Le printemps des chaussures
par hans lefebvre
jeudi 18 décembre 2008
Deux événements ont accaparé la lisibilité médiatique de ces derniers jours, le jet de chaussures à la face de George W. Bush lors de sa conférence de presse en Irak d’une part, et le dépôt de bâtons de dynamites dans les toilettes du Printemps, célèbre grande surface parisienne, à quelques jours de Noël seulement. Aussi éloignés géographiquement que dans leur modus operandi, toutefois, à y regarder plus finement, tant au plan symbolique qu’au niveau du message transmis par leur(s) auteur respectif, il y a comme d’indicibles liens qui se tissent, jetant à la figure des personnes visées et des contemplateurs, la réalité de causes très proches et presque communes.
Montazer al-Zaïdi, s’est déchaussé sereinement, il a ajusté sa cible avec style et précision, puis dans un jet tendu les chaussures ont volé l’une après l’autre, alors que George W. Bush, non moins habile, parvenait à esquiver l’offense ainsi faite. Puis l’auteur de l’acte de s’écrier : « c’est le baiser de l’adieu, espèce de chien », mettant alors en parole l’affront vengeur.
A la vitesse de l’image, le document filmé se satellise sur l’ensemble des médias du monde, grands et petits, et le geste héroïquement désespéré du journaliste de la chaîne Al Bagdadia prend une tournure quasi mythologique, non seulement dans le monde Arabe, mais aussi pour toutes celles et ceux qui exècrent le président américain en fin de règne.
De commentaires dithyrambiques en éloges grandiloquents, chacun encense le journaliste aujourd’hui embastillé, inscrivant cet acte dans la reconquête d’une fierté spoliée.
Symboliquement, il va sans dire que le geste posé est fort, si fort qu’il raisonnera longtemps encore aux oreilles de ceux qui l’écoutent avec délectation, tout autant qu’il fera bourdonner celles des tenants du panaméricanisme triomphant, tel un soufflet commis sur un monarque en présence de toute sa cour. En outre, en terre musulmane, l’emploi de la chaussure comme arme d’humiliation demeure puissamment inscrit dans l’imaginaire populaire ; il s’agit ici de piétiner l’ennemi juré pour mieux le repousser. Aussi, Montazer al-Zaïdi est ce héros désormais devenu célèbre, bien au-delà des frontières de l’Irak, réunissant dans un même cri de révolte profonde les communautés chiite et sunnite, soit un exploit dans l’exploit.
Par ailleurs, la France connaissait une alerte à la bombe retentissante puisqu’un mystérieux groupe revendiquait l’acte de menace posé dans un des commerce les plus important de la capitale, semant moult agitation et grande pagaille, en déposant des pains de dynamite inoffensifs dans les toilettes de l’enseigne le Printemps. Là aussi, le geste aura eu un écho immédiat et immense car rattaché à un acte terroriste revendicatif.
FRA (comme France), pour Front Révolutionnaire Afghan, soit un acronyme très curieux, totalement inconnu jusqu’alors mais tout de suite rendu très peu crédible par les premières analyses posées par les spécialistes du genre. Terminologie inadéquate, revendication qui mêle de façon incongrue la demande impérative faite à la France de quitter le sol Afghan avant la fin du mois de février, au risque de voir « nos grands magasins de capitaliste » faire les frais d’un acte prochain qui sera cette fois mené à bien. Mais, aucune allusion à l’islam, ce qui interpelle bien évidemment les exégètes des nébuleuses islamiques.
Clairement, rien ne colle dans cet acte dont l’objet vise plus à déstabiliser qu’à terroriser ou tuer quiconque. Acte franco-français pensent les sources, et voilà que ressurgit silencieusement dans la bouche de certains enquêteurs, cette ultra gauche malveillante en mal de sensationnel à moindre frais. Toujours est-il que notre ministre de l’intérieure aura su rester bien plus prudente dans ses déclarations, échaudées par la précédente affaire des caténaires. Au moins, leçon aura t-elle su tirer, ne répétant pas une sortie médiatique aussi hasardeuse qu’instrumentalisée.
Enfin, reste l’hypothèse de l’acte isolé qui n’aurait pour but que de nuire à la grande enseigne, celle-ci ayant déjà fait les frais d’une revendication malveillante le 10 décembre. Tout à fait probable, à l’image de ce postier malheureux qui passait ses frustrations en cristallisant ses actions explosives sur quelques radars fixes, cette éventualité semble tenir la corde auprès des enquêteurs.
Pour autant, l’acte est là, incontournable, réveillant un plan vigipirate qui sommeillait tranquillement à l’approche des festivités de fin d’année. Le chaland en sera pour ses frais, il devra se soumettre avec bienveillance aux fouilles dorénavant plus systématiques puisqu’il en va de sa sécurité.
D’une économie parfaitement vertueuse, ces deux passages à l’acte ont eu le mérite d’envoyer un signal clair à la face des dirigeants concernés et, même si les auteurs n’ont strictement aucun point commun, les messages ainsi distillés se répondent dans un effet de miroir bien involontaire mais toutefois confondant.
Les États-Unis doivent quitter la terre irakienne, alors que la France doit elle retirer ses troupes d’Afghanistan. Si ces deux pays exsangues méritent d’être soutenus, ce n’est plus au moyen de troupes militaires, mais plutôt par une communauté internationale pacifique et « désintéressée ». La solution militaire a fait la preuve de son inefficacité, si ce n’est en rajoutant le chaos au désordre.
Il faut impérativement entendre et comprendre les actes posés, ne pas les passer par pertes et profits car ils avertissent, à moindre frais, qu’un printemps des chaussures pourrait arriver aux nations occidentales par trop arrogantes et dominatrices.
Photo : Associated Press