Le Tea Party, courant dominant au Congrès américain ?

par Bruno de Larivière
mardi 2 novembre 2010

Cette question, bien des observateurs de la vie politique américaine se la posent, quelques jours avant les élections de ’Mid-term’. Certains par pur raisonnement, d’autres sous le coup de l’inquiétude. Dans un premier temps, la radicalisation des candidats Républicains sert cependant les intérêts d’Obama...

Jean-Simon Gagné livre depuis son Canada natal une analyse frémissante d’un mouvement politique apparemment plein d’avenir aux Etats-Unis : Le Tea Party arrive à Washington. J’ai subodoré il y a quelques mois une tendance en devenir, mais en en minorant visiblement les tenants et les aboutissants [Sécession de rattrapage]. Le label - ce n’est pas un parti - date d’il y a un peu plus d’un an, créé en l’honneur des premiers Américains ayant lutté pour l’Indépendance à Boston. L’étiquette populiste revient désormais couramment pour qualifier cette coterie qui a métamorphosé le parti Républicain à la veille des élections de mi-mandat (mid-term) au début du mois de novembre. De nombreux candidats issus du sérail ont perdu les primaires contre tous les pronostics, face à des novices étiquetés Tea Party. Leurs opposants les affublent du sobriquet de Tea baggers (Sachets de thé en français). Jean-Simon Gagné s’interroge moins sur les conséquences de cette mini-révolution que sur leurs chances de succès aux élections. Kaboul-au-Prince], des banques renflouées par l’Etat qui pressurent le petit propriétaire soudain incapable de passer ses emprunts immobiliers [La fin du capitalisme attendra encore un peu], ou un chômage qui reste à un niveau élevé (à plus de 10 %). L’homme du Main Street vomit l’Amérique de Wall Street.

Bien des Etats dans lesquels les candidats passés sous les fourches caudines des Tea Partys se situent dans l’Amérique du centre, éloignée des grandes métropoles. Le Connecticut et la Floride montrent toutefois que la règle souffre quelques exceptions ! Que l’on dîne sur la côte Ouest ou sur la côte Est, Fox News arrive en tête des préférences pour les Tea baggers mangeant devant la télévision. De l’Amérique profonde, Ken Buck, candidat pour le siège de sénateur du Colorado s’en glorifie. « Je porte des bottes de cow-boy avec du vrai fumier dessus, a-t-il expliqué. Et laissez-moi vous dire que c’est de la vraie merde de Weld County [région agricole], pas de la merde de Washington D.C. » C’est tout un programme… Jean-Simon Gagné s’esclaffe, comme les élites collet-monté de Manhattan des bouseux qui vilipendent le progressisme, la masturbation, la menace sur l’Amérique blanche, la recherche médicale sur les souris. Les délires de la candidate californienne, ex-rockeuse du groupe Velvet Underground dépasse à ce sujet l’entendement [1]. Cela me laisse froid. La bêtise pure ne fait pas rire.

J’espère une victoire de la raison, à l‘occasion des élections de novembre. Mais elle arrivera si et seulement si les élus traditionnels font assaut de courage et d‘exemplarité. Ils redonneront confiance à leurs concitoyens, non par la magie du verbe, mais sur la foi de succès concrets. La politique américaine se règle néanmoins dans les Etats, et non à Washington. Le journal La Croix consacre justement sa première page au fait que le système éducatif décentralisé prend l’eau. Comment peut-on attendre des électeurs un vote raisonné, quand chaque jour sept mille lycéens claquent définitivement la porte de leur établissement, et renoncent à aller plus loin dans leur scolarité. En 2007, 81 % des Américains d’origine asiatique ont un diplôme, 77 % des Blancs, 56 % des Hispaniques, 54 % des Noirs américains et 51 % des Américains d’origine indienne [Alliance for Excellent Education / La Croix].

Gilles Biassette tape juste, me semble-t-il, en se rendant dans le Kentucky, Etat symbole des Rednecks. Il y a cinquante ans, les lycéens sans diplômes trouvaient un emploi à l’usine, à la mine, ou au pire à la ferme. Aujourd’hui, les producteurs de tabac et de bourbon ont leur avenir derrière eux [statistiques]. Seuls McDonald’s ou Walmart embauchent les non-diplômés et les paient au lance-pierres. Dans l’Etat du Bluegrass, six mille adolescents abandonnent leurs études chaque année. Ils se plaignent des cours ennuyeux, et disent en ignorer l’utilité. Mais si l’on suit les arguments d’une responsable de l’éducation de l’Etat, cela va changer avec l’instauration d’une scolarité à la carte (Individual Learning Plan). Gilles Biassette évoque en outre des mesures plus radicales, comme la retour à une séparation par niveau, et surtout par sexe. L’ennui ne semble donc pas être la seule bête noire pourchassée par les responsables ! Nul n’apprend sans effort, nul n’apprend sans comprendre, nul n’apprend s’il n’en a le désir et on apprend à faire qu’en faisant.

