La Libye de l’après Kadhafi
par Mohamed BOUHOUCH
jeudi 31 mars 2011
Tout un chacun se demande aujourd’hui quel est le secret de ce long règne de Mouammar Kadhafi (42 ans) et de sa force à résister et à échapper chaque fois aux attaques de l’Occident. Va-t-il, comme Oussama Ben Laden, continuer pendant longtemps encore, à défier impunément la communauté internationale ?
En 1986 à la suite de l’attentat de Berlin commandité par le dirigeant libyen, les Etats-Unis ont bombardé les villes de Tripoli et Benghazi et détruit un certain nombre d’infrastructures militaires (casernes et aérodromes) et causé la mort de près de quatre vingt personnes entre civils et militaires : Opération El Dorado Canyon 15 Avril 1986. Il est certain que les Américains voulaient viser en premier lieu le colonel Kadhafi. Mais c’était sans compter sur la malice et les astuces de ce renard des sables. Pour une question de sécurité, il changeait sans cesse de résidences passant de ses khaïmas (grandes tentes) plantées au désert, pour s’abrite en cas de besoin, dans ses nombreuses casemates en béton, des bunkers sous terre, édifiés avec tout le confort nécessaire à la vie d’un chef d’Etat.
La question qui se pose actuellement est beaucoup plus complexe. En effet, il ne s’agit plus uniquement d’éliminer Mouammar Kadhafi, mais de savoir ce que sera le pays après lui. Mort ou vivant cet homme continuera et pour longtemps encore, à constituer un problème pour la stabilité et le calme en Libye. Le système tribal bien ancré dans la société libyenne a survécu à l’occupation ottomane et italienne. Si dans les années cinquante et soixante, Idris 1er, alors roi de Libye, avait essayé vainement d’en limiter l’influence, Kadhafi est venu quant à lui, dès 1969, pour faire de la tribu la pierre angulaire de la société et la base de l’organisation administrative et sociale. Il existe presque 140 tribus en Libye, avec chacune ses origines, son histoire et ses particularités. Nul n’ignore les rivalités souvent ancestrales et les conflits entre des tribus voisines. Mais en l’espace de quarante ans, le « guide » a su gérer tout cet ensemble hétérogène, le polariser et en faire une entité nationale sous son autorité.
Aujourd’hui et depuis le déclenchement des hostilités en Libye, on assiste à un éclatement de cette union précaire et disparate qui se retrouve du jour au lendemain fractionnée donnant lieu à des entités opposées les unes aux autres. Les tribus Khadafa, d’où est issu le guide, implantée au centre du pays et Makarta (A l’ouest) qui sont parmi les plus peuplées et les plus puissantes sont restées fidèles au régime. Par contre les Warfallah l’une des tribus les plus importantes (région de Benghazi), et Al Zaouya (A l’est), ainsi que certaines tribus des oasis se sont désolidarisées de Kadhafi.
Les forces de sécurité comme les tribus sont également divisées et soutiennent ou non leur président selon qu’ils (généraux de l’armée, hauts fonctionnaires et membres des comités révolutionnaires) appartiennent à telle ou telle entité tribale. Comme l’ont constaté un certain nombre d’observateurs, les tribus constituent un véritable arbitre du pouvoir en Libye et peuvent jouer un rôle déterminant dans l’issue de cette guerre. Certes il convient de préciser que parmi les insurgés il existe un grand nombre de jeunes diplômes partisans d’un Etat moderne placé au dessus des tribus et d’une société nationale mieux structurée avec des partis politiques, associations et des syndicats au lieu du système tribal actuel archaïque, aujourd’hui complètement dépassé.
Seulement le problème n’est pas aussi simple qu’il le paraît. Il est impossible de changer les esprits et les coutumes en un jour. Comme l’a dit Boutros BOUTROS GHALI ex ministre égyptien des affaires étrangères et ancien secrétaire général de l’ONU, ce jour 23 mars sur les antennes de France24 « Si Kadhafi disparaît de la scène politique on se demande qui va le remplacer et comment sera gouverné le pays ? ». Les tribus fidèles et celles adversaires du guide risquent en effet de se livrer à une véritable guerre civile ou de décider de rester enfermés dans les frontières de leurs territoires respectifs. Il appartient par conséquent à la communauté internationale et plus particulièrement aux pays arabes de préparer psychologiquement et dès maintenant, les habitants de la Libye (par l’intermédiaire des radios et télévisions satellites) à vivre en communauté nationale dans un Etat démocratique avec des instances nationales élues et représentatives non plus de conceptions tribales ou religieuses, mais d’idéologies politiques et de communautés d’idées et de pensée.
La meilleure solution et la plus fiable serait, selon un grand nombre d’observateurs, l’adoption d’un système fédéral, une organisation du pays en régions, groupant chacune un ensemble de tribus présentant les mêmes affinités ethniques et culturelles. Cela demande bien entendu un certain temps, mais cela vaut la peine d’attendre. Pendant la période transitoire les chefs de tribus pourront bien se mettre d’accord pour la mise en place d’un gouvernement d’union nationale ayant pour mission de diriger le pays et de préparer la constitution de la République fédérale.