Le Mussolini des sables et Nous, peuples des Nations Unies…
par Renaud Bouchard
vendredi 18 mars 2011
Le Ghibli, ce vent du désert, se lève en Libye avec l’adoption par Le Conseil de sécurité de l'ONU, jeudi soir 17 mars 2011 à 23 h 34, de la résolution présentée par le ministre des Affaires étrangères français, Alain Juppé, permettant aux Etats membres de "prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les civils" menacés par les forces du colonel Kadhafi.
« Tripoli, bel suol d'amore,
ti giunga dolce questa mia canzon,
sventoli il Tricolore
sulle tue torri al rombo del cannon !
Naviga, o corazzata :
benigno è il vento e dolce è la stagion.
Tripoli, terra incantata, »
A Tripoli ! Arona - Corvetto, 1911
Votée à dix voix pour, zéro contre et cinq abstentions (deux pays détenteurs du droit de veto - la Russie et la Chine - et l'Allemagne figurant parmi les abstentionnistes) , la résolution élaborée sous l’égide de la France, de la Grande-Bretagne, des Etats-Unis et du Liban, lequel représente la Ligue Arabe, « autorise les Etats membres (...) à prendre toutes les mesures nécessaires (...) pour protéger les civils et les zones peuplées de civils sous la menace d'attaques par les forces du colonel Muammar Kadhafi, y compris à Benghazi , ville de l'est de la Libye aux mains de la rébellion ».
La résolution « décide d'établir une interdiction de tous les vols dans l'espace aérien » de la Libye « de manière à aider à protéger les civils ».
Excluant la présence de toute force d’occupation sur le territoire de la Libye, l’adoption de la résolution donne désormais toute latitude à l’engagement d’actions militaires qui pourraient donc être menées par la France, la Grande-Bretagne, le Qatar et les Emirats Arabes Unis.
Après un coup d’arrêt, est-ce à dire que le mouvement insurrectionnel est sauvé ? Nul doute que seul un complet renversement de situation en Libye constitue la condition préalable à toute réponse à cette question.
Quelles que puissent être les suites de cette décision, souhaitons qu’elle puisse contribuer à la relance ainsi qu’à la victoire d’un mouvement d’émancipation politique en passe d’être sauvagement écrasé. Il reste toutefois que les capacités de nuisance du Mussolini des sables demeurent et que l’intéressé, une fois de plus mis dos au mur, n’aura aucun scrupule à renouer avec des attentats hors Libye ou plus simplement des prises d’otages sous forme de « bouclier humain ».
On retiendra au moment où ces lignes sont écrites le fait que le concept ectoplasmique de « communauté internationale » aura su, in extremis, éviter de rééditer Guernica (1937), Munich (1938), Srebrenica (1995), Gaza (2008), grâce à une volonté de recourir à cet article 42 du Chapitre VII de la Charte de l’Organisation des Nations Unies qui détermine les actions envisageables « en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’actes d’agression. »
Quatre drapeaux flottent désormais sur Benghazi : celui de l’ancienne Libye, celui du Qatar, celui de la Tunisie et celui de la France dont la diplomatie qui aura miraculeusement réussi à transformer un droit de veto en abstention reprend les couleurs d’un phénix renaissant de ses cendres en redevenant l’alliée de ce nouveau printemps Arabe.
Quatre drapeaux, dont celui de la « Grande nation », qui nous auront évité de recevoir …Quatre plumes blanches.
Logique de guerre, dira-t-on, opportunisme politique dont Nicolas Sarkozy tirera peut-être avantage personnel, peu importe si l’objectif que poursuivent au premier chef Londres et Paris est de mettre hors jeu une dictature que certains se seraient bien contentés d’aménager en déplorant l’écrasement regrettable de l’insurrection libyenne.
Empêcher la prise de Tobrouk et sauver Benghazi devrait permettre de revivifier cette dynamique endogène qui constitue le fondement de la légitimité de ces insurrections- rébellions- révoltes arabes qui appellent à l’aide pour parachever le processus de transition démocratique qu’elles ont commencé.
Une occasion unique de participer intelligemment – hors OTAN – à une action non vécue comme un prurit post-colonialiste vient de s’offrir à l’UE, par delà les rives d’une Méditerranée commune.
Gageons que la Libye et les nations arabes du XXIè siècle sauront s’en souvenir, comme les républiques-sœurs sous le regard, encore une fois, mais cette fois-ci avec son aide, au bon sens du terme, de la Grande nation.
Souhaitons enfin qu’après Tripoli, l’ONU puisse aussi s’intéresser à l’amicale intervention de l’Arabie saoudite et des forces du Conseil de coopération du Golfe au Bahrein.
إذا الشعب يوما أراد الحياة
فلا بدّ أن يستجيب القدر
ولا بد لليل أن ينجلي
ولا بد للقيد أن ينكســر
Lorsqu’un jour, le peuple aspire à vivre
Le destin se doit de répondre !
Les ténèbres se dissiperont !
Et les chaînes se briseront ! Humat Al-Hima (حماة الحمى), Défenseurs de la patrie, Hymne national de la Tunisie
Références :
1°/- A Tripoli !
2°/- Filmographie :
Les Quatre Plumes blanches (The Four Feathers) Z. Korda 1939.
3°/- Sur La Grande nation :
Michel Vovelle, Les républiques‑sœurs sous le regard de la Grande nation (1795‑1803). De l’Italie aux portes de l’Empire ottoman, l’impact du modèle républicain français, Paris, L’Harmattan, 2000.