Le compromis de la transition en Tunisie
par Ridha SAHLI
vendredi 21 janvier 2011
Comment assurer la transition vers un Etat démocratique ?
Il est incontestable que tous les conseillers politiques du dictateur Ben Ali, le déchu, n’avaient jamais imaginé dans leurs scénarii une disparition aussi tragique et historique de celui-ci. D’ailleurs, aucun enseignement académique de sciences politiques ne pouvait prévoir un tel schéma de fin de règne. Et il est évident qu’aucun tunisien et aucune chancellerie ne pouvaient supposer un instant qu’un marchand ambulant allait mettre fin à un pouvoir de terreur.
Toutefois, pour ceux qui connaissent la Tunisie et ont suivi les événements, il ne faut jamais parler de « la révolte des jasmins » ; il s’agit au contraire de la révolte du sang et des flammes. N’oublions jamais l’image du jeune Mohamed Bou Azizi en feu et le nombre des morts de ces dernières semaines. Ce sont des jeunes qui ont perdu la vie pour la patrie ; et avant eux, il y a eu les morts dans les geôles tunisiennes, ceux qui ont croupis dans les prisons pendant des années (des décennies pour certains), sans compter les exclus du territoire pour leurs opinions politiques.
Ceci étant dit, il reste que le moment est critique. Comment assurer donc la transition vers un Etat démocratique ?
La société civile est en ébullition et c’est bien normal puisque l’événement est unique depuis l’indépendance. Et à propos d’indépendance, c’est lors de son avènement, qu’on avait instauré une République, mais personne ne peut contester que celle-ci n’était que théorique. Bien sûr, la Constitution la prévoyait, or en vérité aucun juriste spécialiste en droit constitutionnel ne pouvait dire quelle était la nature du régime en place en Tunisie. C’était une constitution prévue pour la gouvernance d’un seul homme et par conséquent d’un régime totalitaire dictatorial, sachant que tous les mécanismes de celle-ci ne jouaient pas le rôle prévu dans un système présidentiel.
Il faut savoir qu’en principe le Président de la République tire son autorité du suffrage universel et plus simplement de son élection directe par le peuple. Pour le cas de la Tunisie, toutes les élections étaient faussées, donc la légitimité du Président était construite sur du faux. En vérité, il n’y avait pas d’élection mais une mise en scène orchestrée. Aucun parti politique ne pouvait présenter un élu ni un programme. C’était une mascarade où l’argent public était dilapidé pour une pièce de théâtre qui devait plaire sur la scène internationale. Quant aux slogans des participants à l’encontre du pouvoir en place était simple : « Moi, je suis bien, mais lui, il est mieux : votez pour lui ». Moralité, notre constitution est à refaire et c’est là le rôle que doit jouer une Assemblée Constituante. D’ailleurs pour les théoriciens, il faut qu’ils sachent qu’avec l’ancien, on ne peut pas faire du neuf. Notre constitution n’est pas démocratique mais faite pour qu’un seul individu en dispose à sa guise. Et pour le constater, il suffit de voir dans quel état se trouve le pays, suite à cette révolution.
Un gouvernement provisoire a été mis en place. Cependant, il n’a pas été accepté par la rue, vu sa composition englobant des ministres du R.C.D, parti objet de la contestation et cause de tous les malheurs de ce peuple. Or, il est urgent pour celui ou ceux qui l’ont composé de comprendre que ce gouvernement est un gouvernement de Salut Public qui doit tenir compte de la volonté populaire. Son seul et unique rôle est de gérer l’urgence et de préparer des élections législatives et présidentielles. Bien sûr que celui-ci fonctionne grâce aux dispositions de l’ancienne constitution, mais ceci, n’est-il pas le meilleur choix pour ne pas tomber dans l’anarchie ?
Quant aux contestations à l’encontre du R.C.D qui a miné toute vie, quelle que soit sa nature en Tunisie, elles ne peuvent être que légitimes. Cependant, il est possible de prévoir lors de la mise en place des deux élections (parlementaire et présidentielle) qu’aucun de ceux qui peuvent se présenter ne doit avoir un lien direct ou indirect avec le R.C.D. Puis, c’est à l’Assemblée Constituante de décider du sort de ce parti. Celle-ci réunira, tout naturellement, les représentants du peuple et à eux seuls d’en décider.
A l’heure actuelle, il est important d’arriver à bon port avec les bris de l’ancienne constitution. Il faut faire usage de ce qui est bon en elle pour aboutir sur un compromis national, puis une fois l’ordre public établi, le temps et la sécurité permettront d’instaurer une vraie démocratie constitutionnelle.
Le politique ne doit ni se précipiter ni détruire par revanche. Chaque chose doit prendre sa place avec le temps et dans le temps pour que ça dure.
Ridha SAHLI, (Docteur en droit et avocat)
Tunis, le 21 janvier 2011