Au Kentucky, justement, le candidat Tea Party a battu au printemps son challenger donné favori. Le Time rappelle les circonstances ainsi que le pedigree du brillant élu (aux primaires). Rand Paul, puisqu’il s’agit de lui, a bénéficié de la notoriété de son père, le libertarien texan et ancien candidat aux élections présidentielles Ron Paul. Mais il a surtout capté les suffrages d’un électorat très conservateur. Il cache ses soutiens financiers pour se présenter comme la colombe immaculée, a mis en avant sa famille. Sur les questions politiques, Rand Paul ne cherche pas l’originalité. Il a conspué la clique des politiciens de Washington, a annoncé vouloir équilibrer le budget fédéral et baisser les impôts. Parmi les agences fédérales présentées comme inutiles, une retient mon attention. Il s’agit du ministère de l’Education [Department of Education] [2]. La boucle est bouclée.

C’est là où le bât blesse, car les candidats soutenus par les Sachets de thé donnent surtout une chance aux démocrates. Ils ne s’appuient sur aucune structure, et ne jurent que par leur bonne volonté. Les Tea baggers proviennent en outre d’horizons les plus divers. « On y trouve pêle-mêle des intellos conservateurs, des partisans de la prière à l’école, des racistes décomplexés, des travailleurs effrayés de voir les usines déménager à l’autre bout du monde, des contribuables inquiets de la dette publique, des anti-écologistes, des croisés de la lutte contre l’immigration illégale et des nostalgiques de la guerre froide qui voient des communistes jusque dans leur soupe.  » Qui imagine les électeurs modérés pencher pour les candidats républicains censés attirer cette clientèle ? L’immixtion du Tea Party saborde en réalité l’opposition au président actuel. Est-ce juste ? La question se pose, car l’administration Obama - Clinton ne mérite pas franchement un satisfecit.

Le journaliste canadien range les Tea-baggers dans les catégories sociales éduquées, mais on verra qu’à la lumière de résultats dans certains Etats du Midwest, ce trait n’apparaît pas si clairement. Beaucoup considèrent qu’Obama s’exprime de façon trop savante, qu’il est Noir et qu’il n’est pas né aux Etats-Unis. Ils estiment généralement que le président précipitera les Etats-Unis dans le communisme, cette menace pourtant écartée depuis l’époque du Maccarthysme qui ne leur laisse que d’heureux souvenirs. Le rejet de la classe politique nationale remonte aux origines ou presque des Etats-Unis, avec deux griefs principaux : trop d‘impôts et trop d‘empiètements sur les libertés individuelles. L’hostilité vis-à-vis de l’establishment prospère cependant sur des faits intangibles : une guerre lointaine et incompréhensible pour le commun des mortels [

Mais les sachets de thé ne sont peut-être que des infusions sans goût.

PS./ Dernier papier sur les Etats-Unis : Time is care.

  • [1] « Je suis contre le fait que le gouvernement se mêle des prêts étudiants, de l’administration des compagnies automobiles et des plans de sauvetage de l’économie. Je n’aime pas que la Maison- Blanche prenne le contrôle du recensement - mais que vient-elle faire dans cette galère ? Je suis contre le fait que la première dame du pays, peu importe laquelle, nous dise quoi manger et j’envoie au diable le maire de New York lorsqu’il déclare : "Fini le sel." [...] Je suis contre un président qui écarte tous ceux qui osent émettre une opinion contraire. Je suis contre l’idée de couper l’eau dans le centre de la Californie, transformant une vaste région agricole en désert pour sauver un poisson mesurant un pouce. [...] Je trouve ridicule que le gouvernement me dise quel genre d’ampoule je dois utiliser et j’en profite pour fournir trois objections à ce bourrage de crâne pseudo-environnemental : 1) ces ampoules n’éclairent pas plus que des chandelles ; 2) elles coûtent très cher ; 3) elles contiennent du mercure. Alors, expliquez-moi comment on fait pour s’en débarrasser... » [Mme Tucker, dans le Huntington Post, cité par Jean-Simon Gagné]
  • [2] «  Paul’s speech in Bowling Green — a small city in the southern part of the state, two hours from Louisville — was far from electric, but it clearly connected. Flanked by his family — including his parents, whom he thanked for instilling in him "respect for the constitution" — Paul chastised Washington politicians for being out of step and ran through a litany of grievances against big government. He has pledged to slash federal agencies like the Department of Education, balance the budget, trim taxes, ban earmarks and introduce Congressional term limits — an idea that has found favor in this virulently anti-incumbent cycle. As the fiscal crisis in Greece has mushroomed, Paul has also invoked the ominous specter of a similarly chaotic collapse befalling the U.S. With large swaths of the electorate disgusted by Washington gridlock, Paul’s themes proved popular. Grayson was an adept fundraiser, but Tea Partyers lined Paul’s coffers with small donations from all over the country. As the campaign crept to a close, Grayson’s laments began to reflect his dwindling chances ; he complained that Paul’s lineage offered vital access to Fox News’ airwaves, and derided his opponent as a "grandstander" apt to place Tea Party principles ahead of the values of Kentuckians. Grayson was also dogged by perceptions that he was a creature of the Republican establishment, despite the fact that he has never served in Washington. At the victory party, Paul supporters suggested Grayson was not a true conservative, noting his vote for Bill Clinton and his ties to party leaders.  » [Time] 

     

Incrustation : carte du Kentucky.


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