Le conflit du Sahara au Maghreb

par iliaskarim
lundi 2 janvier 2017

Hassan II disait de son vivant : “Le Sahara est aux Marocains ce que l'Alsace et la Lorraine sont au peuple français.” À en croire son actuelle superficie, territoire aussi grand que le Royaume-Uni, chacune de ses frontières attisent la convoitise des régions environnantes. Tard depuis sa décolonisation acquise en 1976, cette terre antique, dont certains cherchent son origine jusqu'à l'époque punique, devient le facteur d'instabilité majeur entre des pays frères, appelés au façonnement d'un Maghreb unifié. Jouer avec les résolutions onusiennes, à la manière des États-Unis pendant l'intervention de 2003 en Irak sous G. W. Bush,1 amène de ce fait à décridibiliser une institution qui, lors de sa fondation prévoyait la fin des conflits par les négociations. Et qui alors pour légiférer sur une zone sans statut juridique international ? On assiste malheureusement à une course à l'armement, en grande partie algérienne vis-à-vis de son voisin marocain à bride abattue. Verser de l'huile sur ce feu raviverait hélas le souvenir de la guerre des Sables. À en juger des relations exécrables entretenues par ces deux leaders régionaux l'on penserait aussi, que les peuples, ces réprouvés, se vouent “haine et discorde”. La réalité est tout autre. Mais nous y reviendrons après. Ramifier un sujet d'une telle amplitude, sous une bannière thématique et dialectique, se conçoit de pair ; de sorte à mieux le traiter.

Donc, de prime abord, on arrive à défendre cette idée principale : le Sahara est marocain et à ne pas nommer occidental. La domination de la dynastie alaouite date, dès l'ascension de Moulay Ismaïl, de 1678 et inscrit alors ses frontières jusque dans les contrées de Gao et Tombouctou. Lorsqu'en 1975 les accords de Madrid sont signés, entérinant ipso facto le succès politique de la Marche verte pacifique, le seuil historique quant à la marocanité du Sahara n'est plus à franchir.

Voyons désormais le côté géographique du problème.

Un récurrence répétée greffe la zone Sud par : “Le Maroc de Tanger à Lagouira”. Cette dernière se trouve désenclavée du royaume chérifien car accessible seulement à partir de la Mauritanie. Cependant son administration siège à 446 km dans la commune urbaine de Dakhla, site touristique par excellence bien connu des amateurs de sports nautiques grâce à sa péninsule. Une façon d'être, du Sud et moderne, décrit cette région. La ville de Laâyoune, chef-lieu provincial abritant, selon les chiffres de l'UNDATA, près de 217 732 Sahraouis sur 405 210 en tout, complète l'influence géostratégique, exercée par la capitale, sur ses territoires.

Un levier manié par Rabat avec réussite, d'autant plus que, l'aspect politique de la question recquiert une approche efficiente.

Faire des habitants de la partie désertique du pays des citoyens égaux en droits aux autres ressortissants, telle est la voie que suit la monarchie. Laisser pour compte les populations locales s'exclut de soi par le Palais. Faire des provinces du Sud des domaines autonomes, leur souveraineté demeurant sous le cadre exclusif et entier du Maroc, jette les bases d'une feuille de route définitivement axée sur le compromis. Les différents membres du conflit se devant de négocier autour d'elle, rejeter la proposition exposerait les séparatistes au grand jour, sachant que l'ONU fait part de “la responsabilité de l'Algérie en tant qu'acteur concerné par ce litige […] eu égard à la situation dégradante qui subsiste dans les camps de Tindouf”, pour reprendre les termes du discours royal prononcé le 30 juillet 2013 par Sa Majesté Mohammed 6 à Casablanca.2

Ceux qui doutent de l'intention, politique et sociale à la fois, de Sa gestion pacifique et ouvertement moderne de ce conflit, trouveront une réponse à leurs hésitations en pesant le côté économique de la question.

