Le cauchemar étasunien, partie 2 : l’éducation comme barrière sociale
par Laurent Herblay
samedi 21 octobre 2017
Contrairement aux idées reçues, les Etats-Unis ne sont vraiment pas un pays qui permet l’ascension sociale. Une des raisons majeures de cet état de fait vient du système éducatif, largement privatisé au niveau de l’enseignement supérieur, qui créé un mur de l’argent difficilement franchissable. Un système extraordinairement cher et finalement bien peu performant.
Une éducation supérieure à vendre
Au risque de me répéter, la statistique rapportée par Paul Krugman est aussi révélatrice que choquante : un élève du dernier quart de sa classe de 4ème, mais du premier pour les revenus de ses parents, a autant de chances d’aller à l’université qu’un élève du premier quart de la classe, mais du dernier pour les revenus de ses parents. Voilà pour la méritocratie étasunienne : un très bon élève pauvre n’a pas plus de chances de faire de bonnes études qu’un très mauvais élève riche. Mais est-ce étonnant quand une année d’université coûte 10 000 dollars dans le public et 30 000 dans le privé et que leur prix a progressé cinq fois plus vite que l’inflation depuis 35 ans, comme le rapporte The Economist ?
Du coup, l’éducation supérieure représente 2,7% du PIB, un record de l’OCDE, quand les pays européens sont en moyenne deux fois plus bas, avec deux tiers des dépenses dans le privé, quand l’Europe dépense plus dans le public. Bien sûr, certains classements affirment que les universités étasuniennes sont les meilleures du monde, mais on peut se demander s’il n’y a pas un immense biais financier et que ces classements ne reflètent pas seulement le fait qu’elles sont les plus riches du monde, mais en aucun cas celles qui enseignent le mieux. Dans la jungle étasunienne, le coût est souvent peu corrélé à la qualité, comme on le voit avec la santé, sur laquelle je vais revenir.
D’ailleurs, plusieurs études pointent le piètre niveau scolaire des étasuniens, dont les performances dans les études PISA, déjà faibles, ne cessent de baisser. Mais après tout, pourquoi travailler si, finalement, c’est la richesse des parents qui comptera le plus au final ? Et dans ce système injuste, pas étonnant que les universités étasuniennes soient devenues des temples arrogants aux campus somptuaires, où l’éducation perd de son importance. Les administratifs occupent un poste sur deux, contre un sur trois il y a 40 ans, et les étudiants n’ont plus que 14 heures de cours par semaine contre 24. Les universités étasuniennes, c’est le royaume de l’arbitraire où seul l’argent semble finalement compter.
D’ailleurs, dans un ancien dossier de The Economist, on voyait que les Etats-Unis étaient, avec la Grande-Bretagne en bas des classements de l’OCDE pour le niveau scolaire des 25-34 ans étant passé par la fac ! A quoi bon dépenser deux fois plus que les autres pays, si c’est pour obtenir un moins bon niveau ! Même Harvard est critiqué par The Economist, se demandant si cette institution, dont le MBA coûte 71 635 dollars par an, n’était pas « plus centrée sur l’argent et les contacts que les idées ». Tout ceci montre que laisser l’éducation au marché est totalement improductif et créé de multiples effets pervers, entre baisse de niveau, gâchis extraordinaire d’argent, et profonde injustice sociale.
D’ailleurs, une étude récente rapportée par The Economist démontre l’incroyable prédéterminisme social de la société étasunienne, où les enfants de parents « bien éduqués » gagnent 75% de plus que les enfants de parents « peu éduqués », l’écart le plus important rapporté, devant la Grande-Bretagne, où l’écart est de plus de 50%, la France arrivant en milieu de peloton, à 40%, quand l’écart tombe à moins de 30% en Allemagne et au Canada et moins de 20% en Norvège. La coûteuse privatisation de l’éducation revient à édifier un mur d’argent entre classes sociales, qui, s’il n’est pas physique, pourrait bien être encore plus haut que les projets de Donald Trump entre les Etats-Unis et le Mexique.
Quel triste message la société étasunienne envoie à sa jeunesse ! Les méritants qui n’ont pas les moyens peuvent difficilement accéder à l’université, quand les sales gosses de riches peuvent toujours se rattraper à l’argent de leurs parents. Outre un caractère profondément injuste et oligarchique, les élites souhaitent-elles vraiment que la société qu’elles dirigent envoie un tel message à leurs enfants ?