Le legs de W. Bush : une démocratie détournée (6-1)
par morice
samedi 9 mai 2009
L’armée et les mercenaires, cette plaie fondamentale apportée par la guerre en Irak dans des proportions jusqu’ici jamais vues. Nous vous avons déjà expliqué l’ampleur des détournements dans ce qui a osé s’appeler la "reconstruction de l’Irak", ou rien, ou presque, n’est sorti de terre.Or des enquêtes récentes démontrent que les preuves existent de ces détournements, qui remontent eux aussi tous à la même responsabilité. Une infinité de contrats avec des groupes privés ont été signés sous la forme du "no bid contract", scandaleux, à savoir sans même un seul appel d’offres. Du copinage, qui tourne autour d’un groupe ou deux partciulièrement, ceux d’Halliburton et de KBR, principaux gagnants à la loterie sans tirage au sort de la manne irakienne. Or, derrière ces groupes se profile en premier lieu Dick Cheney, responsable de la première firme et donc noyé depuis le début dans un conflit d’intérêt évident. Le cynisme de l’équipe dirigeante américaine pendant huit années a été sans bornes : elle a entretenu un conflit pour la simple raison c’est que quelques un en étaient les profiteurs financiers directs. Là encore, des enquêtes sont en cours, et d’autres sans doute vont apparaître dans les mois à venir. Nous vous avions parlé de l’avenir sombre d’un Bush ou d’un Blair, aujourd’hui, on n’y ajoute sans hésiter celui qui aura ruiné en 27 ans de présence au pouvoir l’image de marque de l’amérique à l’extérieur : Dick Cheney, le pire vice-président que l’Amérique n’aît jamais eu, dont on avait évoqué à une époque une fin de mandat prématuré, tant son bilan était catastrophique.
On n’a en rien reconstruit l’Irak : on l’a avant tout pillé, et on a profité de l’argent octroyé à la reconstruction pour faire fortune, rien d’autre. Cette semaine, c’est à nouveau un article écrit au lance-flammes du New-York Times qui révèle le pot aux roses (enfin, qui ressort surtout un article d’Aram Roston sorti chez NBC en 2005 !). Une partie de l’histoire vient d’être reprise dans le Canard Enchaîné du 25 février dernier. Et qui met en cause des officiers de l’armée chargés de surveiller la répartition des sommes abyssales versées dans cette fameuse reconstruction : au total, ce sont 125 milliards de dollars qui ont fondu comme neige au soleil ! 125 milliards octroyés par un Sénat et un Congrès américain, qui, visiblement, n’ont pas assez suivi les versements d’argent qu’ils avaient voté dans l’enthousiasme de l’aide à l’Irak. Dans le point de mire, un homme, le Lieutenant Colonel Ronald W. Hirtle, de l’US Air Force en poste à Bagdad même, et un autre, de l’armée de terre, aujourd’hui en retraite, le Colonel Anthony B. Bell. Ces deux-là viennent de se faire repérer par des brigades financières au seul vu de leurs mouvements bancaires depuis 2004, date de leur entrée en fonction sur place. Des personnes nommément dénoncées par un mercenaire, Dale C. Stoffel, qui a eu la bonne idée de se faire tuer à Bagdad en 2004 justement, juste après avoir remis aux autorités judiciaires et au FBI des documents effarants sur les comportements en cours sur place. Stoffel, par exemple, racontait que les livraisons d’argent détourné se faisaient le plus simplement du monde, en passant tous les services de garde ou de surveillance des bases avec un procédé incongru : les billets verts destinés à l’état-major corrompu étaient dissimulés dans des boîtes à pizza ! 5000 dollars la pizza ! Cachés dans les boîtes à pizza où dans des sacs en papier, largués en dehors de la zone verte en des coins très précis, où on venait les récupérer à la suite de coups de fil discrets.
