La guerre d’Afghanistan peut-elle encore ne pas être perdue ?

par Frédéric MALMARTEL
lundi 1er septembre 2008

En 2001, à la suite des attentats du 11-Septembre, les Etats-Unis et leurs alliés prennent le contrôle de l’Afghanistan.

Au bout de quelques semaines, assis tranquillement devant nos téléviseurs, nous sommes persuadés que la guerre est gagnée. "Pari perdu pour Oussama Ben Laden" entend-on dans l’immédiat et dans les médias. "Il comptait enliser les Américains ; en trois semaines, ils ont gagné la guerre" et Les Guignols de l’info de se gausser des Russes qui, en dix ans de 1979 à 1989,  n’ont pas su faire ce que les Américains ont réussi en même pas un mois.

Sept ans après, en fin 2008, nous découvrons effarés que, non seulement la guerre n’est pas gagnée, mais qu’elle risque bien... d’être perdue.

Que s’est-il passé ? Quelles erreurs ont été commises ? Etaient-elles évitables ? A-t-on seulement compris les leçons du passé et des échecs britannique puis soviétique ?

A quel type de guerre a-t-on affaire ?

- Pour la clarté du discours, lorsque je dis "guerre perdue" ou "guerre gagnée", je me place du point de vue du pouvoir luttant contre la guérilla.

Sans front connu, sans gouvernement adversaire clairement identifié, la guerre menée par les Occidentaux en Afghanistan est une guerre de guérilla. Ce type de guerre peut être gagné ou perdu.
On a bien en tête les guerres perdues (vu du pouvoir central anti-guérilla) : la guerre soviétique d’Afghanistan (79-89), la guerre américaine du Vietnam (59-73), etc.
On a moins en tête les guerres gagnées contre la guérilla, comme la "Guerre Sale" qui opposa, dans les années 70, le gouvernement argentin aux forces "progressistes" ou l’insurrection communiste malaise de 1948 à 1960 ou, plus près de nous, la seconde guerre de Tchétchénie.

Comment peut-on gagner ce type de guerre ?


Car il est possible de gagner ce type de guerre. Les exemples ci-dessus nous disent à quelles conditions nous pouvons l’espérer.

Dans les guerres perdues :

- l’adversaire n’avait pas un appui massif de la population locale ;

- le terrain : montagne, jungle, etc., se prêtait à la guérilla ;

- l’adversaire disposait d’un appui de l’étranger passant directement par une frontière peu ou mal contrôlée par les forces anti-guérilla.

Pour la gagner, il eût été indispensable d’enrayer ces facteurs de défaites :


A quelles conditions peut-on espérer la victoire ?

Il est nécessaire d’avoir, au moins partiellement, l’appui de la population locale.
En Afghanistan, ça veut dire limiter au maximum les bavures, cela signifie prendre du temps pour connaître les populations locales, savoir qui nous aidera, accompagner le développement du pays, autant de facteurs qui interdisent de toute façon la victoire rapide dont nous rêvions en 2001 !

Pour ce qui du terrain, à moins d’attendre quelques dizaines de millions d’années, on ne peut rien changer !

Pouvons-nous faire en sorte qu’aucun pays avoisinant n’aide la guérilla ?

La liste de ces pays voisins rend l’équation très difficile :

L’Iran,
Le Pakistan,
Le Turkménistan,
L’Ouzbékistan,
le Tadjikistan,
et... la Chine !

Le comportement de chacun de ces voisins doit être appréhendé dans son contexte.

Ces pays sont tout, sauf des alliés sûrs de l’Occident ! Cela signifie que contrôler l’Afghanistan demande un immense travail politique et diplomatique, sur un terrain difficile en aval pour obtenir au moins leur neutralité, chacun de ces Etats pouvant être tentés d’intervenir pour mille raisons comme protéger telle ou telle ethnie.
Et pour une intervention réussie en Afghanistan, l’appui du Turkménistan qui a des centaines de kilomètres de frontières communes est plus important que celui de l’Allemagne fédérale ou du Royaume-Uni !

Arrêtons-nous sur le cas du Pakistan, le plus important voisin, en termes de longueur de frontières.

Le Pakistan, comme les autres pays a, dans la région, ses propres problèmes et sa propre logique qui ne sont pas les nôtres. Le problème n° 1 du Pakistan c’est l’Inde ! Menacé d’être pris en sandwich entre l’Inde et l’Afghanistan, le Pakistan est tenté d’aider les talibans, même si le pouvoir en place jure que non. Ils sont via les "zones tribales", que nous le voulions ou non, un pont durable entre le Pakistan et l’Afghanistan. Nul ne sait si dans dix ans les Occidentaux seront toujours là.

Pour que le Pakistan ne craigne pas ce qui se passe sur la frontière afghane, le mieux serait qu’il perde sa peur de l’encerclement. Et pour ce faire... faire avancer la paix avec l’Inde.

La paix entre l’Inde et le Pakistan ou du moins une forte baisse de la tension entre les deux pays est un facteur-clé de réussite dans la guerre contre les talibans !

Quels paramètres peuvent encore bouger ?


Je doute qu’après toutes ces années le comportement de la population locale vis-à-vis des Occidentaux puisse changer en profondeur ! Si vraiment, comme le dit Le Canard enchaîné, c’est l’interprète qui a trahi nos soldats, cela montre que la population locale, au moins pour une fraction non négligeable d’entre elle - les interprètes ne devaient pas être recrutés au hasard -, nous est résolument hostile.

Nous n’effacerons pas les montagnes.

Reste l’attitude des pays étrangers et du plus important de la région : le Pakistan. Loin des considérations politiques, la démographie pakistanaise montre un Etat qui n’a pas, contrairement à l’Iran ou à la Tunisie, entamé sa transition vers la modernité. Sa démographie explosive en fait un pays qui ne changera pas ses habitudes et donc modifiera la donne à son niveau, en espérant par exemple qu’il reprenne le contrôle des "zones tribales" relève là encore d’un exercice plus que périlleux, reste la possibilité d’un "coup" spectaculaire comme une réconciliation soudaine au plus haut niveau, avec l’Inde ! Il n’est pas interdit d’espérer.

Pour quel avenir ?

On n’efface pas, d’un coup de clavier, sept années sinon d’échecs du moins de non-réussite. Sauf ce "coup" inattendu et quand même très improbable que serait une réconciliation soudaine entre l’Inde et le Pakistan, nous ne gagnerons jamais la guerre de la manière espérée en 2001. Nous n’établirons jamais en Afghanistan un "gentil" Etat aussi démocratique que la Suède avec des "gentils" sociaux-démocrates et des "gentils" conservateurs qui se succéderont "gentiment" après chaque élection.

D’autres pistes doivent être explorées, avec les Etats voisins, pour faire, sans prétention aucune, de l’Afghanistan un pays apaisé, tout simplement qui ne soit pas la base ("Al-Qaïda" en arabe !) d’où sont lancées les attaques terroristes contre nous.

Mais ne rêvons pas. L’Afghanistan ne copiera pas, du moins pas dans un avenir visible, notre modèle démocratique comme l’ont fait la Corée du Sud, le Japon ou Taiwan !

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