Comme la région regorge de ressources naturelles, on cherche à en faire profiter différents comptes à travers l'Afrique. Ceci en déclenchant une “révolution verte” allant de ces sous-sols riches en phosphate aux fins fonds des pays sub-sahariens dans une vision de coopération Sud-Sud. C'est grâce au groupe OCP que l'on devrait assister à la fourniture tant attendue d'au moins 9 millions de tonnes d'engrais vers 13 destinations le long du continent d'ici les 15 prochaines années,3 un fait déroulant d'une levée de fonds évaluée à 2 milliards de dollars depuis 2014. Agir dans une pleine optique d'entraide coopérative africaine, la route semble toute tracée vers une nouvelle porte ouverte.

Cela ne convenant guère aux pourfendeurs de cette thèse, de multiples voix s'élèvent dans le chemin sinueux des séparatistes.

Ces personnes rassemblées sous la bannière du Front Polisario réclament la sécession. Forts de liens plurimillénaires au contact de cette terre, toute l'histoire de celle-ci est liée au passé de ses tribus berbères : les confédérations Senhadja hier, et leurs descendants Touareg de nos jours. Elles donnent naissance à la dynastie des Almoravides, aux environs du XIième siècle vers 1040 ; parfois considérés comme les Pères du Maroc actuel. Vu sous ce prisme, il existe une solide identité nomade dans la nature du Sahara à rattacher à la naissance des premières conquêtes arabo-andalouses.

Ces indépendantises n'ayant pas à proprement dire d'endroit fixe pour chef-lieu, de nouvelles frontières commencent à découper le désert.

Mais ceci n'empêche guère les néo-idéologues du conflit d'associer cette contrée aride à un espace territorial détaché de son milieu souverain. Elle est certes désertiquement peuplée de sociétés nomades, il n'en demeure cependant que les villes s'y trouvant sont en forte croissance. On pense notemment à Laâyoune qui fait partie des objectifs dissidents d'en faire la capitale de leur République proclamée en 1976 (RASD). Dessinant un réseau complexe entre Nord et Sud, le Sahara se situe à un point géostratégique loin d'être négligeable. C'est une interface active assimilable à un relais entre les civilisations arabes et noires.

De cette configuration spatiale découle l'ambiguïté du problème.

L'idée de « peuple » germe parmi ses habitants dès la décolonisation, et se forge lors des luttes pour l'indépendance qui l'ont précédée. Des dissensions apparaissent très tôt, car ce terme appuie le droit à l'autodétermination. Il ouvre un chemin vers l'indépendance, d'abord face à l'Espagne et la Mauritanie, et progressivement par rapport au Maroc. Le débat s'articule autour de cette notion. Elle transparaît comme étant évidente pour les uns, mais artificielle et chimère pour les autres, fruit d'une manipulation politique. Ce principe fonde la Charte des Nations Unies.

Pour l'auteur et professeur Bernard Cherigny, l'entité sahraouie est un personnage absolument fictif, enjeu d'âpres batailles diplomatiques, et par corrélation économiques. Car la région ne manque pas de ressources.

Que ce soit en richesses minières ou en pétrole, on voit mal les différentes parties concernées se priver de telles rentes. En tant qu'emplacement de commerce stratégique, à titres aussi bien licite qu'informel, le terrain détient des arguments attirant les convoitises. 15% de la production mondiale de cocaïne y transite vers l’Europe. La contrebande de cigarettes chinoises réexportées depuis l’Algérie y est également massive. L’espace saharien est donc le théâtre d’économies de rente à diverses échelles.

Les différents acteurs en jeu ne simplifiant pas l'équation, celle-ci tend à devenir au fil du temps chaque jour de plus en plus complexe.

Au delà des territoires de sa région sud, d'autres conflits apparents subsistent au Maroc, dépassant le cadre et le contour stratégique du Maghreb, nous indiquant une fois de plus que : pour surpasser des oppositions d'envergure, l'ONU est le dernier recours. Il en va de même pour Ceuta et Melilla, ces deux enclaves que l'Espagne ose nous partager, ainsi que plusieurs autres îlots. Il n'y a rien à gagner en s'isolant ainsi. Le blocage de l'Union du Maghreb Arabe, tout aussi artificielle et chimère que la RASD, est le résultat du soutien de cette instance par l'Algérie, qui n'est plus son unique allié désormais. Au vu des récents événements en Mauritanie,4 et des ses nouvelles orientations diplomatiques,5 tout cela n'alimente pas les éléments d'une paix durable.

