Le Kosovo, danger éprouvé et provoqué

par Louis d’Âcre
lundi 18 février 2008

Nous vivons sans doute les heures qui verront la province du Kosovo proclamer enfin son indépendance après des années de tribulations militaires et diplomatiques entre la Serbie, la Russie, les Etats-Unis, l’Union européenne et les indépendantistes albanais de la province. De grandes difficultés ne vont dès lors pas manquer à ressurgir, difficultés contenues dans l’essence même de la situation.

Hashim Thaçi, ancien chef de la guérilla albanaise et Premier ministre du Kosovo depuis le 17 novembre dernier, voulait déclarer unilatéralement l’indépendance après les élections présidentielles serbes. Voila qui est donc imminent. Seulement, les Serbes refusent catégoriquement, aidés en cela par la Russie - leur allié traditionnel -, que cette province soit indépendante, elle qui est le berceau de leur culture et de leur pays.

Les Etats-Unis et l’Union européenne soutiennent au contraire les indépendantistes albanais pour lesquels ils avaient déjà déclenché une guerre en 1999 pour empêcher Milosevic de rétablir (certes dans la violence) une présence démographique serbe au Kosovo plus importante que la présence albanaise, qui constitue aujourd’hui plus de 90 % de la population de la région.

Nous nous trouvons donc en face d’une situation explosive. Au point de vue stratégique, voire la Russie opposée de façon si téméraire aux Etats-Unis et à l’UE pour un problème se situant au cœur même de l’Europe rappelle inéluctablement les affres d’une guerre froide que l’on croyait enterrée depuis 89. De plus, les Serbes ne se montreront sans doute pas près à lâcher le Kosovo sans tenter quoi que ce soit, et les forces nationalistes étant fort nombreuses chez eux, la violence est loin d’être à exclure.

C’est aussi du point de vue du droit international que le problème indispose. La situation nous amène en effet un dilemme éternellement insoluble : qu’est-ce qui doit primer ? La souveraineté des Etats au niveau de l’intégrité de leur territoire ou le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ? La Russie affirme à l’ONU - qui pour la première fois depuis longtemps est prête à déclarer une indépendance au profit d’une minorité - qu’une telle décision détruirait les principes du droit international.

Enfin, nous pouvons nous interroger sur les conséquences d’une telle indépendance. En quoi cela serait-il bénéfique pour l’Europe qu’un nouvel Etat, à peine plus grand que notre département de Gironde, vienne compliquer un peu plus la carte des Balkans ? C’est sans compter d’autres facteurs : ce nouvel Etat devra être sous perfusion fort longtemps pour être un jour viable, et de plus cela créerait une nation musulmane en plein cœur de l’Europe. Pourquoi donc un tel acharnement à vouloir coûte que coûte cette indépendance ?

Comment se fait-il, par exemple, que les Américains, si prompts à combattre les islamistes à travers le monde, se fassent subitement les meilleurs amis d’anciens terroristes musulmans en territoire européen ? Et surtout, pourquoi l’UE, censée être une formation politique assez puissante pour garantir une indépendance vis-à-vis des Etats-Unis, se range derrière ces derniers quitte à se brouiller définitivement avec la Russie ?

J’ai mon explication, mais elle n’engage que moi : les Etats-Unis veulent diviser l’Europe en lui interdisant une unité culturelle (c’est pourquoi ils tiennent tant à ce que la Turquie et le Kosovo rentrent dans l’UE) afin qu’elle ne soit jamais en mesure de lui disputer trop gravement quoi que ce soit. Ils tiennent aussi à ce qu’elle ne se rapproche pas trop de la Russie, sachant pertinemment que seul l’axe Paris-Berlin-Moscou pourrait résolument mettre à mal leur suprématie.

Autre chose : Si l’UE se range aussi aveuglement derrière les Etats-Unis sur un problème aussi brûlant, n’est-ce pas une occasion de nous interroger sur cette Eurocratie bruxelloise, notamment à savoir si elle défend vraiment l’Europe ? Pardonnez-moi, mais quand je la vois prendre parti pour une minorité musulmane, anciennement terroriste et indépendantiste plutôt que pour une nation de culture et d’histoire européenne comme la Serbie, je reste perplexe sur les objets de cette « Europe » là...

Alors nous voilà condamnés à observer à deux pas de chez nous une situation qui risque de dégénérer. Espérons toutefois que les choses s’arrangent, mais que cela ne nous dédouane pas de nous interroger profondément sur les Etats-Unis et notre Union européenne.


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