Le legs de W. Bush : une démocratie détournée (3)
par morice
mercredi 6 mai 2009
Le pouvoir de W.Bush s’est donc assis sur les conventions de Genève et sur le respect dû aux prisonniers de guerre, comme nous l’avons vu hier : c’était une « guerre au terrorisme », qu’il a décidée, mais ces prisonniers n’avaient pas à avoir les droits hérités des conventions de guerre. Et c’est là tout le paradoxe de Guantanamo, cette zone de non-droit qui est l’image même de la dictature Bushienne. Pendant le même temps, en novembre 2004, l’administration Bush subit un énorme revers. La Cour Suprême des Etats-unis déclare en effet que les emprisonnés de Guantanamo ont droit à un jugement non pas de juridiction militaire d’exception, mais doivent être entendus par une cour légale. « Ce jugement « contredit fermement l’argument de l’administration qui prétendait que ces activités dans le cadre de la guerre contre le terrorisme sont hors de portée de la loi et non sujettes à un examen des tribunaux américains » a déclaré Steven Shapiro, directeur juridique de l’ACLU, la plus grande organisation américaine de protection des libertés individuelles. ».
A partir de là, disons en 2005, comme nous l’avons vu précédemment donc, le pouvoir de l’équipe de Bush va subir revers sur revers dans le pays, les juges se rebellant de plus en plus ouvertement contre Washington. W. Bush a donc passé les trois dernières années de son mandat à lutter contre le judiciaire US, qui venait de constater de combien il avait franchi la frontière entre légalité et illégalité. L’éviction de juges jugés partiaux par Gonzales ne sera qu’un épisode de plus du bras de fer engagé par le pouvoir contre son propre système judiciaire en révolte contre son autoritarisme. En décembre 2006, en effet, huit juges fédéraux sont démissionnés au départ Kar Rove projetait d’en virer l’intégralité, soit 93 !!!) : ces derniers se retournent alors contre la Chambre des représentants, arguant qu’il s’agit d’une purge politique anti-démocrate. C’est un scandale énorme, surtout que dans l’affaire, du beau linge est mêlé : on retrouve l’inévitable Karl Rove et sa correspondance avec Gonzales, qui subit le même sort que l’ordinateur de nos militants caritatifs. Le tout orchestré par le monsieur informatique du pouvoir, à savoir l’infortuné Mike Connell, à l’origine de la manipulation "ratée" de changement d’Intranet à la Maison Blanche, ayant conduite à mettre définitivement à la poubelle tous les mails compromettants. Ils seront finalement retrouvés en partie par des experts, prouvant par l’exemple la collusion entre le pouvoir et la justice, et forçant par la même Gonzales à démissionner. Fin août 2007, Gonzales est contraint à la démission. L’ancien avocat de W.Bush dans l’affaire Enron (et oui c’était bien lui !) est mis à la porte après une série de mensonges et de parjures.... "Des courriels, produits au cours de l’enquête de la Commission sénatoriale, révèleront que les noms des remplaçants potentiels ont été proposés dès la fin de l’année 2005. Le ministre de la Justice avait pourtant affirmé qu’il ne les avait choisis qu’après l’annonce officielle du remplacement des procureurs, en décembre dernier. Les échanges de courriels (6 000 pages au total) vont être très instructifs.En février 2006, Monica Goodling, conseillère de Alberto R. Gonzales, envoie une lettre à des haut fonctionnaires de l’administration, dans laquelle elle détaille les activités et les liens politiques des procureurs fédéraux à remplacer". A cette date, le gouffre qui sépare l’autorité présidentielle de l’autorité judiciaire s’agrandit chaque jour davantage : Bush, au milieu de 2006 a perdu tout crédit face à sa propre justice. Il n’est plus suivi par son administration judiciaire, qui est tenté maintenant de se retourner contre lui : les dossiers bloqués se mettent soudain à avancer plus vite... au détriment de l’équipe Bush, visée par de nombreuses plaintes jusqu’ici contenues par mille artifices juridiques et une armée d’avocats.
