La guerre en Syrie, ça ne finira jamais… ou alors il faut revenir à Monroe
par Bernard Dugué
jeudi 4 octobre 2012
Le conflit interne en Syrie a débuté il y a un an et demi avec quelques insurrections populaires qui, salement matées par la police du régime, on engendré une spirale de plus en plus militaire aboutissant à une guerre civile que les diplomates internationaux ont mis du temps à nommer ainsi. C’est une sale guerre mais y a-t-il des guerres propres ? Oui, si on admet qu’une telle guerre n’implique que des individus mandatés par les Etats et disposés sur un terrain où le conflit se déroule comme un jeu consistant à tuer l’adversaire afin de satisfaire le règlement de conflits nationaux sur lesquels le droit est inopérant. C’était ce qu’on peut appeler, en risquant un doux euphémisme, le bon vieux temps. Lorsque l’armée française très bien entraînée vint à bout des troupes prussiennes à Valmy alors que Napoléon récidiva à Austerlitz puis Iéna sous les yeux ébahis d’un Hegel qui vit l’esprit du monde sur un cheval alors que son prédécesseur germanique et lettré Goethe admit qu’une nouvelle époque était arrivée après Valmy. La guerre à cette époque, c’était un peu la ligue des champions jouée sur un espace bien plus étendu qu’un terrain de foot, avec non pas 22 joueurs mais des milliers de soldats qui ne courraient pas derrière un ballon mais maniaient les fusils et les canons. Jusqu’en 1918, la guerre s’est déroulée sur des fronts avec des soldats. Il n’y avait pas beaucoup de victimes civiles et Proust pouvait tranquillement écrire la décadence de l’aristocratie française pendant que les poilus se faisaient massacrer dans les tranchées.
Ensuite, la guerre a changé de physionomie et comme l’on constaté avec acuité un Carl Schmitt ou un Toynbee, l’aviation a complètement changé la donne si bien que les civils se sont trouvés impliqués dans les combats au titre de victimes collatérales. On a vu les résultats à Dresde ou Hiroshima et moi-même, je n’ai jamais connu une tante italienne professeure de philosophie à Pérouse et décimée sous un bombardement allié dans la petite commune d’Umbertide. Cette occupation de l’espace aérien a suscité une véritable terreur auprès des populations qui ne se savaient plus en sécurité. Maintenant il existe des zones du monde où la terreur est permanente avec les drones américains. On comprend aisément que les Etats-Unis ne se font pas que des amis. La terreur est aussi sur le terrain et dans les villes, ce qui a engendré une seconde transformation dans la physionomie de la guerre puisque les populations sont passées du statut de victimes collatérales à celui de cible. Ce qu’on a appelé terrorisme n’était qu’une manière de faire la guerre à un Etat lorsque les moyens militaires faisaient défaut. Et du coup, les Etats se sont mis eux aussi à utiliser le terrorisme, notamment à des fins de politique intérieure.
Les diplomates et autres membres de l’intelligentsia ne mesurent pas vraiment le changement psychologique consécutif à ces tournants dans la guerre actuelle qui se mène, notamment en Syrie avec un conflit qui n’est pas prêt de se terminer. Le problème, c’est que l’on est plus dans l’ancien temps où les conflits finissaient par se terminer après des armistices et autres capitulations. Les soldats retournaient dans leur caserne. Même pas 20 ans après la fin de la terrible guerre, Allemagne et France étaient réconciliées. Le problème avec un conflit comme en Syrie, ou même en Palestine, c’est que les populations finissent par nourrir des haines tenaces faisant que les désirs de vengeance et les ressentiments ne s’estompent pas. En Syrie, on ne voit pas ce qui peut faire cesser le combat par une décision négociée des parties. L’engrenage est terrible. Les factions étant ce qu’elles sont, les combattants ne sont pas prêts de s’éteindre car il s’en trouvera toujours pour prendre les armes, avec les générations montantes et les activistes d’improbables djihads. Et surtout des bailleurs de fonds prêts à fournir quelques pétrodollars pour armer les milices et autres snippers décidés à pousser Bachar-Al-Assad vers la sortie.
Il existe peut-être une fenêtre de sortie pour ce conflit. Tout dépend de ce que fera la Russie qui pourrait être associée au règlement de ces opérations, y compris par la force ou du moins en appui logistique qui peut prendre la forme d’une non intervention et d’une cessation dans la livraisons des armes au régime de Damas. Et d’un autre côté un appui de quelques pays arabes. Et pour ce qui est de l’Occident, aucune opération si ce n’est une bienveillante surveillance des événements. Avec un retrait des Etats-Unis dans ce conflit, ce qui aurait une valeur symbolique. En vérité, il faudrait presque un retour à la case départ, vers 1820, aux tous débuts de l’époque désignée comme contemporaine par les historiens. En 1823 les Etats-Unis, sous la gouvernance du président Monroe, décrétèrent trois dispositions majeures dont notamment la non-intervention des Américains dans les conflits situés dans la zone européenne. En 1850, ces dispositions furent désignées comme « doctrine Monroe ». Mais elles furent remises en cause après la politique de Wilson pendant la première guerre mondiale et les événements qui suivirent. Alors que la seconde installa pour une durée illimitée la puissance étasunienne comme habilitée à surveiller le monde et y installer des bases là où les pays voulaient bien se prêter à cet exercice censé officiellement établir une paix sur des bases autant juridiques que militaires. Si on convient que la doctrine Monroe est encore respectée, il fait reconnaître qu’elle a été complètement dénaturée. Et ce depuis les aménagements de Theodore Roosevelt qui dans les années 1900 élabora un corollaire de la doctrine Monroe en mettant en filigrane la défense des intérêts américains où qu’ils se situent.
Le 20ème siècle n’a pas connu la paix. Si la guerre fut froide avec l’Union soviétique, on ne peut pas en dire autant pour le Viêt-Nam puis l’Afghanistan occupé par l’URSS. Ensuite, la chute de l’empire soviétique a vu une autre guerre se dérouler, contre l’Irak avec Bush père puis à nouveau l’Afghanistan, l’Irak, la Libye et toutes les zones surveillées par les drones au motif que des activistes islamistes seraient en opération ou en formation. Une telle situation ne peut pas s’achever. Elle résulte de la doctrine Bush fils. Un avenir géopolitique du monde devrait commencer par un retrait progressif de l’influence américaine et occidentale en suivant comme inspiration la doctrine Monroe. Cette option paraît bien incertaine mais pourtant elle est envisageable avec le rééquilibrage des puissances régionales, notamment au Moyen-Orient. Si le monde prenait cette voie, il pourrait devenir plus apaisé. Mais les hommes sont-ils sages et vertueux ?