La victoire de Trump préfigure la débâcle du PS en 2017. Times are a changing !

par Bernard Dugué
mercredi 9 novembre 2016

La mondialisation, c’est aussi la synchronisation des tendances sociopolitiques, notamment dans des pays cousins comme les States et la France. « Un monde s’effondre, le vertige ! » Cette formule a été twittée par le très officiel ambassadeur de France aux Etats-Unis. La classe médiatique est surprise du résultat, comme elle le fut lors du vote sur le TCE en France puis lors du Brexit. Pourtant, les analystes ne peuvent pas être étonnés s’ils se penchent sur la vie des gens aux Etats-Unis et sur le fonctionnement de l’Etat ainsi que des médias. Les intellocrates n’ont visiblement pas capté le sens de ce jeu démocratique ressemblant à une mauvaise blague. Trois clés pour saisir la victoire de Trump qui est aussi la débâcle des démocrates battus du reste dans les deux chambres du Congrès.

(1) La désagrégation de l’instruction et la mise à l’écart d’une partie de la jeunesse. J’avais chroniqué il y a quelque années un livre signé Henry Giroux. J’en donne plus bas une copie*, en traçant à cette occasion un parallèle avec l’état peu engageant de notre système éducatif. Mêmes causes, mêmes effets. Les faiblesses de notre éducation nationale font le terreau du « populisme » dont l’un des ressorts est le déficit d’instruction. Mais aussi le déficit dans l’information ce qui conduit au point suivant.

(2) Des médias bien pensants et arrogants ont dit à l’électeur américain qu’il fallait voter Hillary et que Trump était le diable. Plus précisément, les journaux en vue ne sont pas bien vus dans les contrées reculées des Etats-Unis, là où les gens ne vivent pas comme à LA ou New-York ou parmi les classes en voie de déclassement dans l’Ohio. Les journalistes ont été hués dans les meetings de Trump. Ils sont perçus, à tort et à raison, comme méprisants. Mais aussi partisans et complices de ce qu’ils pensent être le Système avec ses élites mondialisantes et mondialisées. La France est sur ce chemin, avec des journaux sur le déclin, naguère promoteurs d’une culture mais devenus des tabloïds des bobos, comme l’Obs ou Libé par exemple.

(3) Le déclassement et l’abandon économique. On accuse la mondialisation de tous les maux. Or, si la fracture sociale s’étend, elle est due à des facteurs sociaux, politiques et nationaux. La mondialisation permet des échanges et favorise la croissance. Ce sont les politiques et les intellectuels qui n’ont pas su trouver le bon modèle pour que cette globalisation serve à transformer le modèle social avec une équité dans l’accès au monde matériel. Il existe des solutions, j’en ai déjà parlé. En réalité, la mondialisation a été captée par les mieux placés socialement et culturellement. Ce sont les classes supérieures et les Etats qui sont responsables de la situation, car ils ont abusé des systèmes de captation des revenus et des avantages fiscaux alors que des populations en masse se sont paupérisées. Ce constat vaut pour la politique des Etats-Unis jouée le temps de l’illusion Obama mais aussi la politique des pays européens et de la France. Les états ouvriéristes américain ont voté Trump. Le Nord de la France, patrie du socialisme ouvrier et de Maurois, vote FN. Mêmes causes, mêmes effets.

(4) Je rajoute un point supplémentaire. La banque de la colère, notion chère à Sloterdijk, a trouvé son candidat naturel, un certain Donald Trump. Chez nous, le FN peut jouer ce rôle.

On a assisté à la défaite des démocrates et d’un Système sociopolitique. Les Démocrates ne doivent s’en prendre qu’à eux-mêmes. La défaite est cuisante mais ils ont façonné le terrain pour la débâcle. Comme le dit la formule, dura lex, sed lex, que je transpose ainsi, la défaite est cruelle mais c’est la démocratie ! Les Etats-Unis sont clivés. Et c’est le paradoxe de la division d’un pays à une époque où tous les gens sont connectés. Le paradoxe est facile à lever pour qui sait se servir de la nouvelle philosophie de l’émergence (sur laquelle je travaille)

Pour compléter cette analyse, cette recension du livre de Giroux paru en 2013 mais pas traduit en français à ma connaissance. Je crois bien que ce texte éclaire le vote Trump. Mais aussi quelques similitudes avec la situation actuelle de la France. Ce qui semble annoncer la débâcle du PS en 2017. Que ce soit Hollande ou Valls, ils suscitent la même désaffection en France que Hillary Clinton face aux populations situés dans les franges déclassées et délaissées. Il ne faut pas s’en réjouir mais apprécier la situation et se dire qu’il ne faut pas se nourrir d’espoirs mais plutôt nourrir les espérances et les résistances. Ne pas trop attendre du politique mais plutôt de nos actions et pensées. Nous sommes libres et responsables. Ce qui n’empêche pas d’être attentif sur les signes d’un possible effritement de la civilisation occidentale.