L’histoire incroyable de Stoffel n’avait pas été prise à la légère au point qu’il avait obtenu l’immunité ou un arrangement judiciaire pour avoir lui-même participé au trafic mais pour l’avoir aussi dénoncé "Mr. Stoffel, who gave investigators information about the office where Colonel Bell and Colonel Hirtle worked, was deemed credible enough that he was granted limited immunity from prosecution in exchange for his information, according to government documents obtained by The New York Times and interviews with officials and Mr. Stoffel’s lawyer, John H. Quinn Jr." Aux dernières nouvelles, le réseau mis en place par Bell et Hirtle semblait avoir eu des ramiifications beaucoup plus grandes, qu’un enquête encore en cours est en train d’évaluer : “These long-running investigations continue to mature and expand, embracing a wider array of potential suspects,” a federal investigator said." Ce "plus haut rang" intrigue aujourd’hui : en 2005, lorsque l’affaire Stoffel était déjà sortie, on n’avait pas évoqué de plus haute responsabilité. Les deux militaires épinglés étant au sommet ou presque de la hiérarchie, il reste peu de personnes concernées : Petraeus lui-même, ou au dessus de lui Donald Rumsfeld, en poste jusqu’au 8 novembre 2006 ? Petraeus serait-il visé indirectement par les révélations du New-York Times ? C’est probable, car le responsable militaire, à deux reprises, a assisté de près à des transactions pour le moins contestables. Visé par qui ? Chez MyLeftWing, on a une petite idée de la provenance : "It seems to me that the Robert Gates is promoting the investigation in an effort to unseat Petraeus. I believe they are adversaries. Gates represents the part of the administration that is trying to uravel the debacle in Iraq. Gates is actually an adversary to Bush having been appointed at the behest of Bush’s father’s advisors. President Bush is not inclined to like anyone associated with his father outside of Dick Cheney. Bush is ignoring Gates in favor of whatever "the commanders on the ground tell me"(Petraeus). The investigations started long ago but are being given added emphasis by Gates." Robert Gates est-il en train d’amener la tête de Petraeus sur un billot ? Ça se tient, comme théorie. Dans ce cas, la nomination (ou plutôt la non-nomination, Gates étant déjà en place) de Robert Gates par Barrack Obama nous fait comprendre aujourd’hui pourquoi le New-York Times ressort 5 ans après le dossier Stoffel. C’est bien Petraeus qui est visé par cette campagne de presse. Le "vainqueur de l’Irak", celui qui a rétabli un calme relatif (mais bien précaire) sera-t-il lui aussi un jour jugé pour malversations et plus ?
Les sources du détournement d’argent sont variées, et ne concernent pas que l’argent de la reconstruction. Le premier gros contrat négocié en personne par le colonel Hirtle, était quelque chose dont on vous avait également alerté dès 2007 ici-même. 10 millions de dollars, ce qui n’est pas rien, pour équiper la police irakienne en armes légères et ne batîments pour les abriter. On vous a décrit la méthode, celle des officiers qui venaient tôt le matin vérifier les containers d’armes saisies dans les stocks de Saddam ou celles en provenace du Kosovo, revendues par la Pologne, via l’aide des avions de transport de Victor Bout ou des bateaux ukrainiens. Un trafic d’armes, gigantesque, qui remettait celui de l’Angola en procès aujourd’hui en France au rang de vente de feux d’artifices. Avec de nouveau une étrange mise en cause de la présence du général Petraeus, comme le notait déjà à l’époque le NYT lui-même : "one of the investigations involves a senior American officer who worked closely with Gen. David H. Petraeus in setting up the logistics operation to supply the Iraqi forces when General Petraeus was in charge of training and equipping those forces in 2004 and 2005, American officials said Monday." L’homme en cause, adjoint direct de Petraeus, s’appelant le Lt. Col. Levonda Joey Selph. Le "cash boy" de l’affaire. L’homme qui avait confié à un mercenaire le dossier de la rénovation de la police irakienne, évidemment Stoffel. Comme le dit sarcastiquement le Dailly Kos, à voir comment à été fait, on se doute de la suite : "Preparation for operations began in March with the renovation of nine warehouses and an office building. An inventory management system called Exceed was also established ; a private contractor now manages the system". Un programme qui s’appelle "dépassement", franchement...
Sans oublier non plus le rôle joué par un petit vendeur de Floride, Avrahom Diveroli, neveu d’un des plus gros trafiquants d’armes ayant pignon sur rue aux USA même (surtout son oncle !). Lui s’étant coltiné le réarmement de la police afghane, avec des balles périmées. Chez Hirdle, le détournement porte semble-t-il uniquement sur les casernes, jamais livrées. Un trafic extrêmement juteux. Et gare à ceux qui mettaient le doigt dans l’engrenage, en tout cas : Kosta Trebicka,l’intermédiaire de Diveroli, tué en pleine campagne albanaise, et Stoffel, qui, juste après avoir témoigné, a été tué dans une embuscade avec son associé anglais, Joseph J. Wemple, lors d’un tir nourri surgi de nul part dans les environs de Bagdad : aucune enquête n’avait été alors menée, la mort des deux contractants ayant été mis rapidement sur le dos d’une embuscade d’insurgés, qui, cette fois encore ont eu bon dos. Faut-il à nouveau y voir l’œuvre d’un autre personnage fort mystérieux constamment cité dans la manipulation de l’information irakienne ou les coups tordus (black ops) qui ont eu lieu pendant tout ce temps ? Très certainement. On avait retrouvé son "BMW station wagon bleu" deux jours après, criblé comme une passoire. "Two days later, Stoffel’s car was discovered in a grim neighborhood along the Tigris. The hood was crumpled like a paper bag, the windshield a haze of cracks. The dashboard was covered with blood. Stoffel had been shot repeatedly in the head and upper back. His friend and employee, Joe Wemple, had been shot once through the head". La revendication du meutre en avait surpris plus d"un : "A mysterious insurgent group has claimed credit for Stoffel’s killing ; another terrorist group celebrated the murder and called him an American spy. His friends, though, aren’t convinced that this was just another act of violence by militants in Iraq, and neither, apparently, is the FBI, which is now investigating his death. In the chaos of Iraq, it’s likely that no one will ever know for sure why Dale Stoffel was murdered".
