La révolution Islandaise, Acte 1 Scène 2

par wesson
lundi 21 février 2011

Le volcan Eyjafjallajökull entré en éruption le 20 Mars 2010

Ahhhh L'Islande, ses paysages magnifiques, cette nature sauvage et preservée, son peuple génétiquement homogène, son volcan qui a réussi à clouer au sol l'ensemble de l'aviation européenne, et son président, Olafur Ragnar Grimsson, qui contre toute attente vient de prendre le parti du peuple contre son oligarchie, en demandant pour la deuxième fois son avis au peuple concernant un accord de paiement sur la dette d'Icesave par les contribuables.

Le 2ème accord de paiement :

Le 8 Décembre 2010, les négociateurs Islandais, Anglais et Néerlandais ont jeté les bases d'un accord sur le paiement de la dette des banques Islandaises. Voici le contenu de cet accord, tel qu'il est disponible sur le site de l'ambassade Islandaise :

lien (PDF en Anglais)

Le taux retenu est de 3% pour la dette Néerlandaise (900 millions €) et 3.3% pour la dette Anglaise (3 Milliards €), ce qui fait 3.9 milliards au lieu des 5.1 milliards que prévoyait le 1er plan, à un taux global de 3.2% au lieu des 5.5% initialement consentis. Bref en apparence ce plan est bien plus avantageux que le précédent, mais comme nous allons le voir les apparences sont trompeuses.



Rien n'est payé jusqu'en 2016, mais les intérêts courent. puis à compter de 2016 l'Islande doit payer sur un ryhtme bi-annuel un montant égal au maximum à 5% des recettes fiscales, avec un maxima de 1.3% de PIB. En pratique donc, des paiements supportables par l'économie Islandaise et que le gouvernement peut revoir à la baisse comme il le souhaite, ce qui n'était pas le cas pour le 1er accord. Mais l'arnaque, car il y en a une, se situe à un autre niveau. Il y a une date limite pour le paiement de la totalité de la somme : 2046, et les intérêts courant sur le principal jusqu'à cette date butoir. Ce type de prêt a été largement utilisé par les agences immobilières pour arnaquer des gens aux revenus modestes alléchés par un "crédit d'impot". On leur proposait des emprunts à 30 ans avec un montant de mensualités modifiable à tout instant qu'ils pouvaient baisser jusqu'au seul paiement de la part des intérêts (et encore, parce que la législation Française ne permettant pas l'amortissement négatif, une échéance ne pouvait être inférieure aux intérêts).

Mais, les 2 dernières années, tout le solde doit être réglé, avec les intérêts qui ont explosé, car le principal n'a pas baissé. Pour le dire plus simplement, le gogo a payé pendant 28 ans pour rien du tout, et se retrouve avec une dette intacte supérieure à l'emprunt initial, sans avoir la possibilité de la payer. Et c'est très exactement le risque auquel s'expose l'Islande si elle accepte un tel accord. Etant donné la propension des hommes politiques à reporter les problèmes du jour aux générations futures, il n'y a aucune raison pour que ce ne soit pas le cas là aussi. En acceptant cet accord, les Islandais vont se retrouver en 2046 avec une dette dont je prédis qu'elle sera encore plus énorme que aujourd'hui, tout en ayant pas plus les moyens de la rembourser. Bref, cet emprunt est fait pour qu'il ne soit jamais remboursé, il est fait pour générer des intérêts que les Islandais paieront ad vitam aeternam tout en conservant intacte la dette initiale.

Il ne manquait plus qu'au parlement de donner son accord à ce protocole dont le secret avait été soigneusement gardé. Ce fut fait en toute discrétion le 31 Décembre 2010, où ce jour-là il n'y avait pas que la dinde qui se retrouvait fourrée aux marrons !

Heureusement, il y avait quelques personnes qui on réagi, malgré la calinothérapie médiatique qui a suivi, consistant à faire état d'un "large consensus" sur cet accord dont on n'avait pourtant absolument rien dit. Une pétition (lien en Islandais) semblable à celle qui avait conduit au retrait du 1er accord a été lancé le 13 Février 2011, appelant le président à renoncer à signer cette loi. Elle a recueilli 42405 signatures qui ont été vérifiées à l'aide d'un recoupement fait par le No de sécurité sociale qu'il fallait indiquer, soit 14% de la population. Et pour la seconde fois, le président Grimsson a refusé de signer la loi, appelant à un nouveau référendum.