L’Amérique en guerre contre sa jeunesse. Recension d’un livre de H. Giroux

Pour le grand public, l’Amérique est une hyper puissance n’hésitant pas à guerroyer aux quatre coins de la planète. On connaît un peu moins l’autre Amérique, celle des citoyens, une Amérique très contrastée avec ses cinquante Etats et ses populations diversifiées. Les clichés persistent mais la société a évolué, livrant aux observateurs une face inquiétante de ce pays devenu très singulier et dont certaines pratiques nous paraissent étrangères, ne serait-ce que ces armes en vente libre et ces parents instruisant leurs enfants à l’usage du tir à balle réelle dès le plus jeune âge. Ces mêmes enfants qui souvent sont empoisonnés de médicaments sous prétexte qu’ils sont hyperactifs. Ce qui semble n’être que des points de détail ou de simple excès traduit en fait l’évolution de la société américaine vers une tendance autoritariste, pas vraiment démocratique. Nombre de recensions médiatiques en font état, appuyées par quelques essais édifiant dont celui publié par Henry Giroux en 2013. L’auteur est professeur au Canada, spécialiste des questions d’éducation et surtout intellectuel critique dans le sillage d’Adorno et Marcuse. Le portrait qu’il livre de l’Amérique est cauchemardesque mais laisse place à l’espoir (Giroux, America’s education deficit and the war on youth, Monthly Review Press, 2013)

Giroux a focalisé son étude sur la manière dont est « traitée » la jeunesse, avec une analyse du système éducatif reliée à une observation approfondie du contexte politique actuel qui se durcit, devenant militariste, autoritariste, sans oublier la culture régnante dans les médias qui, loin de favoriser les réflexes citoyens et démocratiques, incline à la cruauté, la violence, l’individualisme, le carriérisme et la consommation comme seul horizon de l’existence. Ce contexte s’est révélé lors des élections présidentielles de 2012 et surtout lors des prestations républicaines aux primaires avec les surenchères droitières des prétendants et des discours autoritaristes, dirigés contre les faibles et l’aide sociale, mâtinés de culte militariste avec comme think tank la nébuleuse du Tea party. Bref, la réélection de Barack Obama ne doit pas nous illusionner. Ce n’est pas encore un signe d’espérance, c’est juste que l’Amérique a échappé au pire en écartant le candidat républicain selon Giroux. Le deuxième thème étant le capitalisme de casino. C’est ainsi que l’auteur désigne ce qui pour nous est du néo, voire de l’ultralibéralisme. La notion de capitalisme de casino me semble plus appropriée, signifiant bien les conséquences, les uns amassant en quelques années des fortunes, les autres mis à la porte une fois leur maison saisie par les banques.

2012 aurait ainsi été une année charnière, révélatrice, avec une rhétorique politicienne marquée par le darwinisme social et la culture militariste. Et une sorte d’élévation du politique au rang du religieux, processus bien plus dangereux que l’inverse, la politisation du religieux. En résumé, des idées totalitaires sont apparues dans le débat politique selon les dires de Giroux dans son introduction. La face sombre de l’autoritarisme s’est affichée.

Les quatre piliers du fondamentalisme américain : Les Américains restaient confiants dans leur mythe d’une nation libre vouée à déployer les valeurs d’égalité, justice et démocratie. Hélas, ce mythe a été bien écorné depuis les attentats du 11 septembre si bien que les Etats-Unis sont plus proches des pays autoritaristes comme l’Iran et la Chine. Telle est l’opinion de Giroux qui dans le second chapitre développe les traits de quatre fondamentalismes qui ont gagné le pays depuis deux décennies. (i), la religion du marché, (ii) le fondamentalisme religieux, (iii) le fondamentalisme dans l’éducation formatée, (iv) le culte pour le militarisme et la cruauté. Ces quatre caractères sont entrelacés et se complètent, étant propagés par deux piliers de la vie américaine, la rhétorique politicienne des intellectuels idéologues et surtout les médias. Le résultat, c’est une société cruelle, individualiste, vouée à la sanction du marché, la domination des plus forts, la mise au rebut des plus faibles, les attaques contre le système de solidarité, la diffusion de la cruauté, de l’esprit militarisé et pour clore le tout, une justification religieuse prenant les formes d’un prosélytisme pour une Amérique carrément théocratique. Bien évidemment, ces quatre fondamentalismes ne décrivent pas la totalité de ce pays largement contrasté dans ses cultures et classes sociales mais ils indiquent l’accroissement d’une tendance éloignant peu à peu l’Amérique de ses valeurs anciennes où l’humain avait sa place.