Principal fournisseur en armes de son grand voisin algérien, la récente visite en Russie de Mohammed VI se veut être une démarche pacifique.

Le Polisario menaçant de reprendre les armes, l'attitude la plus sage et prévalante est la modération des esprits. Avec l'implémentation de Daesh dans le Sahel, il est plus que jamais temps d'unir les forces en présence. D'autant plus que le danger frappe déjà à l'intérieur de nos frontières, en témoignent les attentats de 2015 en Tunisie, ou de ses incursions irréversibles à Tombouctou au Mali. Il ne faut pas se tromper d'ennemis, à l'heure où ceux-là montrent plusieurs visages. La reconstruction du Maghreb doit primer avant toute chose.

Malgré la voie emprunté par le Maroc, l'Afrique reste le fer de lance de sa nouvelle politique.

Se détacher de pays conflictuels, et regarder à travers le sub-sahara, semble davantage constructif. La longue expansion du royaume, comme on a pu le voir précédemment, s'est toujours faite à partir du Sud. Sa seule et unique demande dans ce lourd dossier, pour le domaine relatif exclusivement au droit international, a été l'application de celui-ci à ses provinces : à savoir le droit à l'autonomie interne. Quand ses citoyens jouissent de privilèges à part entière, il n'en va pas de même pour les prisonniers des camps de Tindouf. Il s'agit là-bas d'une atteinte aux droits de l'Homme, exhibée au yeux d'une communauté internationale bien silencieuse, au vu de bien nombreuses exactions commises.

Le Maroc continue sur sa lancée d'intégration.

En décidant de rejoindre derechef la table de l'Union Africaine, c'est tout un symbole envoyé aux membres du Front Polisario. La visée de cet acte est on ne peut plus clair, puisqu'il s'agit de leur damer le pion sur l'échiquier diplomatique, le champ économique étant alors libéré. Les investissements chiffrés en milliards de dollars ne peuvent être rentabilisés sans la paix dans la maison installée. D'où l'enjeu de la récente tournée royale,6 et dont les retombées ne sauraient tarder, entraînant tout le continent dans des accords gagnant-gagnant.

Nous dirons pour conclure que penser le Maroc sans son Sahara paraît incongru, tant les arguments énoncés semblent pencher en sa faveur. Les voix qui s'élèvent pour une indépendance de cette région demeurent toutefois minoritaires bien que soutenues par différentes parties. Le royaume faisant cependant fi de tous ces obstacles continue sur la lancée jadis perpetrée par ses ancêtres, c'est-à-dire étendre le royaume par le sud. L'état d'esprit prévalable aujourd'hui au Maroc est on ne peut plus serein. Et là revient cette citation du roi Théopompe, « auquel sa femme reprocha un jour en courroux que par sa lâcheté il laisserait à ses successeurs le royaume moindre qu'il ne l'avait eu de ses prédecesseurs, lui répondit : “Mais plus grand, d'autant qu'il sera plus durable, et plus sûr ».7

 

1 La guerre en Irak « illégale » pour Kofi Annan :

http://www1.rfi.fr/actufr/articles/057/article_30522.asp

2Texte intégral du discours royal de la fête du trône 2013

http://aujourdhui.ma/actualite/maroc-fete-du-trone-texte-integral-du-discours-royal-104283

3 Le géant marocain des phosphates se sacre roi des engrais :

http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/02/02/le-geant-marocain-des-phosphates-se-sacre-roi-des-engrais_4858243_3212.html

4 Le Polisarion organise un exercice militaire à proximité du mur de défense marocain

http://fr.le360.ma/politique/le-polisario-organise-un-exercice-militaire-a-proximite-du-mur-de-defense-marocain-66501

5 La Mauritanie pourrait ouvrir une ambassade de la RASD a Nouakchott

http://www.afrique-asie.fr/menu/maghreb/10287-la-mauritanie-pourrait-ouvrir-une-ambassade-de-la-rasd-a-nouakchott-presse-marocaine

6Offensive diplomatique et économique de Mohammed VI en Afrique de l'Est

http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/10/21/offensive-diplomatique-et-economique-de-mohammed-vi-en-afrique-de-l-est_5018134_3212.html

7Plutarque – Vie des Hommes Illustres


Lire l'article complet, et les commentaires