Le débat sur la laïcité au Québec est-il inclusif ?

par Yanek
lundi 31 mai 2010

Un colloque tenu à Québec et à Montréal du 19 au 22 mai 2010 à l’initiative du Collectif citoyen pour l’égalité et la laïcité (CCIEL) en collaboration avec le Consulat général de France à Québec et le Conseil du statut de la femme a présenté une Charte sur la laïcité. Bien qu’une telle Charte soit nécessaire, le colloque n’a pas été suffisamment rassembleur puisqu’il a occulté les croyants qui s’affichent laïques, comprennent le projet interculturel du Québec et adoptent un sens critique par rapport aux possibles dérives des droits humains dans leur religion.

 Le prototype de Charte sur la laïcité proposé par le Collectif interdit certains comportements pour éviter de laisser à la justice le soin de décider au cas par cas en matière d’accommodement religieux. Les organisateurs du colloque affirment vouloir aller plus loin que le projet de loi no 94 déposé par Kathleen Weil, ministre de la Justice, qui renvoie les demandes d’accommodement à la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Pourtant, bien que celle-ci affirme certains principes laïques, comme la liberté de conscience et l’interdiction de la discrimination fondée sur la religion, elle ne fait pas mention explicite de la laïcité de l’État. En outre, la Partie 1 de la Charte canadienne des droits et libertés pose comme fondement « la suprématie de Dieu ». Pour le Collectif citoyen, le Québec s’est modernisé mais les discussions n’ont porté que sur la déconfessionnalisation du système scolaire. Cela laisserait les employeurs et les institutions publiques dans un vide juridique lorsqu’ils sont confrontés à des demandes d’accommodement religieux. Bref, chacun est cantonné à l’espace individuel et l’espace public en est érodé.

 Certes, l’État québécois n’a pas à donner aux religions un statut particulier ni à cautionner des dogmes. Les Québécois ne reviendront pas sur les droits des femmes et des minorités sexuelles. Toutefois, le débat sur la manière d’accéder à la laïcité aurait dû être tenu de manière rationnelle et inclusive, ce qui n’a pas été la voie qu’ont privilégiée certains conférenciers lors du colloque. Dans le préambule de leur Charte sur la laïcité et durant la conférence tenue à Montréal, les interlocuteurs n’ont souvent insisté que sur une seule version de l’islam, soit celle où, selon le témoignage de l’architecte d’origine algérienne Hafida Oussedik, la femme voilée « doit se soumettre à l’homme en courbant l’échine ». Djemila Benhabib, cofondatrice du CCIEL, n’aborde quant à elle l’islam que sous son jour politique et intégriste. Par ailleurs, les organisateurs avertissent que les accommodements ouvrent la porte « à une surenchère des demandes d’accommodements pour des motifs religieux ». Mais pour ceux qui, comme moi, travaillent quotidiennement à la francisation des immigrants adultes au ministère de l’Immigration, le problème de l’accommodement religieux sur la base d’un fondamentalisme musulman est très rare, voire inexistant. Mes étudiantes musulmanes vêtues du hidjab (voile couvrant les cheveux seulement) ne cherchent à convertir personne à l’islam et ne se mettent pas dans une posture anti-scientifique. Elles ne se tournent pas de dos pour parler à la classe comme l’avait fait, de manière tout à fait exceptionnelle et inacceptable, une étudiante vêtue du niqab (voile intégral) au cégep de Saint-Laurent en 2009. Je ne demande pas à mes étudiantes d’enlever leur hidjab parce que, d’une part, elles n’occupent aucune fonction symbolique auprès de l’État québécois, et d’autre part parce qu’il ne m’appartient pas de m’introduire dans leur vie privée.

 Au Québec et dans le monde, des intellectuels et des croyants réfléchissent de manière critique aux religions et tentent de les insérer dans un cadre laïque. N’est-ce pas ce qu’avaient fait les commissaires du Rapport Parent entre 1961 et 1966, chargés entre autres d’examiner le rapport entre l’État et la religion, et qui étaient tous des chrétiens pratiquants ? C’est ce que fait remarquer Guy Rocher, professeur titulaire au Département de sociologie de l’Université de Montréal et récipiendaire du prix Condorcet-Dessaules 2009 du Mouvement laïque québécois. Dans le quatrième volume du Rapport Parent, on apprend, à propos de la Commission, que « C’est donc en tant que citoyen que chacun de ses membres y siège [...] », et non en tant que croyant. Nul besoin donc d’écarter ces derniers du débat sur la laïcité comme l’a fait de dramaturge et romancier Pierre K. Malouf lors du colloque, en prétendant que « les religions sont le pire ennemi de la laïcité », qu’elles s’opposent à la philosophie des Lumières et qu’elles sont fondées sur la « pensée magique ». Or, Élisabeth Garant, directrice du Centre justice et foi, a fait valoir récemment qu’une majorité de croyantes et de croyants de l’Église catholique du Québec ne se reconnaît pas dans la prise de position polémique du cardinal Marc Ouellet sur l’avortement, dénuée de sens et de compassion. Par ailleurs, le 15 février 2006, le CÉRIUM avait tenu un débat intitulé La presse a-t-elle le droit de blasphémer ? suite à la crise des caricatures de Muhammad. Olga Hazan, titulaire d’un Ph.D. en sciences médiévales et historiographie de l’art de l’Université de Montréal, avait alors préparé un dossier intitulé Islam, islamisme, terrorisme : un amalgame inquiétant en collaboration avec Georges Leroux dans le magazine Spirale (janvier-février 2007). Elle y faisait remarquer que l’islam n’interdit pas la représentation figurative du prophète, « puisque cet interdit n’apparaît nulle part dans le Coran et que des peintres musulmans ou arabes ont abondamment représenté Mahomet tout au long des siècles ». Elle y soulignait aussi les préjugés essentialistes en regard de l’islam, tels que les commentaires tenus par Benoit XVI qui prétendait « que cette religion s’inscrit dans une violence originelle et donc inéluctable ». Enfin, le physicien et président de la Conférence mondiale des religions pour la paix Ghaleb Bencheikh, dans La laïcité au regard du Coran, défend la thèse d’une compatibilité entre la laïcité et l’islam. Badih Boustany résume cet ouvrage en rappelant que « le Coran est vide de prescriptions politiques : de nombreux renvois à des versets coraniques appuient la thèse de Bencheikh [...] ». La diffusion de ces idées réformistes est toutefois contestée par le représentant de l’orthodoxie musulmane, Tariq Ramadan, fréquemment invité à prononcer des conférences à Montréal.

 Une Charte de la laïcité, fragment d’une éventuelle constitution québécoise d’une république démocratique laïque, doit maintenant être mise en place, soit. Mais elle doit le faire de manière inclusive et non en polarisant le débat entre les citoyens.
 

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