Le Darfour, Verdun de la guerre de l’énergie

par Renaud Delaporte
lundi 4 septembre 2006

Par la voix du gouverneur du Nord Darfour, le gouvernement de Khartoum a rejeté la résolution 1706 décidant du déploiement des forces de l’ONU au Darfour. Soutenue par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, la résolution a été votée le 31 août par douze membres du Conseil de sécurité sur quinze. La Russie, la Chine et le Qatar se sont abstenus. Omar el-Bachir, président du Soudan, avait affirmé qu’il s’opposerait, au besoin par les armes, à toute ingérence des casques bleus au Darfour.

Le traité de paix signé en mai à Abuja entre le gouvernement d’Omar el-Bachir et la faction majoritaire de l’Armée de libération du Soudan (ALS ou MLS) n’a jamais mis fin aux combats dans cette région pétrolière de l’Ouest du pays. Ces combats, d’une rare atrocité, étaient menés conjointement par des milices Janjawid, appuyées par les forces gouvernementales équipées de matériel russe, provenant entre autres de Pologne ou de Belarus. Les principales victimes de ces combats ont été les populations civiles, prises directement pour cibles par des hélicoptères et par des troupes au sol appuyées par des engins blindés. Après que la majorité des villages a été détruite, les forces gouvernementales ont attaqué des camps de réfugié jusqu’au Tchad. Depuis 2003, et malgré un cessez-le-feu signé en 2004, la guerre du Darfour a provoqué entre 180 000 et 300 000 tués, et provoqué au moins 2,4 millions de déplacés.

Les troupes de l’ALS poursuivent leur combat contre les factions minoritaires non signataires de l’accord. Elles sont appuyées par les forces gouvernementales et les forces de l’Union africaine. Les milices Janjawid sont soupçonnées d’y participer également. Les massacres à grande échelle, les déplacements de population, les viols et les pillages se poursuivent. Les ONG présentes sur le terrain sont contraintes de se replier. La mort d’un chauffeur de la Croix-Rouge porte à douze le nombre de victimes des ONG depuis quelques mois. Empêchées d’intervenir, les ONG sont contraintes de se replier et de laisser derrière elles des populations privées de tout, abri, nourriture, eau.
Le gouvernement propose un plan dans lequel ces forces sont présentées comme " forces de paix ".

L’ONU lance depuis plusieurs mois des avertissements sur la dégradation de la situation au Darfour. Après plusieurs appels en ce sens, Jan Egeland, Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires, avait exhorté lundi les membres du Conseil de sécurité à une action politique " immédiate " pour éviter une " catastrophe humanitaire sans précédent " et " des pertes massives en vies humaines " dans la région du Darfour.

L’ONU impuissant

La mission de l’ONU au Soudan, la MINUS, dispose actuellement de 9000 soldats implantés au Sud Soudan en vue de la mise en œuvre des accords de paix passés le 9 janvier 2005 entre le gouvernement du Soudan et l’Armée populaire de libération du Soudan. Son élargissement devait porter ses effectifs militaires à 17 300, englobant et encadrant les 7000 hommes des forces de la Mission africaine au Soudan (MUAS) présents au Darfour. L’Union africaine ne pourra soutenir financièrement cette intervention au-delà de la fin de ce mois de septembre. Il semble d’ores et déjà que le contrôle de ces forces soit passé sous le contrôle de Khartoum.

La résolution 1706 prévoit également le déploiement de 3300 civils constituant 16 unités chargées de la police.

La détermination d’el-Bachir à empêcher l’envoi de la MINUS au Darfour, y compris par les armes, a conduit le Conseil de sécurité à intégrer dans le texte de la résolution une mention faisant état de la nécessité d’un accord préalable du gouvernement soudanais.

Ce déploiement restera replié sur l’étagère des bonnes intentions.

Les enjeux

Le massacre des populations civiles au Soudan a commencé dans le Sud du pays lorsque les élites arrivées au pouvoir lors de l’accession du pays à l’indépendance ont résolu de s’emparer des riches terres du Sud pour leur propre compte. Elles ont créé d’immenses domaines fonciers aux dépens des tribus qui les occupaient afin de transformer une économie de subsistance en agriculture de négoce. Les Etats-Unis avaient procédé de façon similaire avec les tribus indiennes. La paix signée en 1983 a coïncidé avec la découverte de pétrole par le groupe Chevron. Il s’en est suivi la prise de pouvoir par el-Bachir et la reprise des exterminations. Peu vendable à l’opinion publique, la guerre génocidaire au Sud Soudan a été présentée sous l’emballage plus commode de conflits inter-ethniques ou religieux.

Pendant que les compagnies occidentales se déchiraient par populations soudanaises interposées, les Chinois ont investi dans la construction d’un oléoduc, entre la région de production et Port-Soudan, emportant l’adhésion sans faille du gouvernement de Khartoum. Les accords de paix de 2005 entérinent la présence chinoise au Soudan.

La terre du Darfour est pauvre, désertique sur une partie de son territoire. Les massacres du Darfour semblent n’avoir pour but que de priver les milices rebelles de combattants et de bases arrière. La première application dans l’ère moderne à grande échelle d’une tactique d’anéantissement des forces ennemies s’est déroulée à Verdun. En Algérie, puis au Viêt-Nam, elle s’est étendue à la destruction ponctuelle de villages et de leurs populations civiles. Le Darfour subit un paroxysme dans cet anéantissement de civils, au même titre que Verdun avait représenté le paroxysme dans l’anéantissement des bataillons de soldats.

Le vote du Conseil de sécurité révèle les véritables protagonistes de la guerre du Darfour. D’un côté, les compagnies pétrolières anglo-saxonnes tentent, par ONU interposé, de soustraire le Darfour au pouvoir de Khartoum et à l’influence chinoise. De l’autre, l’alliance sino-russe pousse ses pions pour conserver ses acquis sur le terrain. Le Qatar, qui a récemment manifesté son allégeance en achetant du matériel militaire chinois, s’est lié à cette alliance.

Du Tchad à la corne de l’Afrique, le sous-sol promet d’importantes réserves encore inexploitées de pétrole, de gaz naturel, d’uranium, d’or, de cuivre et de bien d’autres matières premières.

La Somalie, l’Ethiopie et l’Erythrée sont déjà invitées à s’entre-tuer pour garantir aux pays occidentaux le contrôle de ces richesses et, à travers elle, de l’économie des pays émergents.

Renaud Delaporte

Pour approfondir :
http://web.amnesty.org/report2005/sdn-summary-fra


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