L'assemblée constituante :

Inga Lind Karlsdottir, une des 25 élu à l’assemblée constituante

Il ne faut pas s'y tromper, c'est bel et bien une révolution qui se passe en Islande, et l'oligarchie y combat encore, et n'a pas rendu les armes. Une autre bataille qui est en cours concerne l'assemblée constituante qui se proposait de réécrire totalement la constitution. Dans les nouvelles règles envisagées il y avait le rôle et les attributions du président de la république, qui fait régulièrement débat là-bas, mais aussi la séparation de l'église et de l'état qui n'est pas encore faite, et surtout le contrôle des ressources naturelles, par leur nationalisation. C'est cette dernière décision qui a affolé les grands propriétaires terriens qui allié avec les conservateurs qui ont perdu le gouvernement ont formé un recours auprès de la Cour suprême. Celle ci a tranché le 26 Janvier 2011 en révoquant l'assemblée (lien en Anglais), pour des vices de forme sans réelle gravité concernant la sincérité du vote, et d'ailleurs sans qu'il n'y ait eu d'incident rapporté lors de cette consultation. Aux dernières nouvelles, le gouvernement continue de vouloir la réécriture de la constitution, mais n'as pas fixé de date pour la réélection de l'assemblée constituante.

Les enjeux véritables :

une banderole de protestation contre l’industrie de l’aluminium en Islande

L'enjeu de ce qu'il se passe là-bas va bien au-delà de la simple question du remboursement de sa dette, et de son adhésion ou non à l'Europe. C'est un territoire stratégique à bien des égards. Doté d'une hydrographie importante et d'une géothermie exceptionnelle actuellement largement sous-exploité, c'est un eldorado de la production d'énergie. En particulier, les producteurs d'Aluminium ont un très grand intérêt à prendre pieds en Islande, car c'est un des derniers endroit qui dispose des droits à polluer suffisant car la production d'aluminium dégage entre autre joyeuseté toxiques des quantités énormes de CO2, et du potentiel électrique permettant l'électrolyse à grande échelle indispensable à la production d'Aluminium depuis le minerai de bauxite. Une tonne d'aluminium produit demande environ 14 MWH d'énergie, soit à peu près 1 tranche de centrale nucléaire pour 3 usines. Jusqu'à maintenant et à l'aide d'une réglementation très sévère sur la pollution, l'Islande avait pu limiter cette industrie et éviter la catastrophe écologique qu'aurait constitué la création de plusieurs barrages géants. Mais ce qu'une Islande prospère a pu éviter, est-ce que le même pays ruiné et lourdement endetté le pourrait ? je serais tenté de répondre que non. Depuis 2003, le gouvernement Islandais a multiplié les promesses de fourniture énergétique et a lancé un grand projet de barrage sur toutes les rivières glacées de l'Ile (lien en Anglais et Islandais), contre promesse d'investissement de la part des industriels et la faculté de pouvoir se refinancer. Ce plan au point mort en période faste a été subitement relancé avec la crise de 2008, comme en atteste ce plan de déploiement de barrages hydroélectrique sur l'ensemble des rivières de l'ile. Comme on dit des coincidences ne font pas des preuves, mais ça tombe rudement bien ...

Le piège est prêt à se refermer, et l'Islande a finalement le choix entre le maintien pour quelque temps encore de son niveau de vie au prix d'une pollution définitive et irréversible de son territoire, ou la mise au ban de la communauté internationale avec une baisse quasi instantanée du niveau de vie de la population. En tout état de cause il y a eu un retour très rude à la réalité, qui a fait prendre conscience aux Islandais que non, ce modèle ultra-libéral n'est pas efficient, et que oui, il convient d'en rechercher des alternatives.

Que ce soit pour la constitution ou pour le remboursement de cette dette privée, c'est au peuple Islandais de se décider et c'est très bien ainsi. Puisse-t-il le faire en toute connaissance de cause, et au meilleur bénéfice des générations futures.

Une carte qui reprends les projets hydrologiques et géothermiques du gouvernement Islandais (2008)

Illustration : saving iceland - http://www.savingiceland.org/


Lire l'article complet, et les commentaires