Le saut périlleux de 787 milliards de dollars de Barack Obama

par Pierre R. Chantelois
jeudi 19 février 2009

Le président Barack Obama a, ce mardi, signé le plan de relance économique de 787 milliards de dollars, lequel avait été adopté le vendredi 13 février par le Congrès américain. Moins d’un mois après son investiture. Pour certains économistes, ce plan arrive trop tard pour avoir un effet sur l’activité en 2009. L’hebdomadaire conservateur britannique The Economist le juge « timide, incomplet ». En un mot comme en mille, comme « une occasion manquée », même si c’est « mieux que rien », comme le dit The Nation, l’hebdomadaire de la gauche du Parti démocrate (Les Affaires, Montréal). Place au saut périlleux de Barack Obama.

« Je ne veux pas prétendre que ce jour marque la fin de nos problèmes économiques, pas plus qu’il ne représente tout ce que nous allons devoir faire pour remettre notre économie sur les rails. Mais ce jour marque le début de la fin », a déclaré le jeune président. Il compte donc créer 3,5 millions d’emplois dans les deux années à venir. Il faudra toutefois un autre délai d’un mois environ avant le déblocage effectif de certaines sommes.

Composé d’allégements fiscaux (287 milliards) et de programmes de dépenses publiques (500 milliards), le coût du plan, initialement de 780 milliards de dollars, s’élèvera finalement, selon l’estimation du bureau du budget du Congrès (CBO), à 838 milliards. Le coût initial s’élevait à près de 940 milliards de dollars. Ce plan se divise en quatre volets.

Premier volet : les allégements fiscaux totaliseront environ 286 milliards de dollars. Les entreprises se verront alléger d’environ 20 milliards de dollars en réductions d’impôts. Un crédit d’impôt de 13,1 milliards de dollars sera alloué aux énergies renouvelables et les dépenses dans ce même secteur s’élèveront à 19,9 milliards. Des sommes sont prévues pour la modernisation du réseau électrique, 11 milliards de dollars. Près de 95% des familles américaines bénéficieront également de réductions fiscales : l’État versera aux personnes seules 400 dollars et aux familles 800 dollars en 2009 et 2010.

Deuxième volet : l’aide sociale. Près de 43,7 milliards de dépenses sociales (dont 26,9 milliards pour prolonger un dispositif d’urgence pour l’indemnisation des chômeurs) seront allouées à l’aide aux familles et aux personnes touchées par la crise.

Troisième volet : Infrastructures et immobilier. Une tranche de 27,5 milliards de dollars sera consacrée aux autoroutes et une autre, de 8,4 milliards, aux transports publics.

Quatrième volet : subventions aux secteurs de la science, de la santé, de l’éducation. La NASA recevra un milliard, les agences et instituts de recherche recevront six milliards, la santé, 19 milliards, l’éducation, 105,9 milliards.

Le chômage frappe de plein fouet 7,6% de la population active. « Nous allons mettre les Américains au travail, le travail que l’Amérique doit entreprendre dans des domaines critiques qui ont été trop longtemps négligés, le travail qui ouvrira un changement réel et durable pour les générations à venir », rappelle Barack Obama.

Il s’en trouve pour affirmer que ce plan est un « patchwork peu cohérent », notamment chez les Républicains qui l’ont rejeté à la très grande majorité (trois républicains seulement ont voté avec les Démocrates en faveur de son adoption). « Travailleur à huis clos pour rédiger une législation qui ne créera pas les nouveaux emplois promis mais garantira une charge de la dette plus lourde pour nos enfants et petits-enfants », déclarait Michael Steele, président du comité national du parti.

Un avis que ne partagent pas les défenseurs de l’environnement. Il y a tout lieu, pour ces derniers de se réjouir : avec un budget de 20 milliards, la production d’énergies renouvelables sera doublée sur une période de trois ans. Le gouvernement s’attaquera également à l’efficacité énergétique d’un million de logements par an et de 75 % des immeubles du gouvernement. Et, ce qui réjouit les environnementalistes, une provision de cette aide servira à développer les transports urbains et le train, notamment à grande vitesse.

Comme nous l’avons déjà mentionné, il faut ajouter les 11 milliards de dollars pour améliorer substantiellement le réseau électrique.

Il est important en contrepartie de noter que ces dernières mesures n’élimineront pas le charbon. Les États-Unis produisent 75% de leur électricité de sources polluantes, principalement le charbon. Pour le nouveau secrétaire à l’énergie, Steven Chu, l’objectif est de « trouver le moyen d’utiliser le charbon de la manière la plus propre possible ». Le président Obama s’est engagé à réduire les émissions des États-Unis à leur niveau de 1990, d’ici 2020.

Le 28 janvier dernier, Al Gore, ancien Vice Président et Prix Nobel de la Paix, avait plaidé, devant la Commission des Affaires Etrangères du Sénat, sur les risques liés à l’inaction face au changement climatique et pour une action immédiate de mise en œuvre d’un système d’échange de permis d’émission. Pour Al Gore, les États-Unis doivent « restaurer leur crédibilité et arriver à Copenhague, en décembre 2009, avec une autorité renouvelée pour conduire le monde dans l’élaboration d’un traité juste et efficace. Ce traité doit être négocié cette année. Pas l’année prochaine. Cette année ». Al Gore s’est opposé, devant les sénateurs, à la construction de toute nouvelle centrale thermique au charbon. « La technologie de capture et de stockage du CO2 est encore loin d’être déployable à grande échelle ». Il a affirmé que les États-Unis pourraient obtenir 100% de leur électricité de sources renouvelables ou sans carbone en l’espace de 10 ans.