En parlant d’armée, au sein de la sienne, ce n’est guère mieux. Vaincu dans son propre pays, subissant l’obstruction des juges, Bush tente de redorer son blason avec une attaque préemptive sur l’Iran. Tout est prêt, ou presque depuis longtemps. Bateaux, sous-marins, avions, drones, soldats et troupes infiltrées sont sur site depuis.. près de deux ans déjà (sans oublier les pigeons !). On compte près de 18 000 personnes au total dans le secteur. Cheney pousse tous les jours Bush à attaquer Téhéran. En 2007, une forte activité militaire est remarquée toute l’année dans le Golfe. Le 5 août, un étrange incident se produit sur une base US : un B-52 vole avec 6 bombes thermonucléaires armées du nord au sud du pays, le chemin habituel vers l’Iran. L’histoire demeure floue : les engins sont anciens et en cours de décommissionnement (trop anciens, ils doivent être retirés) et au final on en retrouve que 5 sur les 6 au départ. Un missile est manquant. Tout le monde pense à une tentative de Cheney de provoquer quelque chose, lui qui a déjà évoqué devant des proches une autre affaire du Golfe du Tonkin, le procédé préféré des américains pour déclencher le conflit qu’ils souhaitent. On pense surtout à une attaque iranienne, le ton montant entre Cheney et les responsables iraniens, mais l’hypothèse d’une bombe dans le pays n’est pas à exclure non plus. Manque de chance, au moment où il pourrait le faire, cette attaque, un de ses vecteurs principaux de la mission, un B-2 modifié pour porter une gigantesque bombe spéciale, s’écrase sur l’île de Guam, le 23 février 2008. La flotte d’appareils, tous modifiés de la même façon pour transporter une énorme bombe anti-bunker, sans possibilité de revenir en arrière à moins de plusieurs mois de travaux, est consignée au sol. L’attaque doit être impérativement remise !
Quelques semaines plus tard un pavé dans la mare est été jeté par l’amiral Fallon, qui démissionne avec fracas après avoir accordé une interview à un magazine où il n’a pas trop fait mystère de son opposition franche à une attaque contre l’iran. Les B-2 étaient donc bien en route pour l’Iran, une fois tous modifiés. L’armée américaine semble bien s’être intérieurement révoltée contre les décisions de ses chefs : début juin 2008, deux haut gradés sont évincés par Dick Cheney dont un responsable du transport de missiles armés de Minot. En 2008, c’est au tour de l’armée de lâcher Bush. Elle a d’autres chats à fouette au Pakistan : une rencontre secrète à lieu à bord d’un porte avions US entre Ashfaq Pervez Kayani, le responsable de l’armée pakistanaise et l’amiral Mike Mullen nous apprend que la situation est catastrophique dans la région, et que l’ouverture d’un 3eme front serait une catastrophe de plus. Benazir Bhutto assassinée le 27 décembre 2007, cela devient intenable. L’événement qui parachève le blocage de la question est la décision insensée du président Georgien d’attaquer les provinces séparatistes le 7 août 2008 : les aéroports Georgiens sont une nécessité en cas d’attaque, comme soutiens de diversion en cas de problème au retour, ou pour accueillir des ravitailleurs américains. L’attaque de Saalkatchvili ruine tout espoir de voir une attaque américaine de l’Iran. Le relais est aussitôt pris par les israëliens, ultra-présents sur place, mais la prise de véhicules américains par les russes contenant leurs moyens de cryptage rend l’opération hasardeuse : les Iraniens, avertis par la Russie, savent désormais contrecarrer et brouiller les radars américains équipant les F-16 israéliens.
Un émissaire américain est envoyé en catastrophe en Israël le 20 Septembre 2008 pour prier le pouvoir de ne pas déclencher d’attaque, qui pourrait tourner au fiasco, étant donné le bon équipement général des défenses iraniennes (avec des F-14 entretenus, à qui l’administration Bush n’a cessé que tardivement - en 2003 !- d’envoyer des pièces de rechange !). L’amiral Mullen avait déjà tenté de le faire en juillet : "Chairman of the Joint Chiefs of Staff, Admiral Michael Mullen appeared to warn Israel on Wednesday against an attack on Iran. He said at news conference, "Opening up a third front right now would be extremely stressful on us . . . This is a very unstable part of the world, and I don’t need it to be more unstable." W.Bush le va-t-en guerre est prié de faire retraite par ses propres généraux et amiraux : il vient de perdre sur le front extérieur, après avoir perdu sur le front intérieur. En novembre, les américains le répètent (lourdement) aux israëliens : ce n’est pas le moment d’attaquer l’Iran. Israël est fort tenté de le faire pendant les 3 mois de vacance du pouvoir américain séparant l’élection de la prise de pouvoir effective. Mais les annonces de découverte en Géorgie des équipements US et israéliens par les troupes russes et la livraison de nouveaux missiles anti-avions performants par les Russes aux iraniens tempèrent leurs ardeurs, sans oublier le veto américain, qui peut être lourd de sens en cas de non livraison des munitions indispensables : beaucoup pensent en effet que l’acheminement récemment de 5200 tonnes de munitions en pleine attaque de Gaza est un échange contre la promesse de ne pas attaquer l’Iran... Dépitée, l’armée israélienne, en cheville avec les politiciens extrémistes prêts à nucléariser l’Iran, se retourne alors contre... Gaza, avec l’efficacité que l’on sait.
