La nouvelle donne

par Pierre
jeudi 1er décembre 2011

On peut légitimement se demander quelle mouche a donc piqué le monde musulman et pourquoi cette soudaine succession de révoltes avec des éjections de dirigeants qui semblaient pourtant solidement installés au pouvoir. 
 
Quel est le lien entre tous ces évènements ?
 
Un point commun de ces renversements de régime est l’utilisation de réseaux sociaux comme Twitter ou Facebook pour coordonner les mouvements. 
 
Un deuxième point commun est l’intervention d’ONG occidentales. L’OSDH (basée à Londres) qui publient des bilans incontrôlables de victimes pour la Syrie par exemple. 
 
Il est important de rappeler que ces ONG sont largement subsidiées par le Département d’Etats comme la NED (lien) ou par des fondations privées comme l’OSI (lien) de Georges Soros et elles ont vocation à défendre les intérêts des Etats-Unis et leur vision de la démocratie. 
 
Il est curieux de lire des centaines de communiqués de l’OSDH dans les média mais il n’est pas possible de savoir qui est derrière cette ONG en lançant une recherche sur Internet. Qui va me fournir un lien ?
 
Un autre point commun est qu’au début, les mouvements islamistes restent relativement discrets. Ils n’arrivent que dans un deuxième temps et encore, sans présence ostentatoire. Pas de harangues enflammées ni de marées de drapeaux verts.
 
On pourrait penser que des révolutions spontanées ont découlé de l’aspiration de ces peuples à la démocratie de type occidental mais ce n’est pas crédible. Tous les sondages et toutes les études montrent que notre modèle démocratique n’est pas désiré par la grande masse des populations musulmanes. Elle est soumise à l’influence des mosquées pour qui ce modèle est loin de représenter leur credo.
 
Ce qui est vrai, c’est leur désir et de ne plus avoir à supporter un état policier qui les opprime et de vivre plus confortablement. 
 
Les « élites » formés en Occident et qui sont médiatisés chez nous sont largement favorable à ce notre type de démocratie mais ils ne sont pas représentatifs de l’opinion publique générale des pays musulmans. On peut le regretter, mais c’est un fait.
 
Une autre explication serait que la pression ou l’oppression était devenue tellement insupportable que toutes les oppositions se soient unifiées pour soutenir ces mouvements de contestation. 
 
C’est partiellement vrai parce que cette unification a été faite mais avec des encouragements et des aides extérieures. Pour faire une comparaison : est-ce que quelqu’un voit spontanément Marine Le Pen, François Bayrou et Jean-Luc Mélenchon faire alliance pour battre l’UMPS ?
 
On arrive à une troisième explication qui est celle que je privilégie. Un changement de la stratégie des Etats-Unis. Une nouvelle donne qui sera l’objet de cet article.
 
Un rappel de la situation entre 1991 et 2001.
 
Depuis l’effondrement de l’URSS, tout le monde s’accordait à dire que les Etats-Unis étaient devenu la seule hyperpuissance de la planète.
 
Les Etats-Unis en étaient conscients et ils ont poussé leur avantage le plus loin possible. On peut citer l’incorporation de l’Europe centrale à l’OTAN, le rapprochement avec les ex-républiques soviétiques, le démembrement de la Yougoslavie (déjà l’OTAN) ou la mise sous tutelle des revenus pétroliers de l’Irak par l’ONU. La Banque mondiale et le FMI se chargeant d’instaurer l’ultralibéralisme dans le tiers-monde
 
Le monde musulman, tenu d’une main de fer par des despotes politiquement et militairement soutenus par les Etats-Unis, était bien sous contrôle, à l’une ou l’autre exception près.
 
D’aucuns parlaient même d’un « Nouveau Siècle Américain » (lien). Ce n’est toujours pas impossible comme nous le verrons plus loin.
 
La situation de 2001 à 2008.
 
Tout occupés à leur expansion mondiale et en pleine croissance économique, les Etats-Unis n’étaient pas préparés une attaque terroriste de grande ampleur sur leur propre territoire. Le 11 septembre 2001 a amené une réorientation des priorités. Je ne prends pas parti pour ou contre la théorie du complot interne. Cela ne change rien au raisonnement.
 
La Russie post-soviétique étant considérée comme suffisamment affaiblie et de manière durable (on envisageait même sa dislocation) et la Chine n’étant pas encore une menace pour les Etats-Unis,l’administration W Bush crut que la supériorité militaire états-unienne serait capable de soumettre les pays musulmans récalcitrants par la force. 
Une liste de sept pays, livrée par Wesley Clark, a circulé récemment sur Internet (lien).
 
Les premiers résultats en Afghanistan et en Irak avaient été parfaitement couronnés de succès et les regards se tournaient déjà vers les prochains dominos qui tomberont.
 
A ce moment, les Etats-Unis avaient atteint l’apogée de leur puissance. 
 
L’arrogance des néo-conservateurs étaient à son comble et ils ont alors commis une erreur fatale. Comme pour la Russie après l’effondrement du communisme, ils ont voulu imposer rapidement le libéralisme économique ainsi que les standards occidentaux sans tenir compte des us et coutumes locales.
 