En fait, la religion du marché et le culte de la puissance militaire sont loin d’être étrangers à l’Amérique, pas plus que le fondamentalisme chrétien qui il y a des décennies, restait cantonné dans les paroisses mais qui actuellement, envahit la sphère des débats publics. Quant à l’éducation, elle subit des attaques depuis quelques temps et c’est ce phénomène que Giroux s’est proposé d’analyser avec force détails tout en reliant cette transformation du champ éducatif aux tendances culturelles portées par les trois autres fondamentalismes. Avec notamment la culture guerrière renforcée depuis une décennie, analysée dans le chapitre trois. Au welfare state s’est substitué le warfare state. Avec un flux interrompu d’images dans les médias incitant les spectateurs à visionner la violence, à jouir des humiliations perpétrées par les dépositaires de la force, à vénérer l’uniforme et les armes. Dans un tel contexte, la torture devient une méthode banalisée qu’on peut employer dès lors que l’ennemi est considéré comme une sorte de sous-homme. Alors que l’incarcération intempestive des jeunes et des minorités ne choque plus, comme si la case prison était naturelle pour une catégorie d’individus qui seraient nés pour finir entre quatre murs après avoir commis des délits. L’affaire Trayvon Martin est analysée comme un fait significatif de la vie américaine contemporaine. Ce jeune noir de 17 ans tué par un policier hors service a suscité une émotion nationale, révélant au peuple américain qu’il n’en avait pas fini avec le racisme.

Un constat important explicité avec une remarque du sociologue critique Wright Mills. Lorsqu’un régime devient autoritaire et violent, ce n’est jamais de manière spontanée et autonome. Il y a toujours un contexte social et culturel qui rend possible la germination d’un tel régime et surtout son enracinement. Et justement, enraciné il l’est, ce système pratiquant le capitalisme de casino et dont les plus féroces défenseurs plaident pour la suppression des aides sociales. On aurait pu penser que la crise de 2008 aurait refroidi ce régime économique et politique or il n’en a rien été. Le casino de la finance est revenu, grâce notamment à la politique bienveillante de la FED. Mais le plus important c’est le terreau social et culturel. La domination des plus riches n’a cessé de s’accroître depuis la crise financière. Et la rhétorique politicienne anti-sociale ne s’est pas effacée, loin s’en faut, certains Américains pas très « futés » étant même prêts à penser que les pauvres sont responsables des ennuis économiques du pays.

La production d’inégalités de revenus est l’un des signes amenant l’Amérique sur une pente dangereuse, celle d’un état autoritaire avec un pays intérieur perdant peu à peu le sens du contrat social et des solidarités encadrées par l’« Etat pour tous » au service du bien collectif. D’après Giroux, depuis 2000, le public américain a été amené vers une vision « dystopique » légitimant le marché comme seule solution, avec les initiatives privées et les coupes dans toutes ces mesures sociales catégorisées sous le vocable péjoratif d’assistanat. La société tend à devenir suicidaire en brimant les minorités, en punissant dès le moindre faux pas les jeunes d’une certaine catégorie, avec une police brutale et une politique de tolérance zéro qui serait accompagnée de succès si l’on en croit le maire Bloomberg de New-York. Pendant ce temps, l’Etat fédéral claque chaque année 700 milliards de dollars pour le budget militaire, un montant équivalent à celui dépensé par les autres pays de la planète.

