Le rêve américain, enterré par la loi de l’argent

par Laurent Herblay
vendredi 20 février 2015

C’est l’un des intérêts de The Economist, la bible des élites globalisées, de montrer les problèmes de notre époque, comme il vient de le faire en dénonçant « la nouvelle aristocratie des Etats-Unis  ». Mais s’il pointe justement le rôle du renchérissement de l’éducation, qu’il dénonce, il en oublie d’autres.
 
 
 
La mort du rêve étasunien
 
 
Il faut reconnaître une certaine cohérence et une richesse d’analyse à l’hebdomadaire qui soutient que « les privilèges viennent de plus en plus en héritage » et que « réduire le lien entre naissance et succès rendrait les Etats-Unis plus riches – beaucoup trop de talents étant gâchés aujourd’hui. Cela rendrait la nation plus unie ». Suit un dossier qui commence en montrant le lien très fort qui existe entre les résultats scolaires et les revenus des parents. The Economist pointe le rôle crucial joué par le système éducatif, où les dépenses par élève montent avec les revenus, du fait du financement de l’école publique par la taxe d’habitation, qui donne plus de ressources aux quartiers les plus riches.
 
 
On constate ainsi une augmentation de 150% des dépenses d’éducation en dollars constants pour les 20% les plus riches de 1972 à 2005, creusant encore l’écart avec les dépenses pour les 20% les moins riches, 6 à 7 fois moins importantes  ! Comme il le fait depuis plusieurs années, Il dénonce aussi la hausse indécente du prix des universités, multiplié par 8 depuis 1982, alors que les prix ont à peine été multipliés par plus de 2. Il dénonce également ces établissements qui accordent une préférence aux rejetons de leurs anciens diplômés, qui peuvent payer le coût extravagant de leurs études, créant un plafond d’argent pour qui n’est pas un surdoué en sport, et favorise la reproduction sociale.
 

 

Une analyse partielle

D’ailleurs, The Economist avait publié des études montrant que la mobilité sociale est maintenant plus forte dans les pays européens qu’aux Etats-Unis. Voilà un fait que les néolibéraux ignorent ou préfèrent ignorer : il est sans doute plus facile de monter dans la société en France qu’outre-Atlantique ! Mais son analyse bute sur deux faiblesses. Car, pas fou au point de critiquer son lectorat, il en vient à soutenir que les enfants des ménages les plus riches sont plus intelligents : « le capital intellecturel mène l’économie de la connaissance, donc ceux qui en ont le plus ont une plus grosse part du gâteau. Et il est de plus en plus héritable  ». En fait, le dossier finit par un appel assez vague à plus de méritocratie.

 
 
Mais cette présentation des choses est inexacte, comme le montrait Paul Krugman dans son livre de 2008 : quand 30% des élèves du premier quart de leur classe de 4ème mais dont les parents font partie du dernier quartile de revenus accèdent l’université, ce chiffre monte à 74% pour ceux du premier quartile et même 29% de ceux qui sont dans le dernier quart de classe mais dont les parents sont dans le 1er quintile. En clair, l’argent semble davantage compter que le mérite aux Etats-Unis. Enfin, alors même que le journal publie dans le même numéro un graphique effarant sur les inégalités, il en parle peu et omet de citer Paul Krugman et Joseph Stiglitz qui ont longuement nourrit ce débat dans leurs livres.

Même les Républicains commencent à s’en inquiéter : le rêve américain n’est plus, remplacé par la loi d’un argent distribué de manière toujours plus inégale. The Economist a raison de dire que les électeurs vont finir par se tourner vers d’autres alternatives : l’élection de Bill de Blasio en est un bon exemple.


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