La Tunisie invitée à la 6° Université d’été de la Démocratie

par A. Spohr
mardi 5 juillet 2011

 

Le Conseil de l’Europe avait pris l’initiative d’inviter à sa sixième Université d’été de la Démocratie, le ministre tunisien délégué auprès du 1°ministre, Mr Rafâa Ben Achour, chargé de prononcer la « leçon inaugurale » lors de l’ouverture de la session, lundi dernier( 20/6). Le thème très opportun cette année était intitulé « Ethique et Politique » dans la pratique politique, les médias et le monde des affaires.

Ces universités annuelles à Strasbourg réunissent depuis six ans plus de 500 participants venus des 16 « Ecoles d’Etudes Politiques » créées en Europe de l’Est, du Sud-Est et du Caucase, après la naissance de la « Nouvelle Europe ». La première a été créée à Moscou dès 1992. Elles regroupent chacune, un grand nombre de journalistes, d’enseignants universitaires, fonctionnaires et cadres dirigeants d’entreprise.

Depuis 2008, elles sont regroupées dans une Association que préside Catherine Lalumière.

La démocratie « Outre-Europe ».

Après les discours d’usage du Secrétaire Général T. Jagland, puissance invitante, du Ministre P. Richert, représentant le gouvernement et la Région Alsace dont il est le président, de R. Ries, sénateur-maire de Strasbourg, co-invitant, ce fut le tour de cet invité étranger à l’Europe, universitaire tunisien, membre du Gouvernement Provisoire.

Le Conseil de l’Europe qui tend davantage à conseiller, assister, mettre à disposition son expérience, qu’à donner des leçons, comme dans le cas des Ecoles de la Démocratie par exemple, vient déjà de s’ouvrir à l’ Outre-Europe, dans le jardin de la « Maison Commune » en créant par son Assemblée Parlementaire, le statut de Partenaire pour la Démocratie. C’est le parlement du Maroc qui, le premier, a obtenu par un vote confiant et unanime, ce statut en prenant des engagements contraignants. Inch Allah !

La Tunisie, prochaine élue ? Avec un représentant aussi brillant et déterminé que Ben Achour, l’affaire serait aisée. Mais voilà : il ne s’agit que d’un gouvernement provisoire.

Toutefois on rejoint là une notion d’Europe-Méditerranée et pourquoi pas au-delà. On y reviendra à propos d’un très ambitieux projet du Conseil de l’Europe et de nombreux partenaires.

 

« La leçon inaugurale ».

 

Les impétrants au Collège de France par exemple, savent ce que cet exercice exige de qualité. Eh bien, disons le, le discours sur le thème de « Ethique et Politique » pour cette session 2011, fut à cette hauteur. La réflexion philosophique sur l’éthique et la déclinaison de la philosophie politique a été abondamment nourrie d’Histoire de la pensée : de Aristote à Habermas en passant par Machiavel, Kant, Montesquieu, Rousseau, Tocqueville et bien d’autres, tous convoqués à bon escient. Comme au Collège de France !

Mais pas de langue de bois pour autant, comme le fit remarquer Catherine Lalumière dans son éloge, pas plus que d’illusions d’ailleurs.

Le constat de Michel Rocard lors de la 4° Université d’été (il y a deux ans dans le même lieu) semble se vérifier : « La démocratie n’est belle que sous les dictatures. Regardez toutes nos démocraties de l’Europe de l’Est que nous venons d’accueillir. Quand elles vivaient sous la dictature, ces nations connaissaient parmi leur peuple d’immenses courages, une aspiration énorme à la démocratie qui est allée jusqu’au sacrifice de la vie ». Et de poursuivre plus loin : « Mais cinq ans après l’indépendance le taux de participation électorale a déjà baissé de près de moitié. On vote de moins en moins et de plus en plus pour des extrêmes, et la démocratie donne l’impression d’être désespérément peu efficace ».

Sonnerie d’alarme activée !

Mais pour la Tunisie, on n’en est pas encore là, si tant est que ce décours soit irrémédiable.

 

Le ministre Ben Achour ne cache pas le désenchantement qui gagne toute la société dans son pays et la crainte de heurts graves qui, pense-t-il, accompagnent habituellement la transition démocratique.

Il n’avait pas parlé de religion dans son discours. Un auditeur tunisien Moncef Ben Slimane, professeur d’urbanisme et responsable d’un ensemble d’associations (plus de 80) oeuvrant pour la démocratie, avec une hâte peut-être impatiente, est venu lui rappeler cette composante, source de tant de conflits.

Certes, dans la « révolution » cet aspect n’avait pas eu de place. Mais il a bien fallu en venir à le prendre au moins en compte, la religion étant « au cœur du problème », comme en convient alors le ministre.

 

 Attaque en règle dans un cinéma.

 

L’événement de la veille( 19/06), rapporté au ministre par l’auditeur (ce n’est qu’un exemple) :

« Dimanche une cinquantaine d'islamistes ont tenté d'empêcher par la force la projection d'un film sur la laïcité de la cinéaste tunisienne Nadia El Fani, initialement intitulé "Ni Allah, ni maître".

Scandant "la Tunisie est un état islamique", ils ont brisé les portes du cinéma, situé en plein centre ville, et menacé des personnes dans la salle. Lam Echalm (l’association de Mr Slimane) qui avait organisé la projection du film dans le cadre d'une manifestation de soutien aux artistes tunisiens déplore également la lenteur de la réaction policière ».

En réponse, le ministre s’engage à ordonner une enquête et à poursuivre les coupables.

Des « heurts » de ce type sont courants, à tous les niveaux de la société. Un haut - fonctionnaire du Conseil de l’Europe en visite à Tunis s’amuse du « syndrome de la dégagite » qui a saisi de nombreux rebelles ou rétifs, toutes conditions et causes confondues. Des employés étendent par exemple l’injonction « Dégage » faite jadis à Ben Ali, au directeur de l’hôtel qui les emploie par des calicots brandis devant lui, en présence des clients. 

Heurts incontournables de la transition démocratique ? Ils ne sont pas tous aussi anecdotiques, mais on peut y voir quand même, ici ou là une organisation structurée qui ne s’était pas montrée pendant la conquête de la « liberté ».

Optimiste et confiant, le ministre ne peut cependant pas cacher son inquiétude avec lucidité. Il s’agit à présent de défendre des valeurs communes qui doivent prévaloir sur les valeurs ou idéologies individuelles ou corporatistes, de réaliser un pacte républicain pour la construction d’un « Etat de droit libéral et démocratique ». Laissons le s’exprimer en conclusion :

 

« Car, s’il existe un défi auquel le peuple tunisien doit se préparer pour la prochaine étape et pour lequel il doit se montrer vertueux, c’est-à-dire, libre et responsable c’est celui de la mise en place des ingrédients nécessaires à la construction d’un « Etat de droit libéral et démocratique » pour qu’enfin la liberté, l’égalité et la justice puissent retrouver leur pleine expression et le sens de leur plein épanouissement. Cela prendra du temps et cela dépendra de la volonté des Tunisiens ».

 

La volonté des Tunisiens ? Elle pourra s’exprimer dans les élections à l’Assemblée Constituante, reportées au 23 octobre. Dans ce scrutin à la proportionnelle de listes, les femmes seront représentées avec l’alternance « chabada », à la française. Et si, en le parodiant à peine et avec son consentement, on disait qu’Aragon aurait eu raison quand il aurait assuré que « La femme est l’avenir de… la Démocratie » ?

 

Antoine Spohr ( article paru sur Mediapart)

 


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