Le Tibet dans l’impasse de la voie moyenne, mais à la « croisée des chemins »

par hans lefebvre
lundi 24 novembre 2008

Alors que les jeux olympiques de Pékin ont pris fin il y a trois mois, affichant un bilan encore difficile à évaluer en matière d’évolution du régime, la situation au Tibet demeure sans perspective réelle. Réunis à Dharamsala du 17 au 22 novembre 2008, environ 550 représentants tibétains ont pu définir et maintenir la stratégie dite de la voie médiane, alors que le dalaï-lama lui même avait évoqué ses propres doutes par rapport à cette ligne de conduite qui n’aura abouti jusqu’alors à aucun résultat probant, le régime de Pékin n’ayant fait aucune concession dans le sens de l’autonomie souhaitée par les dirigeants tibétains en exil. Par ailleurs, la jeunesse tibétaine apparaît de plus en plus radicale revendiquant toujours haut et fort l’indépendance du Tibet.

Si les dirigeants chinois viennent d’affirmer sans ambiguïté leur position ferme quant à l’autonomie éventuelle du Tibet au sortir de leur dernière rencontre avec les émissaires du dalaï-lama, la communauté tibétaine en exil doit désormais définir les modalités d’action quant à leur revendication initiale. En effet, un haut responsable du parti communiste de déclarer sans la moindre diplomatie "Nous avons souligné que (...) l’unification de la patrie, son intégrité territoriale et la dignité nationale sont les principaux intérêts du peuple chinois. (...) Nous ne ferons jamais de concessions". Nul doute que la Chine ne cédera pas un pouce de terrain aux revendications tibétaines, toutes médianes soient-elles, la clique du dalaï -lama n’a qu’à bien se tenir dorénavant.

C’est donc dans ce climat délétère que furent convoqués en « conclave » à Dharamsala, par un dalaï-lama en proie à un doute cartésien [1], les représentants en exil de la communauté tibétaine afin de débattre de la posture à tenir face aux autorités de Pékin.

Cette réunion, sans précédent depuis 1959, a pris fin en maintenant la politique dite de la voie médiane envers les dirigeants politiques de Pékin, tout en proposant un catalogue de propositions qui feront office de base de référence pour le dalaï-lama et le parlement en exil, qui devrait se réunir au mois de mars 2009 pour valider ou non les propositions faites. Pour autant, les représentants ont tout de même annoncé qu’ils souhaitaient suspendre toutes les négociations officielles tant que Pékin ne fera pas évoluer sa position, envisageant même que la voie médiane pourra se muer en chemin beaucoup plus radical si l’avenir du Tibet devait rester figé dans les brumes épaisses distillées par Pékin. Ce qui tient lieu en fait de dernier avertissement avant que la rupture ne soit consommée définitivement.

Toutefois selon Lobsang Sangay, cité par le monde "C’est un moment de transition entre un mouvement tibétain dirigé par le dalaï-lama et un mouvement dirigé par son peuple", soit une période fort délicate qui devrait mener vers une évolution majeure concernant la représentation du peuple tibétain aux yeux du monde en élargissant ainsi la base démocratique. C’est ici un choix pour l’avenir qui se veut stratégique afin de coller plus avant aux canons de la démocratie tels que définis par l’occident. Le dalaï-lama abonde parfaitement dans ce sens, rappelant que le sort du Tibet sera remis aux mains du peuple tibétain seul souverain.

En effet, nombreuses sont les critiques à l’égard du système théocratique tibétain, dont certains commentateurs, plus ou moins bien intentionnés et objectifs, n’ont eu de cesse de rappeler. Mais, ce n’est pas parce que le Tibet a été un régime féodal que droit était fait à la Chine d’envahir et d’oppresser une région du monde qui n’avait rien en commun avec l’empire du milieu, si ce n’est une frontière géographique. L’histoire sino-tibétaine reste un sujet où la controverse le dispute à l’idéologie comme a pu le rappeler Françoise Aubin dans son travail de synthèse remarquable en tout point, et il est peu probable qu’une solution satisfaisante puisse s’imposer dans un avenir proche, tant le régime de Pékin, sur ce sujet, s’est figé dans une idéologie d’une autre époque [2].

Cet avenir, notamment celui d’une jeunesse tibétaine qui en a si peu, sauf à se soumettre définitivement au joug de l’envahisseur, est donc pour le moins incertain, et il n’est encore que le dalaï-lama pour maintenir une unité qui pourtant ne demande qu’à se fissurer sous les coups de butoir des militants de la cause indépendantiste.

Le congrès de la jeunesse tibétaine se positionne en embuscade sur le chemin de la voie du milieu sachant que « sa sainteté » n’est pas immortelle et qu’il faudra bien renoncer un jour au dogme du discours de Strasbourg, ces derniers n’accordant aucun crédit aux dirigeants chinois [3].

Tenzin Tsundu, le poète militant de rappeler que s’il ne conteste nullement le leadership du chef spirituel, son mouvement envisage la voie de la lutte armée pour parvenir à l’indépendance revendiquée.

Dés lors, si la Chine n’infléchit pas sa position, il est certain que d’autres émeutes viendront ensanglanter le Tibet et sa capitale Lhassa, alors que la communauté internationale se mobilisera à nouveau pour faire pression sur l’empire du milieu, dans un recommencement perpétuel tel un mantra psalmodié en cœur. Mais, Le Tibet demeure un enjeu géostratégique tel qu’il est difficile d’imaginer un quelconque gouvernement chinois renonçant à ses prétentions sur une région qui est à la fois le toit du monde, ainsi qu’une réserve d’eau immense dont ne peut se passer le géant dragon en pleine transformation économique.

Pourtant, la sagesse voudrait que Pékin finisse par entériner les propositions contenues dans la voie médiane, la seule qui vaille réellement, ce qui pourrait poser les bases d’un avenir bénéfique à chacune des parties, tournant la page d’un conflit larvé qui, si tel n’était le cas, ne fera que s’envenimer sous l’impulsion d’une jeunesse tibétaine sans cesse humiliée.

En attendant, Nicolas Sarkozy a promis de rencontrer le dalaï-lama le 6 décembre en Pologne pour lui renouveler son soutien discret, si d’ici-là, la Chine ne dicte pas un nouvel emploi du temps à notre président.

 

[1]Discours du dalaï-lama tenu le 25 octobre 2008 lors du 48ème anniversaire du village des enfants tibétains.

[2] Écrits récents sur le Tibet et les Tibétains, Françoise Aubin, bibliographie commentée, les cahiers du CERI. A lire impérativement pour toute approche objectivée du sujet.

[3] La proposition de Strasbourg.


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