Ce plan de relance fera-t-il de Barack Obama le premier président « vert », comme l’avait affirmé Thomas L. Friedman, auteur du best-seller La Terre est plate. Dans un entretien à Ouest France, le 2 février 2009 dernier, Thomas L. Friedman avait déclaré : « Obama va être le premier président vert. Et on a autant besoin d’un président vert que d’un président noir  ». Tout en enchaînant : « Avant l’investiture, j’ai dit à Obama : vous devez être aussi radical que le moment l’exige ».

Dans le secteur automobile, il semble que rien ne va plus. Et que la situation empire, même. General Motors vient d’annoncer avoir besoin d’une nouvelle ponction de 30 milliards de dollars d’aides publiques d’ici 2011 pour survivre. L’entreprise prévoit supprimer 47 000 emplois dans le monde, dont 26.000 hors des États-Unis, en 2009. George W. Bush, avant de quitter la Maison Blanche, avait autorisé le versement de 9,4 milliards et 4 milliards à General Motors. Une somme supplémentaire de 4 milliards vient de lui être versée en février. Ces 30 milliards correspondent au scénario le plus noir et s’inscrivent dans une reprise moins forte et plus tardive que prévue du marché automobile.

Tout comme son concurrent, Chrysler réclame encore 5 milliards de dollars d’aides publiques, après avoir déjà reçu quatre milliards de dollars, en vantant les progrès déjà accomplis pour se restructurer. Fait particulier, Chrysler a une nouvelle fois refusé l’hypothèse d’une restructuration sous la protection de la loi sur les faillites. Chrysler devrait plutôt réduire ses coûts fixes de 700 millions de dollars cette année et vendre pour 300 millions de dollars d’actifs supplémentaires. L’entreprise diminuera ses capacités de production de 100.000 unités, supprimera 3.000 emplois et réduira son endettement de cinq milliards de dollars.

Le puissant syndicat UAW, qui regroupe les ouvriers de l’automobile, serait parvenu, selon son président, Ron Gettelfinger, à un accord préliminaire, dont le contenu n’est pas précisé, avec à la fois Chrysler, GM et Ford. Cette dernière entreprise automobile est également en grandes difficultés bien qu’elle n’ait pas demandé d’aides publiques d’urgence. Hasard ou non, cette annonce intervient le jour même où Chrysler et General Motors faisaient le point avec le Trésor américain. Pour paraître crédibles, elles ont annoncé de nouvelles mesures de restructuration qui se traduiront par des fermetures d’usines et des suppressions d’emplois massives.

Pierre Lapointe, stratège en chef adjoint de la Financière Banque Nationale, croit, comme le rapporte La Presse Affaires, que les investisseurs ont pris en grippe le plan de relance financier du nouveau secrétaire au Trésor américain, Timothy Geithner. « Les titres financiers continuent de peser sur les indices à cause de l’incertitude entourant le plan Geithner », dit Pierre Lapointe. « M. Geithner a eu un mois pour préparer son plan. Les gens sont déçus de ne pas avoir obtenu des détails ». Alan Greenspan y va de son petit coup de chapeau. L’ancien président de la Réserve Fédérale américaine émet des doutes sur le plan de relance de Barack Obama. Avant de vouloir stimuler l’économie, les autorités américaines devraient déjà stabiliser le système financier. Il évoque la piste d’une nationalisation temporaire de certaines banques : « Dans certains cas, la solution la moins pire est que le gouvernement prenne le contrôle temporaire » des banques en difficulté. « Il pourrait être nécessaire de nationaliser temporairement quelques banques afin de faciliter une restructuration rapide et ordonnée », déclarait Alan Greenspan au Financial Times. L’économiste Nouriel Roubini, réputé pour avoir averti dès 2006 de la gravité de la crise financière, partage, dans le Financial Times, en partie l’opinion de Greenspan. Il croit que l’économie américaine a besoin de deux choses : « un nettoyage approprié du système bancaire qui requiert un triage entre les banques solvables et non solvables et la nationalisation de plusieurs banques ; et une solution plus agressive et plus transversale au problème de l’endettement de millions de ménages insolvables ». Cette déclaration d’Alan Greenspan confirme que le bilan des banques est dans un état pitoyable, elle ruine tout espoir de les voir retrouver la santé dans un délai raisonnable, note Roland Laskine, du Journal des Finances. L’analyste poursuit : « Les sommes en jeu sont si considérables qu’elles pourraient amener les marchés financiers à penser que la valeur du billet vert n’est en réalité plus très loin du zéro absolu. Dans son sillage, l’euro et la livre sterling n’auraient aucune chance de résister ».

Somme toute, comme l’écrit Michael C. Behrent, d’Alternatives économiques, l’économie américaine va produire, selon les estimations du CBO (Congressional Budget Office), en 2009 et 2010 à 6,8% en dessous de son potentiel. « Avec un PIB de l’ordre de 15 000 milliards de dollars, cela veut dire qu’il va manquer en gros 1 000 milliards par an, soit 2 000 milliards de création de richesse pour 2009-2010. Barack Obama propose de dépenser 825 milliards : la partie qui sera dépensée pour les investissements publics va permettre de créer des emplois et de distribuer des salaires qui vont soutenir la consommation et la croissance. Un effet multiplicateur, comme disent les économistes, mais qui ne porte que sur une partie du plan. Un petit calcul rapide permet alors à l’économiste américain Paul Krugman de montrer que le plan de relance ne va combler qu’environ la moitié du potentiel de croissance perdu. Les parlementaires républicains et les démocrates partisans de la rigueur freinent a priori toute augmentation supplémentaire du déficit. Mais il faudra peut-être en passer par là ».

 


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