En quelques mois, une résistance armée est apparue et, deuxième erreur, l’armée états-unienne, pas du tout formée pour ce genre de guerre, a été chargée de combattre les insurgés par la coercition avec son lot de bavures comme les dégâts collatéraux, les violations de domicile, les arrestations et les contrôles arbitraires, Abou Ghraib et l’escalade de la violence qui en découla.
 
Le coût de ces conflits, mais aussi la prise en charge de dizaines de milliers de blessés et de mutilés de guerre ainsi que l’ effondrement économique de 2008 ont amené les Etats-Unis à avoir un endettement colossal que tout le monde s’accorde à dire qu’il est impossible à rembourser.
 
Les opinions publiques des pays musulmans devinrent de plus en plus hostiles aux Etats-Unis et aux pays occidentaux en général. Elles ressentaient un sentiment de révolte contre des injustices infligées aux pays occupés et contre le blocage du processus de paix entre Israël et les Palestiniens. Elles se sont trouvées en désaccords avec leurs dirigeants qui, eux, ne pouvaient pas avoir d’opinions critiques contre leur distributeur d’aides financières sous peine de menace de l’arrêt de celles-ci. A cela s’ajoutait la situation économique désastreuse des masses populaires des pays musulmans non producteurs d' hydrocarbures. 
 
Pendant ce temps, les religieux se chargeaient de catalyser le mécontentement populaire.
 
La situation de 2008 à 2010.
 
Sept ans après les attentats du 11 septembre 2011, les Etats-Unis se trouvaient dans des impasses dans leurs deux principales guerres, en Irak et en Afghanistan. Aucune solution pour le problème palestinien ne se dessinait. La crise financière de 2008 ayant fini par tout-à-fait plomber le moral des Etats-Uniens, ils éliront un président qui promettait la fin de cette descente aux Enfers avec son « Yes, we can ».
 
Devenu président, Barak Obama a essayé une autre approche avec les pays musulmans. 
Il y eut le discours du Caire (lien), le retour d’un ambassadeur en Syrie, une tentative de rapprochement avec l’Iran, la prise de commandement, trop tardive, du général Mac Chrystal qui devait gagner les cœurs et les esprits des Afghans, les négociations secrètes avec les taliban « modérés » ou le retrait d’Irak pour fin 2011.
 
Il a aussi resserré les liens avec les pays alliés pour partager plus équitablement le fardeau financier de la politique militaire occidentale.
Les besoins budgétaires des Etats-Unis restant toujours aussi colossaux et la Chine, le principal acheteur de Bons du Trésor états-uniens devenant de plus en plus réticente à encore en acquérir davantage après la crise des subprimes de 2008, l’administration Obama a pris pleinement conscience que la Chine se pointait comme rival de l’hyperpuissance états-unienne. 
 
Pourquoi ? 
 
Il y avait un accord tacite entre les deux pays. Les Etats-Unis achetant des biens aux usines chinoises et la Chine achetant des Bons du Trésor états-uniens.
 Les deux partenaires se tenant mutuellement par la barbichette. 
Mais voilà, la Chine, pour sécuriser ses avoirs, a décidé de diversifier ses placements, Elle investit dans les pays auquels elle achète les matières premières, pétrole, gaz, minerais grâce à des accords bilatéraux qui ne plaisent pas aux Etats-Unis et qui les mettent « hors circuit »
 
La Chine se mit à davantage réorienter sa production vers son marché intérieur mais sans vraiment l’ouvrir à la concurrence étrangère qui est de toute façon beaucoup trop chère. (Sauf pour les importations de luxe, parfums, voitures, produits de bouche pour les classes aisées.)
 
La Chine, qui augmente son budget militaire de plus de 10 % tous les ans depuis 15 ans (lien), finira par devenir un rival militaire. D’autant plus que beaucoup de secteurs ayant aussi des implications militaires ne sont pas repris dans le budget de la Défense officiel. La recherche, le programme spatial, le programme aéronautique par exemple.
 
Les Etats-Unis ne peuvent accepter cette perte de leur leadership et, dans leur logique, se doivent de réagir.
 
La Chine est devenue le futur adversaire à vaincre pour les Etats-Unis mais il leur faut d’abord assurer leurs arrières, contrôler le monde musulman.
 
La nouvelle donne.
 
A l’époque soviétique, les Etats-Unis s’entendaient très bien avec la plupart des pays musulmans comme par exemple les pays du Golfe, le Pakistan, l’Egypte, la Jordanie et les populations de ces pays ne les détestaient pas comme aujourd’hui.
 
Ce sont les guerres de Georges W Bush, qui étaient un choc des civilisations (lien) qui ne voulait pas dire son nom, le conflit palestinien et surtout le soutien à des dictatures répressives qui ont ébranlé le prestige des Etats-Unis dans le monde musulman.
 
