La guerre des Paul
par Hoza
mercredi 18 avril 2007
Paul Kagame et Paul Rusesabagina se livrent depuis quelque temps une guerre des mots qui ne les honore pas. Pourquoi cette confrontation absurde entre deux hommes qui ont tant fait pour les Rwandais ?
Les uns diront que la tâche de Kagame a été facilitée par le discrédit du gouvernement génocidaire. C’est vrai en partie mais, franchement, Kagame n’est pas sympathique ! Il inspire la méfiance par son physique même ! Son visage est souvent impassible et il ne sait pas emporter les foules par des discours électriques. Il est même maladroit et très peu diplomatique quand il s’adresse à ses rivaux, ennemis et autres bailleurs de fonds arrogants. Donc côté PR (ou image), c’était très mal parti pour le Rwanda, Kagame et ses officiers à l’air trop guérilleros. Et pourtant, ça a marché tant bien que mal. Le veinard a même osé se lancer dans une autre guerre plus périlleuse. Celle qui était la plus risquée pour sa carrière, son pays et la région des Grands Lacs : la guerre contre le dinosaure Mobutu. Personne ne pensait que le petit Rwanda, avec ses alliés, oserait s’attaquer au grand voisin zaïrois... Kagame l’a fait et son entreprise s’est révélée heureuse. Cette guerre et sa deuxième version lui ont valu plus de respect mais aussi plus d’ennemis ! Mais voilà que l’homme respecté et donné en exemple par plusieurs puissants de ce monde s’est laissé entraîné dans une autre guerre, mais cette fois-ci inutile contre un autre Paul. Un Paul dont il n’aurait jamais dû entendre parler. Paul Rusesabagina. Un ancien gérant d’hôtel à Kigali.
Tout est parti d’un film. Donc d’une œuvre artistique qui était censée honorer le courage d’un homme (Rusesabagina) et la mémoire de victimes du génocide rwandais. Le film l’a bien fait. Partout au monde, plusieurs personnes qui ne savaient même pas où se trouve le Rwanda sur la carte du monde ont su et compris qu’un génocide avait eu lieu et avait emporté de centaines de milliers d’innocents. Ironie du sort, le film qui a tant fait connaître la tragédie rwandaise est devenue la cause d’une autre guerre : la guerre des Paul. Exit : la guerre des mots livrés par des journalistes rwandais et internationaux dont le professionnalisme et l’objectivité est absolument à douter Enter : la guerre des héros. La guerre des Paul !
Ces deux hommes qui se sont illustrés dans la courte nouvelle histoire du Rwanda sont devenus des ennemis. Kagame s’est lancé dans une campagne des discours ponctuée par des mots très amers sur Rusesabagina et ne sait plus comment en sortir. Discours après discours il attaque son célèbre adversaire. De son côté Rusesabagina a eu la tête enflée par le succès du film et se livre dans la presse internationale à des déclarations très douteuses sur Kagame et le régime de Kigali. A chacune de ses interventions il décoche des flèches empoisonnées contre le régime de Kigali. Il ne connaissait probablement pas la force de Hollywood et il ne s’est pas préparé aux honneurs que le monde allait lui donner. Sa vue s’est peut-être brouillée par les nombreuses opportunités que le film lui a offertes. Lui qui vivait tranquillement en Belgique s’est déjà même retrouvé dans un salon de la Maison-Blanche avec l’actuel maître du monde libre (selon ses pairs bien sûr), George Bush. Des lors, les invitations ont plu ! Les plus prestigieuses universités d’Amérique du Nord, les chaînes de télévisions les plus regardées au monde, les radios les plus écoutées et les plus respectées du monde se disputèrent la présence de l’homme. Qui aurait pu rêver mieux ?
Et pourtant ces deux hommes méritent respect et considération. Quoi qu’en disent les mauvaises langues, ils se sont trouvés dans des situations où des personnes comme vous et moi auraient probablement pris les pires décisions impliquant la mort de plusieurs personnes !
Paul Rusesabagina, ex-gérant d’un hôtel à Kigali a sauvé près de 1 500 hommes à l’hôtel des Mille Collines. Les moyens qu’il a employés pour les sauver importent peu, le courage, la détermination, le péril... tous les ingrédients sont la pour que l’homme soit mis dans la catégorie des héros populaires. Il a réalisé quelque chose de remarquable dans une situation incroyablement compliquée et dangereuse. Qu’il ait été mis sous les feux des projecteurs n’enlève rien à l’importance ou à la grandeur d’autres hommes et femmes qui ont sauvé des personnes pendant le génocide. Hollywood c’est Hollywood. Son histoire était peut-être la plus sexy ou la plus vendable ! Qu’on ne soit pas jaloux de son succès au point de vouloir comparer sa bravoure à celle d’autres personnes. Un acte qui permet de sauver une vie ne peut se comparer à un autre car chaque vie est unique et chaque vie qui se perd l’est pour toujours. Tout le monde devrait lever son chapeau et donner ses respects à tous ceux qui au péril de leur vie ont sauvé des Tutsis ou Hutus ciblés par les génocidaires, sans distinction guidée par la mauvaise foi. Rusesabagina fait absolument partie de ces hommes. Malgré ses défauts, faiblesses et étourderies, cet homme reste un héros. Qu’on le veuille ou pas.
Paul Kagame, lui, a arrêté le génocide rwandais. Seuls les Etats-Unis et l’Ouganda avaient décelé le potentiel de l’homme pour gagner une guérilla compliquée. L’homme a le courage, la détermination et c’est un stratège né. Il a la carrure d’un héros populaire aussi. Les maîtres de ce monde reconnaîtront son régime malgré la contestation de plusieurs individus et organisations de défense de droits de l’homme. Qu’il ait utilisé des moyens dits contestables par la communauté internationale (entendez par là les puissants donateurs/juges distributeurs des bons et des mauvais points) dans la lutte contre un régime génocidaire, il a au moins le mérite d’avoir arrêté cette tragédie sur laquelle l’opinion publique internationale - dont vous faites possiblement partie - avait détourné les yeux au profit des premières élections libres en Afrique du Sud, de la Coupe du monde de Football aux Etats-Unis, du suicide du célèbre rocker Kurt Cobain de Nirvana, etc.. Il gardera la tête froide malgré sa victoire. Il ne versera pas dans le culte de la personnalité et par une incroyable efficacité militaire il sécurisera le pays en un temps record. En imposant une discipline de fer dans ses propres rangs il a évité la vengeance systématique qui était presque inévitable après un tel conflit dans un contexte social comme celui du Rwanda. Plusieurs jeunes survivants s’étaient en effet faits enrôler dans les rangs du FPR dans le seul but d’avoir accès à une arme et se venger. Se venger sur les tueurs ou les familles de tueurs. Sans nul doute, des familles ont été massacrés dans ces conditions mais respectons quand même l’homme qui, après avoir arrêté le génocide a évité, par des actes impopulaires dans son camp, des débordements qui auraient pu conduire à plus de larmes, plus de souffrances et plus de haine.
Kagame a l’un des pires défauts pour un politicien. Il sait ignorer royalement l’opinion de ses sujets pour prendre des décisions extrêmement impopulaires. Cela n’est pas démocratique et la « communauté internationale » ne cessera jamais de lui donner les « points » qu’elle lui donne mais l’Histoire, elle, a déjà commencé à le juger. Ses résultats largement positifs sont plus qu’honorables. Controverses et polémiques n’y changeront rien, Kagame est un héros pour une très grande partie de la population rwandaise qui comprend mieux que quiconque son courage... malgré ses défauts, ses faiblesses et ses maladresses.