Le 11 septembre et les versions non officielles : quelles logiques sont à l’œuvre ?

par Chem ASSAYAG
jeudi 27 juillet 2006

Pourquoi et comment les thèses sur le thème « la vérité est ailleurs » autour des causes du 11/09 connaissent-elles autant de succès ? Ce sujet troublant mérite qu’on s’y arrête et qu’on se pose aussi la question de la crédibilité de ces thèses alternatives.

Carlo Revelli publie à nouveau un article sur la couverture médiatique du 11 septembre et plus particulièrement sur la « publicité » - ou l’absence de publicité - faite aux hypothèses remettant en cause la version officielle des attentats. Le succès des articles sur ce sujet et les nombreux commentaires qu’ils suscitent révèlent un vrai trouble alors que le scénario officiel paraît pourtant solidement établi.

Tout d’abord il convient de noter que toutes les interprétations alternatives convergent vers deux affirmations centrales : on ne nous dit pas la vérité d’une part, et le gouvernement américain - ou ses alliés, ou la CIA, ou les néo-conservateurs... autant de variantes du même thème - sont en fait derrière ces attentats d’autre part. Ces thèses qu’on qualifiera de « complotistes » ont connu des fortunes diverses, on se souvient par exemple du succès inattendu de l’ouvrage « L’effroyable Imposture » de Thierry Meyssan, mais il semble que ces derniers temps, elles connaissent un regain d’intérêt.

Au-delà du contenu même de ces théories, sur lequel nous reviendrons, il nous paraît pertinent de nous interroger sur leur émergence et sur leur résurgence actuelle.

Approximations et cercle vicieux

Les attentats du 11 septembre ont provoqué une forme de sidération (« suspension brusque des fonctions vitales », et l’on peut associer à ce mot l’image d’un George Bush comme absent lorsqu’il apprend la nouvelle dans une école) sur nous tous. Après cet état il faut être capable de digérer l’évènement, de le surmonter et de rejoindre le flot vital. Un des besoins essentiels pour reprendre le cours des jours est celui de la compréhension : pourquoi ces attentats ? Qui ? Comment ? Ces explications sont pour les populations touchées, et en un sens le « Nine Eleven » est la première catastrophe médiatique mondialisée en temps réel ce qui a fait de nous tous des personnes concernées, indispensables pour vivre à nouveau. Devant l’ampleur de la catastrophe il faut une causalité, des responsables, et demain des coupables. Dès lors les Pouvoirs Publics, et en l’occurrence le gouvernement américain, doivent être immédiatement capables de fournir des explications. Ne pas donner de grille de lecture à ces évènements revient à rendre impossible le retour à la vie des survivants. Alors des explications sont fournies : Ben Laden et Al-Qaïda, les terroristes saoudiens, les leçons de pilotage... et elles sont vraies. Mais lorsque des zones d’ombre existent, lorsque les autorités ne possèdent pas tous les éléments, elles biaisent, tronquent, passent sous silence. En effet au moment des faits, il est impossible de dire « nous ne savons pas » car cela ajouterait l’impuissance au désastre. A ce moment, le doute n’est pas permis car il indiquerait une faiblesse supplémentaire. En ces jours troublés tout discours autre que celui des explications serait inaudible par les populations : elles veulent des explications car elles en ont besoin pour surmonter leur détresse.

Dans les semaines ou les mois qui suivent le 11 septembre, les plaies sont encore béantes et personne ne revient sur les omissions ou les à peu près, mais une fois cette période passée, certains - journalistes, écrivains, internautes - s’en emparent et les mettent à jour. Le cercle vicieux se referme alors : il est impossible pour les pouvoir publics de reconnaître qu’ils n’ont pas tout dit ou qu’ils ont donné une information partielle, ce qui contribue en retour à alimenter toutes les rumeurs ou les théories.

Un terrain favorable

Dans ce contexte, les théories conspirationnistes vont trouver un terrain favorable pour se déployer, puis vont connaître une vitalité nouvelle depuis quelques mois ; on pense par exemple au film « Loose Change  » de Dylan Avery qui a connu un retentissement important. A notre sens plusieurs facteurs convergents vont permettre ce nouvel élan : tout d’abord une raison totalement exogène au sujet qui est l’explosion du phénomène des blogs et de la diffusion vidéo sur le Net. Un nombre croissant d’internautes peuvent élaborer et faire connaître leurs opinions ou thèses et les étayer en partageant des vidéos, des interviews... et le 11 septembre a évidemment été un de leurs thèmes de prédilection. De même on peut penser qu’il est toujours plus séduisant, et ce quel que soit le sujet, de travailler sur le mystère, le non-dit, le caché, plutôt que d’avaliser une explication rationnelle, mais trop lisse. Et d’ailleurs plus les scénarios alternatifs seront "osés" plus leur popularité sera grande.

Le second facteur à prendre en compte est lié à la perception des phénomènes hors du commun ; lorsque « l’impensable arrive », en l’occurrence que des terroristes aient pu ourdir de tels attentats et faire vaciller l’hyper-puissance américaine, avec des moyens finalement limités, il faut, après le choc initial, faire revenir l’évènement dans l’ordre du possible. Dans ce cas précis cela se traduit par l’idée que seules des personnes très puissantes, au cœur même du système, auraient pu organiser les attentats.