En juin 2005, un document passé inaperçu paru dans le Washington Monthly avait pourtant évoqué le cas de Joseph J. Wemple et de Dale Stoffel. D’une manière assez particulière : selon le WM, Stoffel, employé de l’ONI, avait eu un drôle de collègue de travail : Jonathan Pollard. Oui, celui qui a été accusé d’être un espion à la solde d’Israël. "Les États-Unis lui reprocheraient en particulier d’avoir livré à Israël le manuel des codes d’accès et de cryptage des écoutes de la NSA dans le monde, manuel qui aurait été ensuite livré (en pleine guerre froide) aux Soviétiques en échange de l’émigration vers Israël d’un million de juifs présents en URSS" nous dit à son propos Wikipedia. En dehors de ça, Stoffel avait une étrange partcularité : devenu à l’ONI un spécialiste écouté des missiles soviétiques, il était aussi devenu une sorte de représentant de ces derniers, dans les pays qui en possédaient des stocks énormes. Le cas de l’Irak, justement. Parmi ces commanditaires : des autrichiens, revendeurs connus d’armes illégales " Stoffel left government work in 1989 and joined the staff of a series of defense and intelligence contractors, developing a unique specialty : buying up missiles and other weapons produced in the former Communist bloc countries on contracts for the Pentagon and U.S. intelligence agencies who wanted to analyze them. This work—on the legit side of a shady world—introduced him to a circle of adventuresome arms dealers based in Austria. According to his associates, Stoffel simply loved the swashbuckling, high-living lifestyle. " Un gars réputé, plutôt "bling-bling", donc, devenu riche au point de créer sa propre société : "by 1995, Stoffel had become successful enough to start his own company, Miltex, specializing in the same kinds of contracts.."
Ces mercenaires ont-il pu appartenir pour certains à des "escadrons de la mort" comme les connaissent tous les régimes autoritaires ? Très certainement ! un site a répertorié tous les attentats douteux en Irak. Tous, nous vous l’avons déjà dit, n’étaient pas le fait obligatoirement de terroristes appelés progressivement "insurgés". Des "death squads" comme ceux qui ont ravagé un temps le Brésil ou la Colombie (où ils ne son pas encore totalement éradiqués) semblent bien s’être constitués sur base de mercenariat. La sémantique durant tout ce conflit aura eu une importance cruciale."In the language of the White House and Pentagon, the thousands of Iraqi citizens in plainclothes-whether ordinary people, militia members or soldiers-who are resisting the invading forces in any way they can, are “war criminals.” But the undercover US hit squads and other military-intelligence operatives roaming throughout Iraq in civilian clothes, terrorizing the population, are “heroes” in the cause of democracy and liberation". ("CIA death squads operating in Irak" By Henry Michaels, 2003) . Des mercenaires recrutés cette fois directement sur place : "elsewhere, including in the northern Kurdish areas, allied operatives are financing and arming tribal leaders, ethnic militias and local thugs, employing similar techniques to Afghanistan, where the CIA paid millions of dollars to regional warlords to fight against the Taliban regime. “I’m sure we’ve got guys with 80-pound rucksacks full of $100 bills,’’ a former CIA station chief told the Los Angeles Times. “I’m sure we’re buying up some folks (même source).’’ Avec même un responsable ; Irakien, repéré et nommé : "a former C.I.A. official with extensive Middle East experience identified one of the key players on the new American-Iraqi intelligence team as Farouq Hijazi, a Saddam loyalist who served for many years as the director of external operations for the Mukhabarat, the Iraqi intelligence service. He has been in custody since late April. The C.I.A. man said that over the past few months Hijazi “has cut a deal,” and American officials “are using him to reactivate the old Iraqi intelligence network.” Le tout chapeauté par l’inévitable Cambone. "The rising star in Rumsfeld’s Pentagon is Stephen Cambone, the Under-Secretary of Defense for Intelligence, who has been deeply involved in developing the new Special Forces approach" (Seymour Hersch, Moving targets, The New Yorker, 2003). Avec une technique éprouvée, qui en rappelle une autre, israëlienne : l’élimination physique des dirigeants de la résistance irakienne, comme la pratique Tsahal contre ceux du Hamas ou du Hezbollah. Pour Les américains, c’est le choix de la "Salvador option", ayant pratiqué à outrance là-bas cet "écrêmage" des leaders de la résistance au pouvoir salvadorien.
Mais ce n’est pas fini en ce qui concerne le cas Stoffel, comme nous le verrons demain, en découvrant les véritables raisons de sa disparition.