La preuve militaire du nettoyage ethnique turc à Afrine, Syrie du nord
par REMY Ronald
samedi 17 mars 2018
L’innommable s’est bien ouvertement rajoutée au scandale diplomatique, militaire et humanitaire de la deuxième invasion illégale du nord de la Syrie par la Turquie. Sous l’incroyable hypocrite label « Rameau d’olivier », le dictateur islamiste Erdogan a en fait entamé l’une des plus cyniques opérations guerrières doublée de purification ethnique jamais vue depuis bien longtemps. Sans mandat de l’ONU et sans autorisation du gouvernement syrien, les avions et les canons de l’alliance turco-djihadiste ont entamé une méthodique campagne de bombardement pour encadrer l’avancée progressive et implacable des blindés turcs et des mercenaires intégristes recrutés dans les milieux d’El Kaïda, d’Al Nosra (et même de DAECH !). La violation des frontières syriennes n’a entrainé aucune réaction notable des chancelleries ni aucune couverture médiatique. 55 longs jours de honteux silence sur l’écrasement de l’unique havre de paix depuis 5 ans au nord d’une Syrie complètement ravagée par la guerre. Afrine la laborieuse et la pacifique, dont les 385.000 kurdes affichaient un sens exemplaire de liberté, de laïcité, de solidarité et qui, de par ce fait, a accueilli plus de 500.000 réfugiés non kurdes. Afrine l’accueillante (voire l’insouciante car bien moins militarisée que ses deux sœurs kurdes plus dogmatiques à l’Est de l’Euphrate) a donc été saccagée sous le regard des médias silencieux pendant deux mois. Avec la complicité passive des Etats Européens, par peur que la Turquie ne déverse 3 millions de réfugiés sur une Europe gravement désorganisée, divisée et affaiblie. Avec la complicité des Etats Unis, par peur de voir la Turquie quitter l’OTAN au profit d’une alliance avec la Russie et la Chine. Avec la complicité passive de l’ensemble de l’OCDE, par peur de perdre des contrats économiques avec le monde islamique. Et aussi, hélas, tout simplement, par simple désintérêt du public et par incommensurable lâcheté des politiques.
Face à une si grossière propagande à la Goebbels d’Erdogan (et des services secrets turcs chargés des provocations frontalières), face à une si illégale et indéfendable invasion militaire, seul l’abyssal manque de culture géographique et historique de nombre de nos politiciens occidentaux pourrait légèrement limiter l’accusation de cynisme et de lâcheté. L’ennui, c’est que cette ignorance crasse au sein de nos élites dirigeantes (pourtant entourés de spécialistes et de cabinets ministériels) se serait donc maintenue avec entêtement pendant…
…55 jours ! Et cela, malgré le vote du 8 Février 2018 (remarquable car d’une rare unanimité) du Parlement Européen, condamnant l’atteinte répétée aux droits de l’Homme au sein de la Turquie et l’invasion militaire du Nord de la Syrie.
Pour sa défense, Erdogan prétend que des militants kurdes de Syrie venaient régulièrement harceler la Turquie. Y compris en provenance d’Afrine. En fait, simple propagande répétitive pour les gogos et les médias crédules étrangers. Comme il faut à tout prix que le chien ait la rage pour légitimer ensuite son exécution, on monte des histoires à dormir debout et on martèle sans cesse les discours avec le terme « terroristes ». D’autant que depuis la première invasion du Nord de la Syrie en 2016 (sous le label « bouclier de l’Euphrate »), des centaines de tanks et milliers de blindés turcs sont massés contre la frontière turco-kurde et à l’intérieur de la zone syrienne occupée. Avec l’omniprésence de l’armée suréquipés et de l’aviation turque dans cette zone d’Afrine, quel intérêt suicidaire y aurait-il à envoyer des roquettes ? Et en plus sur des civils innocents, ce qui est contraire à la charte même de l’ex PKK. Du n’importe quoi. Plus le mensonge est gros, disait Goebbels, plus les populations y croient.
Rappelons que la terrible répression politique d’Erdogan est la cause principale de la relance de la guérilla kurde en Turquie. Tout en refusent de cibler les civils turcs, les kurdes « radicalisés » causent de lourdes pertes aux forces de l’ordre turque. Ce qui met en colère Erdogan et l’incite à agir directement sur les bases arrières kurdes extérieures à la Turquie. Cette exportation de la violence répressive hors des frontières turques va avoir un effet multiplicateur inévitable. Certes, Erdogan compte aussi là-dessus pour justifier ses prochaines guerres d’invasion et aussi pour augmenter son pouvoir en flattant le nationalisme turc et en intensifiant la répression à l’intérieur de la Turquie contre tout ce qui n’est pas pro-charia.