La politique américaine tend à devenir suicidaire, mais avec un processus lent définissable comme corrosion du tissu social avec une dureté exercée contre la jeunesse, surtout si elle n’est pas de la « classe blanche et aisée ». La jeunesse n’est plus le lieu où la société place ses espérances et rêves, elle devient le signe d’un cauchemar qu’il faut masquer. Personne n’a préparé une génération à évoluer dans un monde si dur, cruel, privé d’espérances, conçu comme une jungle darwinienne (chapitre 5). Avec au final, pour reprendre une formule de l’auteur, une jeunesse vendue aux publicitaires, au système financier, au capitalisme de casino. Il y a ceux que l’on vend car ils sont bien formés et aussi solvables et les autres, sans éducation, livrés aux bons alimentaires ou aux petits boulots mal payés qui ces temps-ci se sont développés avec le contexte de crise. Sans autre alternative que la misérable errance ou alors un logement en prison. Quelques mouvances luttent contre ces tendances des Etats-Unis à suivre une voie suicidaire dont l’un des ressorts est la pulsion sadique. Le constat s’avère inquiétant.

Un tiers de l’ouvrage publié par Giroux concerne le devenir de l’éducation avec un chapitre nous introduisant aux tendances du moment avec comme exemple l’élaboration des manuels scolaires dans un Etat plutôt conservateur, le Texas. Une pédagogie de la censure et de l’ignorance est mise en place, en supprimant de la liste des personnalités éclairées Thomas Jefferson parce qu’il plaidait pour la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Par ailleurs, des notions comme impérialisme, démocratie, capitalisme, ont été remplacées par d’autres concepts moins connotés du point de vue politique. Les nouveaux manuels accentuent la description d’une séquence historique couvrant les années 80 et 90, celles de la « révolution conservatrice » en négligeant la séquence précédente avec ses mouvements civiques, ses luttes émancipatrices et la contre-culture dirigée notamment contre la guerre. Une novlangue s’y déploie, adaptée à la pensée sectaire qu’elle véhicule.

Ces attaques contre l’éducation ne sont pas des épiphénomènes. Elles faisaient partie de la rhétorique du candidat républicain aux primaires, Rick Santorum. Le dessein des « conservateurs » étant de barrer l’accès des élèves aux méthodes critiques avec le doute, le débat sur la société et ses valeurs, la mise en cause des décisions politiques, le sens de l’intérêt public, la possibilité qu’il existe une réalité entre le blanc et le noir. Une mouvance anti-intellectuels se dessine ; servant de ressort à une culture de l’autoritarisme et de l’Etat autoritaire qui semble émerger en ce 21ème siècle en se superposant à ce qui, en comparaison, était un Etat providence il y a quarante ans. L’éducation devient une formation et une instruction pour naviguer dans l’Etat autoritaire, le marché, la consommation, en laissant de côté la raison et le débat critique. Tel se présente le nouveau fondamentalisme où politique et religion s’amalgament. D’après Giroux, cette nouvelle pédagogie est dangereuse pour l’avenir. Elle conduit à délaisser la raison, l’intérêt public, la politisation du citoyen, au profit d’une instruction finissant par ressembler à une rhétorique sectaire.

Les attaques sont menées sur la culture, les contenus, les méthodes pédagogiques, les enseignants ainsi que le fonctionnement des établissements où la police dispose de ses entrées et ses méthodes musclées. Si bien que les cas de jeunes élèves finissant au poste se généralisent, avec des motifs anodins, un geste déplacé, un mot de trop, une bataille de boulettes de pain à la cantine. Cet ordre autoritaire se marie parfaitement avec la culture pratiquée par ceux que Giroux désigne comme intellectuels fermés (gated intellectuals). Fermés à l’éthique, à l’éveil du sens de la responsabilité envers les autres, au sens critique appliqué à l’observation de la vie politique et économique. Intellectuels fermés aussi dans le sens où ils ouvrent vers un horizon unique, celui de l’insertion de l’élève dans le grand marché avec des gros lots à gagner mais surtout beaucoup à consommer pour ceux qui obéissent à la dure règle du jeu. Une éducation formant des zombies ivres de centres commerciaux et autres divertissements, étrangers aux sentiments éthiques. L’actualité semble donner une illustration de ce constat tracé sur les intellectuels fermés qui sont peut-être aussi ceux poussant Obama à intervenir en Syrie. Auquel cas, l’hypothèse d’un président coincé par une frange dure mais tentant de s’y opposer tient la route. Une frange d’anti-intellectuels qui occupent les plateaux de télévision pour instiller leur rhétorique à sens unique formant des gens stupides.

