La France et le sionisme en 1945

par Céphale
mardi 15 juillet 2008

Un article paru dans Haaretz le 27 juin 2008 fait des révélations intéressantes sur la collaboration de la France avec les institutions sionistes dans la lutte qu’elles menaient contre la Grande-Bretagne et les pays arabes.

L’auteur de l’article, Meir Zamir, professeur à l’université Ben-Gourion, s’appuie sur des documents émanant de la France, de la Grande-Bretagne et de la Syrie, disponibles dans les archives françaises, pour montrer le rôle actif du gouvernement français dans la préparation d’un Etat juif en Palestine. Dès la fin de 1944, les services de renseignement français avaient infiltré le ministère des Affaires étrangères syrien et placé un agent secret au sein de la légation britannique à Beyrouth. Ils avaient ainsi accès à de nombreuses informations données par les services de renseignement britanniques aux dirigeants arabes.

Les relations que la France entretenait avec les organisations sionistes apparaissent pour la première fois dans une lettre envoyée au général de Gaulle en juin 1945 par le général Paul Beynet, chef de la mission française en Syrie et au Liban. Il écrivait notamment :

Dans la crise récente, toute l’opinion publique du Moyen-Orient est contre nous, à l’exception des Juifs de Palestine. La dangereuse situation de la France au Levant provoque chez eux un consensus qu’ils considèrent eux-mêmes comme exceptionnel. Le parallélisme entre une patrie juive en Palestine et une patrie chrétienne au Liban, qui a toujours été mis en avant par l’Agence juive, est devenu leur leitmotiv. Mes collaborateurs sont approchés par différentes parties qui leur proposent leurs services.

Il apparaît qu’une collaboration ne pourra que servir nos intérêts, du moins à court terme. Il suffira de renouveler des assurances verbales, sans nécessairement donner notre appui au mouvement sioniste, mais en évitant d’adopter une attitude hostile, spécialement au sujet de l’immigration en Palestine. Les injustices et les souffrances des Juifs français sous l’occupation allemande nous permettraient difficilement d’adopter une autre attitude. De plus, nous profiterions de manière générale de l’excellent réseau d’information et de propagande de l’Agence juive, des groupes de presse juifs et des groupes parlementaires pro-sionistes.



Le général Beynet, qui avait rencontré Ben-Gourion le 15 octobre 1944 à Beyrouth, était conscient de l’influence des organisations juives. Grâce à des documents britanniques interceptés par un agent secret, il savait que la Grande-Bretagne voulait unifier la Syrie, la Transjordanie, le Liban et la Palestine en un seul Etat, ce qui aurait empêché la création d’un Etat juif indépendant. Il savait aussi que les Britanniques cherchaient à accentuer les craintes des Arabes, en insistant constamment sur l’idée que seule une coopération avec la Grande-Bretagne pouvait les protéger d’une invasion juive.

Les rapports envoyés à Paris en 1945 par le général Beynet prévoyaient que si les Britanniques réussissaient à chasser les Français de la Syrie et du Liban, leur prochaine étape serait de forcer le mouvement sioniste à accepter une solution en faveur des intérêts britanniques dans le monde arabe. Pour déjouer ce plan, son représentant à Jérusalem contacta les représentants de l’Agence juive à Beyrouth, ce qui permit à Ben-Gourion d’aller à Paris pour y rencontrer de hauts fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères.

Les deux partenaires cherchèrent d’abord à joindre leurs forces sur le front des relations publiques aux Etats-Unis. En juillet 1945, faisant suite à la lettre du général Beynet à de Gaulle, un officier de renseignement de la Haganah, Tuvia Arazi, vint à Paris. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Arazi était resté en contact étroit avec des officiers de renseignement français au Moyen-Orient. Il pensait que Ben-Gourion pourrait rencontrer de Gaulle ou à la rigueur Georges Bidault, ministre des Affaires étrangères. De Gaulle chargea celui-ci de la responsabilité de nouer des contacts avec les leaders sionistes.

L’influence prédominante de l’Agence juive dans les négociations apparut pour la première fois lorsque de Gaulle fut invité aux Etats-Unis en août 1945. Arazi avait rencontré ses collaborateurs peu de temps auparavant pour organiser la visite, et les organisations juives lui avaient réservé un accueil chaleureux à New York et à Chicago. Des témoignages indirects font penser que de Gaulle informa le président Truman sur les agissements de la Grande-Bretagne au Moyen-Orient. La déclaration de Truman à la fin du même mois d’août, par laquelle il encourageait l’émigration de 100 000 Juifs des camps de réfugiés européens vers la Palestine, n’était pas une coïncidence.

Une nouvelle phase du renforcement des relations entre le gouvernement provisoire du général de Gaulle et l’Agence juive débuta en septembre, après que la France eut appris, grâce à des documents britanniques et syriens envoyés par ses agents secrets, que le nouveau gouvernement britannique, dirigé par Clement Attlee, entendait poursuivre la politique de ses prédécesseurs, comportant l’éradication du reste d’influence de la France en Syrie et au Liban. De leur côté, les leaders de l’Agence juive avaient appris que le gouvernement britannique voulait toujours s’opposer à l’immigration des Juifs en Palestine.

Lors d’une visite à Paris en octobre 1945, Ben-Gourion annonça la création du mouvement juif de résistance, qui réunissait toutes les milices juives dans la lutte contre les Britanniques. Cette déclaration, qui allait de pair avec l’implication croissante des Etats-Unis dans les efforts pour trouver une solution au problème juif en Palestine, augmenta le prestige du mouvement sioniste aux yeux des Français. Ben-Gourion attachait une grande importance aux relations avec la France et les surveillait personnellement. À la mi-novembre, il rencontra une nouvelle fois Georges Bidault, et installa son quartier général à Paris.

C’est ainsi que la fondation de l’Etat d’Israël en 1948 apparaît comme une conséquence de la lutte sourde à laquelle la France et la Grande-Bretagne se livraient à la fin de la Seconde Guerre mondiale pour la défense de leurs intérêts au Moyen-Orient.


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