La Norvège annule ses « dettes illégitimes » envers cinq pays du Sud, et la France ?

par TSAKADI Komi
vendredi 20 octobre 2006

« L’aide au développement atteint-elle vraiment son but ? ». Tel a été le débat organisé par l’Institut  français des relations internationales (IFRI) et the Economist, le 19 octobre 2006. Et si on se réfère à la décision récente de la Norvège de renoncer à ses « dettes illégitimes » envers cinq pays du Sud, on ne peut répondre que par non.

En effet, la Norvège, classée 4e pays sur les 21 pays riches pour son engagement dans la lutte contre la pauvreté dans le monde par le Centre pour le développement mondial, vient de décider d’annuler 62 millions d’euros de dettes de cinq pays du Sud (Equateur, Egypte, Jamaïque, Pérou et Sierra Leone). Dettes qu’elle considère comme « illégitimes ».

Ces dettes ont été contractées dans le cadre de la « campagne de crédits aux exportations navales » de 1977 à 1980, un programme au cours duquel 156 navires norvégiens furent exportés au titre de l’aide au développement, pour faire face à la crise qui touchait alors l’industrie de la construction navale et pour protéger l’emploi dans cette industrie sans tenir compte de l’analyse objective des besoins de développement des pays acheteurs.

Les dettes illégitimes représentent une grande part des dettes contractées par les pays pauvres du Sud. Elles concernent les projets de développement mal conçus qui n’auraient jamais dû être financés, ou des prêts qui n’ont pas bénéficié ni à la population, ni à l’Etat débiteur (les fonds ayant servi aux dirigeants corrompus des pays débiteurs ou aux pays créanciers).

C’est la première fois qu’un pays créancier, de surcroît membre du Club de Paris[1] réunissant les dix-neuf pays créanciers les plus riches du monde, admet la notion de « dette illégitime ».

Cela confirme implicitement la responsabilité des pays riches du Nord dans le surendettement et le mal-développement des pays pauvres du Sud, et la nécessité d’annuler ces dettes.

Cette décision norvégienne pourra-t-elle faire jurisprudence pour que les autres pays créanciers reconnaissent leur responsabilité dans la crise de la dette des pays du Sud ?

Les représentants des pays créanciers du Club de Paris, réunis le 19 octobre 2006, ont décidé de recommander à leurs gouvernements une forte réduction du stock de la dette du Malawi.

Mais la France, l’un des plus importants créanciers, qui semble se préoccuper de la question du développement en cherchant des mécanismes innovants pour le financement de la lutte contre la pauvreté dans le monde (facilité internationale d’achat de médicaments, comptes-épargne codéveloppement, plan-épargne projet codéveloppement...) ne devrait-elle pas suivre l’exemple de la Norvège en annulant les dettes illégitimes bilatérales dont elle est créancière envers nos pays ?

Pour Jean-Merckaert, coordinateur de la plate-forme d’ONG françaises « Dette et développement  »[2] et membre du Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD) : «  Nous demanderons une commission d’enquête parlementaire à ce sujet et nous attendons des partis politiques qu’ils s’engagent sur ce point durant la campagne présidentielle. L’annulation de cette dette n’est pas une question de charité mais de justice. »[3]

D’ailleurs, selon un sondage BVA-CCFD-La Croix-EUROPE 1 publié dans La Croix du 12 octobre 2006, une majorité de Français interrogés (87%) souhaitent que l’aide aux pays pauvres figure en bonne place dans les débats de la campagne présidentielle française.



[1] Le Club de Paris s’est réuni pour la première fois en 1956. C’est un groupe informel de gouvernements créanciers des pays industrialisés. Il se réunit mensuellement à Paris avec des pays débiteurs afin de convenir avec eux d’une restructuration de leur dette.

[2] www.dette2000.org

[3] La Croix n° 37575 du 18 octobre 2006, p.18.


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