Face à ce constat sombre et cauchemardesque, Giroux n’incite pas à accepter le monde tel qu’il est. Il consacre quelques pages aux mouvements alternatifs constitués dans le sillage de la crise de 2008 et l’après-Bush, mouvances parmi lesquelles la plus connue du grand public est OWS. Il faut résister au capitalisme de casino et au warfare state en développant l’éducation, le sens critique, la liberté de parole et d’analyse (chapitres 8 et 10). Le mouvement « Occupy » est à la fois intellectuel et politique. Il est plus structuré que nos indignés européens avec leurs tentes sur les grandes places espagnoles. Il se veut indépendant des autorités professorales, mais néanmoins revendiquant le label qualité des universitaires et des experts. Et prend soin de développer un langage qui soit celui de la critique, de l’éclairage, de la réflexion, de l’ouverture. Ce qui s’inscrit dans le ressort éducatif comme résistance face au capitalisme guerrier, fondamentaliste et darwinien. Face à la novlangue ultralibérale qui ferme l’esprit, il faut une langue riche et affranchie permettant de donner à voir et à penser. Et d’être visionnaire en réfléchissant une existence non réduite à la consommation de biens et services. Inventer une autre société avec des valeurs partagées pour résister à l’individualisme. Bref, OWS est aussi un combat pour l’espérance. Un mouvement qui se veut visionnaire, basé sur l’intelligence et la raison. Ce combat mené avec l’usage des mots et du sens semble bien relever de Hegel plutôt que de Marx. La lutte de la classe, celle des gens instruits !

Le portait de l’Amérique signé Giroux est saisissant. Il s’inscrit dans des cadrages multiples. Je vous en propose trois. D’abord le volet socioculturel. Les phénomènes décrits par l’auteur ne tombent pas du ciel. On en voyait les prémisses en lisant les écrits de Lasch, d’abord sur le narcissisme qui parfois devient haine de soi et se projette sur les autres. Puis sur cette révolte des élites en rupture avec les responsabilités et les valeurs observées par les anciens. Ainsi, le processus américain a conduit le pays vers sans doute l’esquisse d’un nouveau régime. Leo Strauss nous explique que les citoyens sont en cohérence avec le régime et donc, le portait de l’Amérique du warfare state et du capitalisme de casino laisse penser à l’avènement de ce régime autoritaire dénoncé par Giroux. Avec, comme ressort, un nihilisme d’un genre nouveau, pas celui des Allemands du début du 20ème siècle mais celui des élites ultralibérales et fondamentalistes qui refusent de vivre avec les valeurs de solidarité et d’entraide avec l’aide des plus faibles. Après le cadrage socioculturel d’un Lasch et l’explication idéologique à la Strauss, on proposera une incursion dans le psychopolitique avec l’ouvrage inachevé de Broch sur la folie des masses où une similitude se dessine. D’un côté, vers 1910-30 les chefs politiques joueurs désignés aussi comme démagogues démoniaques guidant les masses en leur proposant des moyens pour satisfaire les pulsions archaïques et infantiles supportées par des fixations délirantes (cf les gated intellectuals). De l’autre côté en 2013, les élites américaines du capitalisme de casino avec leurs obsessions fondamentalistes, militaristes et leur sadisme maîtrisé ; des élites qui semblent répondre au portrait des hommes démoniaques du crépuscule.

Il faut se souvenir où nous ont mené, entre 1914 et 1945, les hommes du crépuscules, en Europe, au Japon et ailleurs. On doit prendre au sérieux cet essai de Giroux et être conscient que si on laisse les démoniques aux manettes, ça pourra mal finir, avec un monde autoritariste, policier et brutal, pire qu’actuellement.

Ceux qui, assurés de revenus corrects, ne s’inquiètent que de leur retraite en espérant une vie sereine dans un monde sûr ne méritent ni l’une ni l’autre et d’ailleurs n’auront ni l’une ni l’autre (paraphrase d’une formule bien connue).

Enfin, on ne peut passer sous silence l’actualité avec l’administration américaine qui, selon Brzezinski, doit maintenant faire avec l’éveil d’une conscience politique qui s’oppose à la guerre et dont l’instruction passe par les médias alternatifs (cf. mon précédent billet sur la mouvance anti-système). Pour info, un dernier sondage Gallup indique que seulement 23% des Américains font confiance aux médias de masse (mainstream) qui s’essoufflent, laissant présager l’avènement d’une nouvelle ère. Il se passe quelque chose d’important cette année 2013 et pour en comprendre quelques ressorts, lisez ce percutant essai de Giroux ! We are the hope !


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