La sortie d’Irak est pour fin 2011, celle d’Afghanistan est programmée pour fin 2014 et des pouvoir religieux sont déjà établis ou s’installeront immanquablement dans ces deux pays. Cela fera un problème de réglé.
Une solution du conflit palestinien acceptable pour le monde musulman est envisageable pour l’éventuel deuxième mandat de Barack Obama.
 
L’administration états-unienne sait très bien que la seule alternative aux dictatures « laïques » sera les dictatures islamiques. Il n’y a que les stupides Européens qui l’ignorent et qui imaginent des démocraties de type occidental pour ces pays.
 
Il n’y a rien qui prédispose ces pays à adopter notre modèle démocratique avec la séparation des pouvoirs et le libre choix philosophique.
 
Le choix de l’administration Obama est fait. On laissera les Islamistes, soutenus financièrement par les pétromonarchies du Golfe, arriver au pouvoir à la place des dictateurs déchu. C’est inévitable, c’est la seule opposition structurée qui existe dans ces pays.
 
Dans quel intérêt ?
 
Ces nouveaux régimes islamistes ne pourront plus être hostiles à l’égard des Etats-Unis sous peine de perdre leurs subsides et de ne plus pouvoir continuer leurs populaires programmes sociaux.
 
Il ne sera plus nécessaire de donner des aides financières pour équiper des armées qui servaient surtout le prestige des dictateurs et étaient utilisées à la répression interne comme en Egypte. Les armes, ils devront les payer.
 
Les populations locales finiront par se soumettre à ce nouveau pouvoir, comme en Irak ou il y avait pourtant un des plus hauts degrés d’éducation de la région. La Libye, après sans doute un long chaos, suivra la même voie.
 
Dès que le monde musulman aura retrouvé un équilibre, les Etats-Unis y gagneront en popularité au détriment des Européens qui en seront toujours à exiger le respect des droits de l’homme. 
 
Les Etats-Unis se seront assuré le soutien, au moins passif, du monde musulman avec ses réserves d’hydrocarbures sous contrôle et ils pourront s’attaquer au problème chinois à bras le corps.
Il y reste cependant encore quelques obstacles à franchir, la plupart de taille.
 
L’Algérie. Les Islamistes y ont déjà gagné des élections. Des scénarios de renversement du FLN existent certainement dans les tiroirs du Pentagone et du Département d’Etat et peut-être pas dans le bas de la pile de dossiers. Il faut d’abord « digérer » la Libye mais l’Algérie « laïque » n’a qu’à bien se tenir. Elle est en grand danger.
 
La Syrie. Elle n’a qu’un intérêt marginal pour les Etats-Unis et un changement de régime n’est intéressant que parce ce pays soutient le Hezbollah et qu’il est allié à la Russie et à l’Iran. Les Etats-Unis pourraient peut-être s’en désintéresser pour ne pas trop fâcher les Russes mais provisoirement. Il semble que Bachar AL Assad n’est plus accepté par la majorité sunnite du pays. S’il est renversé, ce seront aussi des Islamistes qui le remplaceront.
 
L’Iran. C’est le gros morceau. Les monarchies du Golfe, Israël et bien sûr l’Occident souhaitent la disparition du régime iranien actuel. Une tentative de renversement du gouvernement iranien a déjà eu lieu lors de la contestation des élections de 2009. Le prochain essai sera sans doute pour les élections de 2013 avec des armes mieux affutées, à moins que les rumeurs d’intervention militaire actuelles ne soient cette fois-ci fondées. 
 
Une grande faiblesse du régime des mollahs est l’aspiration de la population des grandes villes à un mode de vie moderne. La population citadine iranienne, de par sa culture et son éducation, aspire à un rapprochement avec l’Occident. Je crains malheureusement qu’un renversement du régime mène au pouvoir une autre dictature islamiste qui serait, cette fois-ci, plus proche des Etats-Unis.
 
Conclusion.
 
Le temps presse pour les Etats-Unis. La Chine devient chaque jour plus riche et plus puissante. 
 
La prise du contrôle de la production des matières premières mondiale avec une guerre économique féroce semble être la première étape de la réaction états-unienne.
 
La deuxième étape pourrait être de susciter des troubles à l’intérieur de la Chine. 
 
Ensuite, en cas de répression sanglante, et c’est probable, ils pourraient utiliser la nouvelle arme qu’on a découverte avec le conflit libyen : le gel des avoirs chinois. Environ 900 milliards de dollars rien qu’en Bons du Trésor des Etats-Unis !
 
Les Etats-Unis disposent d’une puissance militaire à laquelle personne n’a envie de se frotter. Ce n’est pas militairement que la Chine devrait réagir. 

Comme pour les guerres chaudes, la réaction serait sans doute asymétrique mais ici, il s’agit d’anticipations impossibles à prévoir.

 
On peut dire que c’est un pari qui sera difficile, mais pas impossible, à gagner. S’ils réussissent, leur contrôle de la planète sera total, ils n’auront plus d’adversaire et ils n’en toléreront plus d’autres à l’avenir.
 
C’est cela, la nouvelle donne. Sortir du choc des civilisations avec le monde islamique et diriger la nouvelle lutte vers la Chine

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