Le top-modèle finlandais

par Bruno de Larivière
jeudi 25 novembre 2010

Le système éducatif finlandais est bien différent de celui de la France. C’est d’abord pour cela que beaucoup s’y réfèrent. Sont-ils tout à fait impartiaux ? Les arguments ne manquent pas pour en douter. Mais la comparaison réserve quelques surprises...

Vive le (top) modèle finlandais ! L’appel tournant dans les médias à l’injonction, j’ai soudain eu l’envie d’en savoir un peu plus sur ses caractéristiques principales. Celles-ci placent avantageusement ce pays nordique dans les classements internationaux de connaissance et de compétence des élèves du secondaire. En 2003, la Finlande arrive en effet en premier pour les tests PISA (Program for International Student Assessment) en lecture, en mathématiques et en calcul.

Les inégalités existent entre garçons et filles, entre origines sociologiques, ou entre établissements, mais aucun autre pays ne parvient à des résultats plus satisfaisants que ceux obtenus en Finlande. Enfin, seuls 6 % des élèves finlandais souffrent de difficultés [source]. Ce succès (quasi) total a conduit nombre de personnes intéressées par la question éducative à forger l’expression de modèle finlandais. Celle-ci se banalise puisqu’elle se glisse dans les articles sur le nucléaire, ou encore sur la réforme des retraites… Xavier Darcos en rêvait [source], Luc Chatel s’y réfère, mais ses adversaires s‘en réclament aussi [source]. C’est un petit modèle entre ennemis. 

A quoi ressemble ce paradis des élèves qu‘est la Finlande ? Paul Robert s’y est rendu pour juger par ses propres yeux. Le principal du collège Nelson Mandela dans le Gard est revenu converti. Son rapport en témoigne, directement repris par Philippe Mérieu : « L’éducation en Finlande : les secrets d‘une étonnante réussite.  » La connotation moralisatrice apparaît dès le sous-titre : « chaque élève est important ». Le procès en béatification s’ouvre sur une condamnation au bûcher. Au contraire des Finlandais, les Français auraient préféré - bien sûr à tort - les savoirs aux élèves. Est-ce aussi simple ? Je ne le crois pas [L’histoire et la géographie ne servent à rien].

Le principal du collège semble ignorer le sens de la mesure. Tout à son affaire, il organise sa démonstration en fonction de sa conclusion. Les élèves finlandais sont heureux, rentrent facilement en contact avec leurs professeurs, qui eux-mêmes sont prêts à répondre aux questions. Chacun vient en cours dans la tenue qui lui sied. Il n’y a pas de dégradations et pas d’impolitesse. Punir reste une décision exceptionnelle pour les adultes. Les élèves ne subissent pas l’humiliation de la notation et peuvent se concocter eux-mêmes leurs emplois du temps, en fonction du choix des matières. Grâce à la présence d’un personnel d’encadrement nombreux, on repère vite les cas de décrochages.

Bon nombre des arguments avancés n’admettent évidemment pas de contestation. On apprend mieux si on en a le goût et le désir. Les établissements rassemblent peu d’élèves (« Un environnement chaleureux et accueillant  ») ? C’est mieux que l’inverse. Les établissements bénéficient d’un équipement moderne et en bon état de fonctionnement ? C’est mieux que l’inverse. Les enseignants ont des classes moins lourdes, restent plus longtemps dans leurs établissements parce qu’ils ont un bureau. Là encore, les classes surchargées et les salles des profs exigües ne trouvent guère de défenseurs.

Dans la queue gît le venin. Paul Robert glisse une allusion à la liberté pédagogique des enseignants finlandais, qui ne sont astreints à aucun programme fixe (…). Il évoque également le rapport entre adultes et enfants. Dans l’Education Nationale, celui-ci équivaut en théorie à celui observé en Finlande, mais pas en pratique. « L’absence de ‘vie scolaire’ et de corps d’inspection et le poids beaucoup moins lourd de l’inspection centrale en raison d’une décentralisation poussée pourraient être des éléments de réponse.  » [page 5] Euronews a résumé dans cette vidéo les principaux atouts de la Finlande.

