La maîtrise du nucléaire dans les pays émergents par Bernard Kouchner

par ÇaDérange
mardi 6 mai 2008


La dissémination de l’industrie nucléaire civile dans les pays émergents est une tendance forte dans le monde pour répondre à la demande énergétique de ces pays. Elle fait peur par contre car la frontière entre le nucléaire civil et militaire peut être de nos jours rapidement franchie. Du temps où le processus d’enrichissement de l’uranium passait par des usines extrêmement complexes et coûteuses comme celles de Cadarache, passer du nucléaire civil au nucléaire militaire était quasiment impossible pour les pays en voie de développement. Avec la technologie de l’ultracentrifugation, tout le monde peut aujourd’hui le faire à condition d’avoir l’argent pour se procurer les milliers d’ultracentrifugeuses nécessaires et le temps pour procéder à cet enrichissement.

L’autre peur générée par l’installation de centrales nucléaires dans les pays émergents réside dans la nécessité pour exploiter des centrales nucléaires de disposer de processus de sécurité performants et sûrs. Entendons-nous bien, il ne s’agit pas de mettre en place un département Sécurité doté de pouvoirs très étendus au sein de la centrale mais d’instituer une veritable "culture de sécurité" dans l’ensemble du personnel de la centrale voire à l’extérieur. Or l’expérience des pays en voie de développement montre que s’il y a une culture qui est difficile à instituer dans des pays où la notion de sécurité dans les activités humaines au jour le jour est inexistante, c’est bien celle de la sécurité au niveau où l’exige l’exploitation de centrales nucléaires. Si vous suivez ce blog régulièrement, vous savez sans doute que j’attribue une part de responsabilité importante dans la catastrophe de Tchernobyl à l’absence de cette culture en Union soviétique à l’époque de la conception et de la mise en place des centrales nucléaires soviétiques.

Un des préalables à l’existence d’une culture de sécurité est l’éradication de la corruption car dans un pays où tout s’achète, la sécurité devient facilement négociable !

Bref l’installation potentielle de centrales nucléaires dans nombre de pays émergents fait peur aux pays industrialisés sans que, pour autant, on ne puisse s’y opposer sur la seule base de soupçons non documentés. Le débat public pour trouver les moyens de rendre le nucléaire civil accessible aux pays émergents en toute sécurité est par contre très pauvre...

C’est pourquoi il faut saluer la reflexion personnelle sur le sujet de notre ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner. Celui-ci pose trois conditions pour pouvoir admettre la dissémination des techniques nucléaires civiles dans les pays émergents.
Tout d’abord renforcer les contrôles découlant du traité de Non-Prolifération et de son exécution par l’Agence internationale de l’énergie atomique, et interdire non seulement la vente de toute centrale aux pays qui ne respectent pas ces dispositions mais également de la technologie et des équipements utilisables pour l’enrichissement ou le retraitement des combustibles. Ensuite, instaurer une Banque internationale du combustible qui aurait la responsabilité de fournir le combustible enrichi à tous les pays disposant de centrales et supprimerait le besoin pour ces pays de s’équiper de capacités d’enrichissement propres. Enfin, n’autoriser la vente que de réacteurs à eau légère qui sont, paraît-il, non proliférants.

Ce sont de bonnes idées mais qui vont rencontrer de formidables obstacles (tels que l’universalisation du TNP, protocole additionnel inclus) avant de pouvoir devenir des obligations librement consenties par tous en contrepartie de la disposition d’une énergie bon marché et non polluante. Elle ne règle pas, à mon sens, la question de la culture sécuritaire pour laquelle Bernard Kouchner propose la création d’un Centre international de formation à la technologie, la sûreté et la sécurité nucléaire.

Pourquoi s’en préoccuper, me direz-vous ? Il suffit de ne pas vendre ou de ne pas autoriser les industriels à vendre. Sans doute mais l’expérience de l’Iran montre qu’il y a toujours dans le monde un "vendeur", industriel ou pays, et qu’il vaut mieux tenter de maîtriser le problème que de laisser faire.

De nos jours, un pays qui veut se doter du nucléaire civil y parviendra inévitablement. Et par ailleurs, de quel droit pourrions-nous l’en empêcher ? Mieux vaut donc essayer de contrôler le phénomène...


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