Mais l’armée américaine, comme toutes les armées, est une grande muette, et on ne saura que dans quelques années ce à quoi nous avons échappé dans la dernière année de présidence de Bush. Les langues se délient progressivement pourtant sur l’usage de la torture, non sans d’ultimes actions gouvernementales pour en supprimer les preuves, comme cette destruction de cassettes des enregistrements des séances de tortures, qui fait grand bruit. On en connaît depuis fort peu de temps le nombre : 92 cassettes, indiquées le 2 mars 2009 par un procureur fédéral chargé de l’enquête. Deux noms sont liés à ces enregistrements : "les vidéos auraient été tournées en 2002 pendant des interrogatoires d’Abou Zoubaydah, présumé membre influent du réseau Al-Qaïda arrêté au Pakistan, et Abdel Rahim Al-Nachiri, soupçonné d’être impliqué dans l’attentat contre le navire USS Cole, au Yémen, en 2000". Deux personnes qui auraient pu évoquer d’autres préparatifs similaires connus sous le nom de Millenium, très embarrassant pour le pouvoir (l’attaque du Cole devait avoir une répétition préalable). C’est en tout cas beaucoup plus que ce qu’avait laissé entendre Michael Hayden, l’ancien directeur de la CIA qui a donc menti, lui aussi. Donald Rusmfeld est accusé par le Congrès d’avoir personnellement recommandé l’usage de la torture. C’en est fini de son immunité. Le 14 octobre 2007, un général (Antonio Taguba) l’avait déjà accusé de mensonge à propos d’Abou Ghraib. Le général enquêtait alors pour le Congrès, en ajoutant : "’on m’a empêché de poursuivre de plus amples recherches sur les sphères supérieures de la hiérarchie’’.
Le 12 décembre 2008, Donald Rumsfeld est donc logiquement accusé nommément par un rapport des sénateurs US d’avoir été à l’origine des sévices d’Abou Ghraib. L’enquête révèle alors qu’en fait le Pentagone s’intéressait à la torture dès 2002. "Briefings, réunions et groupes de travail s’enchaînent alors, réunissant juristes, militaires et des membres très haut placés de l’administration Bush, tels George Tenet, John Ashcroft ou Condoleezza Rice, ex-conseiller à la sécurité nationale, devenue ensuite secrétaire d’Etat. Le 1er août, le département de la Justice produit deux mémos qui redéfinissent d’un trait de plume ce qu’est la torture : il faut désormais que la douleur physique soit « équivalente à celle d’une perte d’un membre ou d’un organe ou même de la mort ». Quant à la douleur mentale, elle doit « durer des mois ou même des années » pour constituer une torture. Parallèlement, de nombreux militaires font remonter jusqu’au Pentagone des demandes d’autorisations d’user de techniques plus musclées." Le rapport des sénateurs est un terrible "j’accuse" : "le fait est que des hauts fonctionnaires du gouvernement des Etats-Unis ont sollicité des informations sur l’usage de techniques agressives, ont redéfini la loi pour leur donner l’apparence de la légalité, et ont autorisé leur usage sur des détenus" dit-il. Terrible condamnation ! Chez le successeur démocrate à la tête des services de la CIA, la simulation de noyade est bien un acte de torture. Pour Condoleeza Rice, son masque de gentille négociatrice tombe : l’ancienne dirigeante d’Exxon a bien donné son blanc-seing à la pratique de la torture. Quand Israël attaque Gaza, elle est la première à parler de "justification" et de citer les "provocations du Hamas" avec les tirs de roquettes. Sans jamais citer les assassinats ciblés sur des dirigeant de ce même Hamas pratiqués par l’état hébreu quelques jours avant la rupture de la trêve. Elle a menti aussi, au même titre qu’un Cheney et un Rumsfeld, et continue donc à mentir. Finira-t-elle elle aussi comme W. Bush ?