Cependant, la province d’Afrine n’avait rien à voir avec cette guérilla en Turquie. Et les restes de guevarisme marxiste d’un autre âge ne sévissent qu’aléatoirement et qu’au sein des deux autres provinces kurdes plus lointaines, à l’Est de l’Euphrate.
Tout d’abord, rappelons que le charismatique ex dirigeant de l’ex PKK, Abdullah Öcalan, avait lui-même largement « social-démocratisé » la ligne politique des autonomistes kurdes. Le PKK n’a cessé de répéter qu’il était contre la création d'un État kurde : « Il vise à accomplir le droit à l’autodéfense des peuples en contribuant à la progression de la démocratie dans toutes les parties du Kurdistan, sans toutefois remettre en cause les frontières politiques existantes »5
En 2001, à la suite de son renoncement à la lutte armée, le PKK a formé le Congrès du Kurdistan pour la Démocratie et la Liberté (KADEK). En 2002, le PKK a pris le nom de Kadek et abandonné les références marxistes et léninistes29. En 2003, confirmant son renoncement au léninisme, il a changé de nouveau son nom en Congrès du Peuple du Kurdistan (KGK)30.
Hélas, cette évolution très positive n’a pas empêché Öcalan de continuer à croupir dans les geôles turques avec des milliers d’autres militants. Une erreur politique têtue du gouvernement turc qui a toujours refusé de lui donner un rôle national de réconciliation à la Nelson Mandela (Afrique du Sud).
La deuxième grande raison de la particularité pacifique d’Afrine est que les militants de l’ex PKK fuyant temporairement la répression turque se trouvent à l’Est de l’Euphrate. Pas dans la lointaine, isolée et vulnérable Afrine !
La troisième raison également très évidente est que les réfugiés non kurdes accueillis dans la province d’Afrine sont devenus très largement majoritaires durant ces cinq années de paix et de collaboration inter ethniques. Un original mode de gestion kurde qui a attiré la sympathie d’un grand nombre d’intellectuels et de militants de gauche en Europe. En sus des médias à la gauche de la gauche, félicitons le travail du journal « Le Point » n° 2376 du 15 Mars, qui brise enfin l’omerta sur le martyre d’Afrine.
En admettant, par simple hypothèse, pour une analyse impartiale, que d’illogiques et impensables incidents frontaliers aient bien eu lieu, il était aisé de demander préalablement la venue d’observateurs neutres sur la frontière. Notamment du Conseil de l’Europe, puisque la Turquie en est encore toujours membre (la moindre des choses avant de déclencher une guerre sanglante, n’est-ce pas ?). Il était même possible de mobiliser les drones, les hélicoptères, les avions d’observations et les satellites militaires de l’OTAN, puisque la Turquie en est encore officiellement membre. Un groupe de tireurs de roquettes ne disparait pas comme cela dans la nature des dizaines de fois de suite alors que l’on peut filmer du ciel un vélo ou un fusil. L’heure exacte des attentats (prétendument kurdes) sur des civils, permet de relire a posteriori les bandes passantes filmées depuis les satellites. Surtout si préalablement commandées pour surveillance et enquête le long d’une frontière bien précise. Mais Erdogan n’a jamais rien demandé aux européens et aux américains. Et l’Occident a préféré croire ou faire semblant de croire à la propagande du dictateur islamiste rêvant à la restauration ottomane.
Erdogan réclame la « démilitarisation » de la zone frontalière kurde dans une profondeur de 30 Km et longue de 950 Km. Rien que çà ! Donc, en prévision, de longues années d’une sorte de « nouvelle guerre du VietNam » ! Avec l'accord tacite de l'OTAN et de l'Occident ?!
Pour la province d’Afrine, il lui était pourtant possible d’obtenir assez facilement sa « neutralisation » en avançant ses blindés de chaque côté, par le Sud-Ouest et le Sud-Est, via les territoires syriens qu’il occupe déjà à l’Est depuis 2016 ainsi qu’à l’Ouest depuis le surprenant accord d’Astana de 2017 passé avec les russes (création de quatre zones appelées officiellement de « désescalade » pour la propagande internationale, en fait quatre zones de liberté de bombarder et de « nettoyer » en toute liberté et impunité !).
Une fois isolée de la région d’Alep, la Turquie pouvait négocier la « démilitarisation » de la province d’Afrine contre la réouverture des échanges économiques au sud avec Alep et la Syrie gouvernementale.
