Le cauchemar étasunien, partie 3 : une société en mauvaise santé

par Laurent Herblay
mardi 24 octobre 2017

Les Etats-Unis sont une société où l’ascension sociale est extrêmement difficile, du fait des inégalités, mais aussi d’un système éducatif profondément oligarchique. Mais la privatisation du service public n’a pas seulement fait des dégâts dans l’éducation. Elle a aussi profondément endommagé un système de santé au coût exorbitant, malgré un mauvais état de santé, et qui se dégrade.

 

L’horreur derrière l’Obamacare
 
En 2008, Paul Krugman se lamentait du système de santé de son pays, qui coûte en moyenne deux fois plus cher qu’en Europe et au Canada, tout en excluant alors 15% de la population et en ne permettant au pays d’atteindre que la 37ème place du palmarès de l’OMS. Près de dix après, alors que l’Obamacare est la réforme phare de l’ancien président, le bilan est au mieux mitigé. Certes, elle a permis de réduire le nombre de personnes non couvertes, mais seulement d’un tiers. Pire encore, cette réforme a accouché d’un monstre au coût complètement délirant. The Economist rapporte que les primes d’assurance ont augmenté de 22% en 2017 et devraient encore augmenter de 19% en 2018 !
 
 
Les chiffres donnent le tournis : pour une personne gagnant 68 200 dollars, l’assurance coûte plus de 6 000 dollars à 40 ans et 15 000 dollars à 64 ans, quand un couple de 55 ans de l’Iowa gagnant 68 000 dollars doit consacrer 33 000 dollars de primes pour s’assurer, la moitié de son revenu ! L’envolée du coût de l’Obamacare provoque d’ailleurs une remontée du nombre de non couverts. Il y a un peu plus de 2 mois, The Economist avait même affirmé que « la solution pour réparer le système de santé étasunien a déjà été testé quelque part en Europe », soulignant la performance désastreuse d’un système aussi coûteux qu’incapable de maintenir les étasuniens en bonne santé.
 
 
Car les indicateurs sont cruels pour l’Oncle Sam. Une étude récente montre que pour la génération née en 1996, les Français sont plus grands que les étasuniens, un résultat à mettre en regard de l’utilisation d’hormones de croissance dans le bétail, qui déclenche des pubertés très préoces, mais très courtes aussi. Tout indique une situation sanitaire préoccupante, comme la hausse de la mortalité entre 45 et 54 ans pour les blancs non hispaniques depuis 1999, avec, outre les maladies, un triplement des décès par drogue et une augmentation de 60% des suicides, des victimes qu’Angus Deaton, « prix Nobel » d’économie, lie à la baisse du niveau de vie et au manque de couverture sociale.
 
 
Le pays est confronté à une envolée des décès par overdoses d’opïodes : plus de 60 000 en 2016, quand les accidents de la route font 35 000 victimes par an et les armes à feu 36 000. Ce qui est effarant, c’est le rythme de la progression puisqu’il n’y avait que 4 000 victimes en 2000. En cause : l’héroïne, mais aussi les médicaments à base d’opioïdes, dont 650 000 ordonnances sont délivrées par jour… Angus Deaton parle de « morts du désespoir  », rappelant qu’en 1999, il y en avait 35 par an pour 100 000 habitants blancs de 50 à 54 ans au Etats-Unis contre 60 en France ou en Allemagne, et qu’aujourd’hui, on est à 85 outre-Atlantique et moins de 45 dans les deux pays européens.
 
 
Un autre indicateur très parlant révèle la dégradation de la situation : la remontée du taux de mortalité infantile pour les bébés noirs depuis 2014, pourtant déjà deux fois plus élevé que pour les blancs. Enfin, une étude du début d’année de la revue scientifique The Lancet évoque une autre triste réalité : la progression de la mortalité des 25-35 ans : « l’ampleur d’une telle hausse est comparable à celle de deux cas d’urgence sanitaire observés dans le passé : la progression substantielle de la mortalité en Russie au cours des années 1990 et la hausse de la mortalité (…) au sommet de l’épidémie de sida  ». Les raisons invoquées sont les overdoses, l’alcoolisme, les suicides et les homicides.
 
 
Ce qui est frappant aux Etats-Unis, c’est que ce pays montre qu’un recul de la situation sanitaire dans un pays dit développé est possible, ce qui n’en reste pas moins étrange étant donnée l’immensité des richesses supplémentaires créées depuis. Comme le note Angus Deaton, il semblerait malheureusement que l’abus d’ultralibéralisme soit dangereux pour la santé, pour ne pas dire mortel.
 

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