Le troisième élément à intégrer est le fiasco complet de la guerre en Irak qui contribue à délégitimer un peu plus l’administration Bush. Par un paradoxal retour de boomerang, alors que le dossier irakien n’a rien à voir avec les attentats du 11/09 contrairement d’ailleurs à ce que voulait faire croire l’administration Bush, l’échec américain à Bagdad libère les paroles et les critiques sur le dossier des attentats. L’enlisement dans le bourbier afghan ne contribuant évidemment pas à arranger les choses. Le fait que Jean Pierre Chevènement, grand pourfendeur des Etats-Unis, puisse préfacer le livre de Jürgen Elsässer n’a dès lors rien d’étonnant.

Enfin la situation internationale (tensions au Proche orient, crise iranienne, guerre au Liban) alimente l’anti-américanisme et les ennemis de l’Oncle Sam trouvent dans le débat autour des causes du 11 septembre un sujet idéal de critique des Etats-Unis.

Mobiles et moyens

On nous a donc menti : tel est le nœud central du récit conspirationniste. A partir de là, il est facile de dérouler une histoire, quelle qu’elle soit, puisque par définition ceux qui nous mentent ne vont pas venir nous le confirmer. Pierre André Taguieff analyse très bien ce mécanisme auto-régulateur des différentes formes des théories du complot dans son livre paru en 2005 - La foire aux illuminés, Ed. Mille et Une Nuits. Mécanisme qui disqualifie par avance toute critique de la théorie du complot (celui qui nie la théorie du complot devient à son tour suspect).

Dès lors il est presque vain d’essayer d’aborder et de réfuter, point par point, les "zones d’ombre" soulevées par les uns et les autres car très rapidement les débats deviennent totalement incompréhensibles. A titre d’exemple les questions soulevées par certains spécialistes ou présumés tels sur l’effondrement des tours du World Trade Center avec force schémas, argumentaires sur la structure des matériaux, la résistance des solides, les phénomènes d’implosion et d’explosion, afin de prouver que des charges explosives avaient été placées dans les tours pour les faire s’effondrer est totalement hermétique pour le profane (d’autant plus que des experts patentés soutiendront des conclusions totalement inverses à partir de l’analyse des mêmes phénomènes).

Aussi, seule une appréhension globale semble pertinente pour "démonter" les théories conspirationnistes sur le sujet. Dans ce contexte revenons sur l’hypothèse clé de ces théories : les attentats du 11 septembre ont été facilités voire organisés par des hommes de l’ombre appartenant aux services secrets américains et leurs alliés et/ou des membres influents de l’administration américaine notamment néo-conservateurs et/ou le complexe militaro-industriel américain. L’objectif de ces hommes étant d’étendre leur pouvoir et leur influence à des fins mercantiles et stratégiques. Là où cette théorie nous semble inopérante - nous n’évoquerons même pas les implications morales, politiques et juridiques de telles affirmations qui sous-tendent que ces hommes ont sciemment tué des milliers d’individus, nous nous plaçons ici délibérément dans l’hypothèse où tout serait possible à des fins de démonstration - c’est que les mêmes objectifs auraient pu être atteints beaucoup plus facilement et avec un coût (humain, financier, géopolitique) et une prise de risque bien moindres.

Prenons quelques exemples des justifications avancées : les attentats du 11 septembre auraient servi de justification à la guerre en Irak pour s’approprier des réserves pétrolières stratégiques. Or nous avons bien vu que les Américains sont partis en guerre en Irak sans mandat clair et en tentant de monter un dossier indépendamment du 11/09 (voir par exemple l’épisode du soi-disant enrichissement d’uranium commandité par Bagdad). Nul besoin de faire autant de victimes avec les attentats pour lancer et justifier cette guerre dont le fiasco par ailleurs est patent. De même, ces attentats auraient permis à certains de spéculer et de s’enrichir : pour cela, là encore, nul besoin de faire des choses aussi complexes et "coûteuses". Quelques rumeurs distillées intelligemment sur les marchés financiers - et nos hommes de l’ombre qui sont si puissants pourraient le faire sans problème - permettent d’atteindre le même résultat beaucoup plus simplement. Le 11/09 aurait aussi permis de justifier des mesures restrictives en, matière de libertés civiles. Mais là encore dans quel but ? Connaître les conversations de Mr Smith ? Prendre le risque politique d’une levée de boucliers sur le sujet ? Pas très malin...

En somme les thèses du complot ne résistent pas à l’examen du mobile, ou en tout cas des moyens mis en œuvre. Ces moyens paraissent totalement disproportionnés et inutiles quant aux résultats visés. Ainsi les adeptes des théories du complot nous dépeignent des individus puissants, d’un cynisme effrayant, sans foi ni loi, manipulateurs, en somme des monstres, mais qui dans le même temps utiliseraient des méthodes totalement inadaptées pour atteindre leurs objectifs. Etrange paradoxe...

En conclusion on pourra faire plusieurs remarques : les autorités américaines ont sans doute occulté ou travesti une partie de la vérité sur les attentats du 11 septembre sans que fondamentalement cela remette en cause la réalité des auteurs et de leurs mobiles. L’implication passée des services américains dans l’instrumentalisation et l’utilisation des groupes islamistes au temps de la guerre froide et plus particulièrement au cours de la guerre en Afghanistan contre les Soviétiques ne les ayant sans doute pas incité malheureusement à être toujours très transparents sur ces questions... De même si certains ont « profité » des attentats - on peut penser par exemple aux attributions d’un grand cynisme de stock-options le 12 septembre au moment où les cours se sont effondrés ou à l’utilisation politique qu’en a faite l’administration Bush - cela n’en fait pas les organisateurs ni les instigateurs. Il y’a là une immense différence. Enfin sur des sujets aussi graves, il convient à chacun de réfléchir et de se faire son opinion en résistant aux sirènes toujours séduisantes de « la vérité est ailleurs ».


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