Le cauchemar étasunien, partie 1 : ce rêve qui n’est plus qu’un rêve

par Laurent Herblay
jeudi 19 octobre 2017

Dans la grande mythologie étasunienne, le pays de l’Oncle Sam serait le pays où quiconque, en travaillant et avec du talent, pourrait réussir, le pays qui permettrait à ceux qui le veulent et s’en donnent les moyens de réussir, bien plus que dans cette vieille Europe sclérosée et conservatrice. Sauf que dans la réalité, c’est absolument l’inverse, comme le reconnaissent même les défenseurs de son modèle.

 

L’ascenseur social bloqué par les inégalités
 
Le « rêve américain » n’est plus qu’un rêve, justement. Dans l’imaginaire collectif, les Etats-Unis sont le pays où tout serait possible, pour qui a du talent et travaille, un pays dont l’ADN serait la juste récompense de l’effort. Bien sûr, quelques stars du sport, du monde artistique ou du monde des affaires peuvent sembler le démontrer. Mais ici, quelques arbres cachent la forêt. Même The Economist reconnaît depuis des années que l’ascenseur social est largement bloqué outre-Atlantique, soulignant qu’il marche sensiblement mieux dans cette Europe continentale si étatiste, y compris en France. Car la réalité est là : notre pays offre davantage d’opportunités d’ascension sociale que les USA.
 
 
Même la bible des élites globalisées dénonçait il y a deux ans « la nouvelle aristocratie des Etats-Unis  » et le fait que « les privilèges viennent de plus en plus en héritage  ». Dans ce dossier, The Economist soulignait le rôle du système éducatif, et du différentiel grandissant de dépenses selon les classes sociales. Mais, contre toute logique, l’hebdomadaire ultralibéral refusait de faire le lien entre l’explosion du coût de l’éducation et celle des inégalités. Krugman rappelait pourtant dans « L’Amérique que nous voulons  » qu’un élève du dernier quart de sa classe de 4ème issu du quart le plus riche avait autant de chance d’aller à l’université qu’un élève du 1er quart issu d’une d’une famille du dernier quart.
 
Pire encore, les chiffres des inégalités sont absolument effarants aux Etats-Unis  : si les revenus réels moyens ont progressé de 17% de 1973 à 2012, ici, la moyenne est extrêmement trompeuse. Sur cette même période, les revenus des 99% les moins riches ont stagné, et ceux des 90% les moins riches ont baissé de 13%, au plus bas depuis 1965. Dans le même temps, les revenus du 1% le plus riche ont progressé de 187% quand ceux du 0,1% le plus riche se sont envolés de 381%. En outre, à rebours de ces évolutions, depuis les années 1970, les impôts sont devenus bien moins progressifs, les taux marginaux d’imposition étant passés de 70% sous Nixon à moins de 50% aujourd’hui.
 
 
Thomas Piketty et Joseph Stiglitz ont largement documenté et dénoncé cette explosion des inégalités. The Economist y apporte aussi sa contribution : il montrait l’explosion de la rémunération des grands patrons depuis la fin des années 1970, passée de 1,5 à près de 10 millions en 30 ans. Il rapportait aussi l’étude de trois économistes français, Xavier Gabaix, Augustin Landier et Julien Sauvagnat qui ont montré que le revenu médian est resté stable de 1970 à 2011, alors que le PIB étasunien a été multiplié par 3, démontrant que la croissance n’est pas parvenue à la grande majorité, alors que les salaires des patrons ont été multiplié par 12 et la valeur des entreprises par près de 5.
 
 
Le rêve étasunien est largement mort et enterré, à quelques exceptions près. Dans la réalité, il est bien plus facile de réussir en France que de l’autre côté de l’Atlantique, où 1% de la population seulement récupère tous les fruits de la croissance des dernières décennies, créant une aristocratie pas moins hermétique que la noblesse des anciens régimes européens.

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