Le Canada impliqué dans un fiasco pré-électoral au Nigéria

par Michel Monette
lundi 20 novembre 2006

Ce qui se passe présentement au Nigéria ressemble étrangement aux ratés du vote électronique lors des élections municipales québécoises de 2005. Sauf que cette fois-ci, c’est en amont du vote que ça va mal. Le Nigéria a beaucoup de difficultés à mener à bien son opération d’enregistrement électronique des électeurs. Ce n’est pourtant pas faute de soutien de la communauté internationale, dont le Canada.

L’Agence canadienne de développement international (ACDI) participe au Fonds commun de soutien aux élections de 2007 au Nigéria. Outre l’ACDI, l’Union européenne, le UK Department for International Development (DFID) et le programme des Nations unies pour le développement (PNUD), contribuent ensemble pour plus de 40 millions de dollars « afin de fournir un appui coordonné aux élections de 2007 au Nigeria sur une période de dix-huit mois ». US Aid fournit aussi quelques millions de dollars d’aide « to promote and support free and fair elections ».

Une phase essentielle d’élections libres et honnêtes, l’enregistrement des électeurs, se déroule depuis le début du mois d’octobre. Les autorités électorales du Nigéria (l’INEC) ont opté pour des machines qui enregistrent numériquement des données nominales et biométriques sur chacun des électeurs. L’objectif est de réduire la fraude à néant.

Cette opération capitale va mal. D’une part, il n’y a pas assez de machines, d’autre part, plusieurs des machines ne fonctionnent pas correctement.

Ajoutons à cela que des millions d’électeurs, sur les soixante millions que compte le Nigeria, sont très réticents à se rendre dans les centres d’enregistrement. Compte tenu du contexte, on les comprend de ne pas vouloir fournir aux autorités l’occasion de les ficher.

Il semble que la technologie utilisée ait été développée par IBS Corporation, une firme qui se spécialise dans les guichets de transactions bancaires électroniques. C’est un créneau qu’occupe aussi Diebold.

Un des dirigeants de la firme, Roger Perez, a déclaré à la fin du mois de septembre dernier que sa firme avait été choisie parmi vingt autres soumissionnaires au Nigéria. Perez a ajouté : « In the US you have to spend thousands of dollars before you get certified. I went to Nigeria. There were twenty vendors who participated, including Diebold and ES&S. We got the contract. »

Le Nigéria servira-t-il de banc d’essai à une technologie peu éprouvée, certifiée au petit bonheur, donnant des résultats qui vont sérieusement compromettre les chances d’élections honnêtes ? Les contribuables canadiens ont certes droit à des explications.

Encore là, le parallèle avec le Québec est troublant. Les fabricants de machines électroniques ont pu vendre aux municipalités québécoises des machines à voter sur la seule base de la confiance. Les normes de certification étaient à ce point déficientes que plusieurs municipalités se sont retrouvées face à de sérieux problèmes.

Le marché de l’enregistrement électronique des électeurs, et du vote électronique, est un marché en pleine expansion partout dans le monde. Plusieurs joueurs sont impliqués et des sommes élevées sont en jeu.

Il serait intéressant de savoir combien de millions de dollars sont dépensés en lobbying auprès des organisations des Nations unies, des gouvernements des pays donateurs, ainsi que de ceux qui reçoivent l’aide internationale.

Dans le cas du Nigéria, les transactions autour de l’acquisition des « epoll books » sont quelque peu nébuleuses. Des soumissionnaires nigérians, qui comme par hasard seraient de l’entourage du président sortant, auraient obtenu les contrats qu’ils auraient par la suite sous-contractés.

Ces informations sont difficilement vérifiables. Il faut s’armer de patience si l’on veut réussir à remonter la filière. Nous attendons des réponses aux questions que nous avons posées par courrier électronique à quelques intervenants dans le dossier, dont l’ACDI.

Le pire, c’est que l’INEC voulait aussi que le vote se fasse électroniquement. Le Sénat nigérian a refusé. Les sénateurs auront peut-être trouvé que c’était pousser trop loin la farce.


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