Mais Erdogan ne voulait pas du maintien de la gestion kurde sur le Nord de la Syrie. D’où ce plan de bataille remarquable de préméditation en Janvier 2018 couvrant soigneusement l’Ouest, le Nord et l’Est, mais justement et surtout pas le Sud de cette laïque province d’Afrine. Ensuite une lente avancée militaire à partir d’une dizaine de zones de pénétration frontalière. Officiellement, les bourgades qui résistent en paye le prix et sont bombardées. En réalité, elles sont « aplaties » sous les bombes, quasiment rayés de la carte bien avant même que n’arrivent les djihadistes chargés du « curetage ». L’objectif étant de terroriser et de faire partir les habitants des villes et des villages plus grands. (d’où le cri d’alarme et l’article du 24 Février sur Agoravox demandant les photographies aériennes « avant-après » bombardements turques). Le mur des obus avance lentement mais surement pendant des semaines, en précédant l’arrivée des mercenaires islamistes, puis l’arrivée des chars turcs. La lenteur de la progression (moins de 500 mètres en moyenne par jour), n’est pas due à une sanglante résistance kurde de type Stalingrad. Au dire des turcs eux-mêmes, les kurdes perdent en moyenne 60 combattants par jour, en comptant à la fois les prisonniers, les blessés et les tués (y compris de simples civils non armés), écrasés par les canons et l’aviation. Deux fois moins selon les pointilleuses statistiques kurdes plus plausibles. Cette lenteur soigneusement exécutée (d’à peine 20 à 25 mètres par heure en moyenne) reposait sur une volonté de laisser largement le temps à la population de partir. De partir vers le sud. Vers Alep et la Syrie dite « gouvernementale ». L’objectif réel d’Erdogan : « le nettoyage ethnique » pour dégager les kurdes trop indociles et les remplacer par des turkmènes et des islamistes intégristes comme lui et son parti. Il ne s’en cache pas. Il l’écrit (comme dans Mein kampf) et le clame haut et fort à longueur de discours, annonçant le rapatriement de centaines de milliers de réfugiés syriens de Turquie.
Si l’on regarde la carte militaire du 16 Mars 2018 ci-jointe, on découvre une véritable caricature graphique de cette volonté de ne surtout pas boucher le processus d’évacuation de cette population laïque. La zone kurde en est réduite à une sorte d’informe boyau tordu de quelques kilomètres de large. A portée de tir à vue, les canons turcs laissent partir les véhicules vers le sud, mais les canardent immédiatement dès qu’elles repartent vers le nord (y compris pour simplement aller chercher d’autres fuyards, par crainte que le coffre ne contienne des armes et munitions). Même la zone d’extrême sud collée au district d’Alep est immédiatement bombardée quand se présente des véhicules gouvernementaux officiels syriens !
Les miliciens kurdes ont parfaitement compris la stratégie d’Erdogan et ont tenté, souvent en vain, de maintenir la population sur place…
En conclusion, Erdogan a menti depuis le début en invoquant des incidents de frontière et ensuite en parlant de démilitariser sur 30 Km la province kurde. La configuration militaire minutieusement et implacablement suivie pendant 55 jours, puis le bombardement systématique des unités gouvernementales syriennes s’approchant d’Afrine par le Sud en vue du remplacement des unités kurdes, prouve que c’est le vidage de la population kurde qui l’intéresse. Cette purge militaire, politique, culturelle, humaine, est spectaculairement organisée en plein jour au rythme des bombardements, y compris pendant le cesser-le-feu d’un mois voté à l’ONU. Il est vrai, texte à, l’appui, qu’Emmanuel Macron réclamait curieusement un cesser-le-feu uniquement dans la zone de la Ghouta (près de Damas) et non dans la province d’Afrine !...
Cette orchestration appliquée de la terreur militaire depuis le 20 janvier a largement confirmé la volonté hégémonique totalitaire du despote turc.
En fait, depuis la première invasion illégale de 2016, et surtout depuis le sulfureux accord « type Ribbentrop » d’Astana en 2017 avec Poutine, personne sur cette planète n’ose plus arrêter Erdogan. Même une stratégie-tactique de harcèlement aérien "à la mongole" (économe en ressources), n'est pas certaine d'obtenir la totalité des résultats escomptés... (en raison du fréquent caractère iracible et irationnel des dictateurs et de leur capacité à endoctriner et mobiliser leur troupes).
Les livres d’histoire parleront pendant longtemps de ces sanglantes « zones de désescalade » syriennes (simple partage entre prédateurs du rôti syrien) et des répétitifs cesser-le-feu bidons, lentement et tardivement négociés pour n’être jamais appliqués, alibis pour bonne conscience diplomatique à peu de frais.
Dans le prochain article-débat, nous récapitulerons les idées concrètes reçues en faveur d’un plan de paix et de reconstruction économique, sociale et politique de la Syrie. Y compris une humble et ingrate tentative de montrer la différence entre un système confédéral (revendiqué par les kurdes) et un système fédéral de type Etats Uniens, allemand ou russe. Merci encore pour vos contributions, y compris par courriel : remy_ronald@yahoo.fr