûté une dizaine de millions d'euros, à cela il faut ajouter le prix du matériel de remplacement.
On arrive donc à un minimum de 385 M€ de pertes pour les deux premiers bateaux à laquelle, il faut rajouter la perte des bénéfices des deux bateaux supplémentaires qui auraient dû être construits, soit 300 M€. On arrive alors à une estimation proche de 685 millions d'euros.
La résiliation de la vente des Mistrals apparaît donc, comme un des plus grands scandales de la 5éme République, dont les conséquences économiques réelles restent encore à chiffrer. Gageons que dans les décennies à venir, les historiens ne cesseront pas de nous étonner en révélant la vérité.