Le mensonge éhonté a été le moteur principal des deux législatures Bush. Ce n’est que pressé de toutes parts qu’il finira parfois par avouer, non sans commettre d’impair. Le 5 septembre 2006, devant les caméras de Katie Couric, de chez CBS, Bush se voit contraint de dévoiler l’existence d’autres prisons dans le monde et les transferts de prisonnier par jets. Il reconnaît pour la première fois l’existence de ses fameuses prisons secrètes de la CIA. Son administration les avaient toujours niées. Les raisons données aux arrestations ? "We uncovered a potential anthrax attack on the United States". Alors qu’aujourd’hui on sait que le scientifique du laboratoire, lié lui-même à la CIA était très certainement le seul en cause. Interrogé pour savoir si les prisonniers avaient été torturés, W. Bush avait nié en grand : "No. Not at all. It’s a tacit acknowledgement that we’re doing smart things to get information to protect the American people," the President said. "I’ve said to the people that we don’t torture, and we don’t." On n’avait donc pas torturé, à Guantanamo comme ailleurs,selon lui. Or aujourd’hui, tous les témoignages parlent de torture...qui ont même été filmées. Bien entendu, à partir de 2005 où la presse fait état de ces possibles tortures, ordre est donné de supprimer les cassettes compromettantes : nouveau scandale supplémentaire... Et aujourd’hui, Obama élu, la lutte pour la vérité continue, au sein des associations de défense des droits de l’homme : la plainte déposé par 5 détenus contre le transporteur des prisonniers, Jeppesen Dataplan (de San Jose, en Californie), une filiale de Boeing, devait être examinée en ce début février. Là encore, le fameux "secret d’état" à tout bloqué pendant des années : sa levée permettrait d’accuser nommément W. Bush d’obstruction à la justice. Car, comme l’indique un commentaire judicieux ajouté à la vidéo, ce n’est là qu’un bout de l’iceberg... Or le 9 février dernier, c’est la déception totale pour ces associations : "An attorney for President Obama’s Department of Justice has told the Ninth U.S. Circuit Court of Appeals that it supports the Bush administration’s controversial state secrets defense in a lawsuit over the prior president’s "extraordinary rendition" program." Pour Eric Holder, nouvel Attorney General, ce sont des cas où le secret d’état doit demeurer : résultat, Bush en prison... il faudra encore attendre...qu’un député démocrate comme Patrick Leahy, du Vermont, remette du charbon dans le moteur en demandant de poursuivre l’administration de W. Bush pour toutes ces obsructions manifestes à la justice de son pays. L’espoir existe encore de voir un jour W. Bush derrière des barreaux. Un espoir qui envahit la presse américaine depuis quelques semaines... le 14 février, Newsweek lance son pavé dans la mare avec son superbe article " The torture memos" qui annonce que les avocats de W. Bush ont du mouron à se faire. " According to two knowledgeable sources who asked not to be identified discussing sensitive matters, a draft of the report was submitted in the final weeks of the Bush administration. It sharply criticized the legal work of two former top officials—Jay Bybee and John Yoo—as well as that of Steven Bradbury, who was chief of the Office of Legal Counsel (OLC) at the time the report was submitted, the sources said." Ce sont les intermédiaires comme Yoo, Bradbury et Bybee qui sont maintenant dans le collimateur. Nous serons ammenés à en reparler, très certainement. Les hommes qui ont voulu légaliser la torture. Et tous convergent vers W. Bush, qui devra bien un jour rendre des comptes. Cela, j’en suis totalement persuadé.
Les nouvelles avançant vite en ce moment, on apprend le 13 mars 2009 que l’administration nouvelle dObama vient juste d’abandonner l’usage de l’appellation "d’ennemi combattant "à l’encontre des derniers prisonniers de Guantanamo. "Les nouvelles normes reposent sur le droit international de la guerre (...) et stipulent clairement que le gouvernement n’a pas l’autorité de détenir ces personnes au titre d’un soutien mineur ou non-avéré à Al-Qaïda et aux Talibans", explique le communiqué." Un communiqué qui signifie aussi en filigrane que les années qui ont précédé, les Etats-Unis n’avaient donc pas respecté le droit international... ce que l’on vous avait déjà dit également ici. Le 12 juin 2008, les juges de la Cour Suprême avaient infligé un camouflet mémorable à W.Bush : nous en voyons aujourd’hui les effets secondaires. Obama redécouvre l’usage des Conventions de Genêve, car comme le précise le Wiki : c’est bien "l’article 5 de la Troisième Convention de Genève, qui indique que, en cas de doute, c’est à un tribunal qu’il revient de déterminer si un individu présente ou non les caractéristiques constitutives d’un « prisonnier de guerre », et que ledit individu doit être protégé en tant que tel jusqu’au prononcé du jugement". La torture est interdite, donc.
Confirmation de tout cela obtenue le 16 mars par la bouche du délégué de la Croix-Rouge internationale, dans un terrible rapport datant de 2007 révélé par le Washington Post. "Mauvais traitements, tels que des coups, une privation de sommeil, des températures extrêmes et, dans certains cas, des simulations de noyade" sont certes cités, mais c’est surtout leur dissimulation aux yeux du grand public qui est à noter. "Le quotidien indique qu’au moins cinq copies du rapport ont été réalisées et diffusées auprès de hauts responsables de la CIA et de la Maison Blanche en 2007, mais interdits de diffusion auprès du public par le CICR censé garder sa neutralité dans les conflits". Le gouvernement de W.Bush a donc bien tenté de dissimuler la vérité à ses concitoyens. On en a aujourd’hui la preuve. Ça a commencé dans le mensonge, ça a continué dans le mensonge, et ça se termine pareil. Le "we do not torture" du 5 septembre 2006 est donc un cas de forfaiture manifeste. C’est bien assez pour envoyer ce président en prison pour le reste de ses jours.