Au fond, le modèle finlandais porte bien son nom, toutes choses égales par ailleurs. Le principal du collège Nelson Mandela n’interroge aucune des caractéristiques d’une population nordique vieillissante (taux de natalité 11 pour 1.000, taux de mortalité 9 pour 1.000), au sein de laquelle les moins de 15 ans pèsent autant que les plus de 65 ans (17 %) [Population Reference Bureau]. Peut-on comparer une classe d’âge de 60.000 personnes à scolariser (Finlande) avec une autre, treize fois plus volumineuse : 820.000 naissances en France ? En Finlande, la plus grosse aire urbaine (Helsinki) atteint tout juste un million d’habitants sans les difficultés de déplacements des grandes métropoles, et la population se concentre sur un cinquième du territoire (338.000 km²). Un quart de la superficie finlandaise se situe au nord du cercle polaire. A Helsinki en décembre, le jour ne dure que six heures. A l’est de la frontière russe, la menace d’une invasion a longtemps dominé les esprits. Ces quelques données montrent une inégalité profonde entre petits Français et petits Finlandais. Je ne suis pas vraiment sûr que cela soit au détriment des premiers. Et je ne m‘engage même pas sur le terrain des différences entre les deux pays. Qu’en est-il du contrôle social dans une société homogène ethniquement et marquée par le protestantisme ?

Si j’étais plus incisif, je m’interrogerais sur la fusillade de septembre 2008 au cours de laquelle un lycéen armé a tué dix adolescents de son établissement [source]. Une journaliste réputée a récemment décrit les maux qui taraudent la société finlandaise, un mélange d’alcoolisme et de mal-être. Son interview dans un journal danois a provoqué un tollé en Finlande, le principal reproche portant sur la forme et non sur le fond ; on lave son linge sale en famille [source]. Tout le monde boit, et l’Etat y trouve son compte, grâce aux taxes prélevées sur l’alcool. L’ennui, les longues soirées hivernales et la baisse de luminosité qui rend dépressif, les soirées entre amis : tout pousse à lever le coude. Le sujet fait rire, provoque des concours [source]. A l’échelle d’une société, les conséquences sanitaires sont catastrophiques. La Finlande a un temps battu les records de suicide. L’écrivain Arto Paasilinna dans Petits suicides entre amis en fait la trame de sa satire sociale, racontant l’histoire de deux hommes qui partagent un même goût pour l’autodestruction. Ils créent une association visant à rationaliser le suicide et à mettre en commun les ressources des futurs disparus [source]. Mais il est facile de dénigrer la Finlande et les Finlandais : or, ils n’ont pas demandé à servir de modèles !

 Je conclurai sur ce qui rapproche la France de la Finlande. Les dépenses publiques y atteignent dans les deux cas des niveaux à la fois similaires et incomparables dans l’OCDE : le Danemark (premier), la Finlande (deuxième), la Suède (troisième) et la France (quatrième) absorbent plus la moitié de leurs PIB respectifs [Eurostat (2009) / source]. « Alors que le nombre d’actifs avoisine les 2,3 millions en Finlande, la part du secteur public est d’environ 28 % (643.000 agents) dont 23 % pour l’administration centrale (145.000 agents). Celle-ci est composée de 13 ministères et 111 organismes. […] La plupart des services publics étant assurés à l’échelon local, les administrations régionales et locales sont des partenaires de premier plan. Les communes et les communautés de communes représentent 77 % de l’ensemble des effectifs du secteur public.  » [Etudes de l’OCDE sur l’administration électronique de la Finlande / p.36 / 2004]

Derrière le taux d’imposition se cachent par conséquent de grandes différences. En Finlande, la dépense publique ne correspond guère à celle que l’on observe en France. En 1997, le gouvernement finlandais a refondu la carte administrative, en divisant par deux le nombre de provinces (de douze à six). Depuis 2008, il réfléchit à un redécoupage sévère de la carte communale. On compte encore 446 communes en Finlande. Les fonctionnaires sont nombreux, mais ils travaillent au plus près des administrés, gérant de très nombreux aspects de la vie quotidienne : santé, logement, action sociale, et éducation. A terme, il ne resterait qu’une soixantaine de super-communes d’au moins 20.000 habitants. Ce projet de réforme rencontre pour l’heure une opposition de la population rurale en particulier, qui craint un éloignement des services publics [source]. En France, la réduction des effectifs de fonctionnaires préserve largement l’administration centrale, et les gouvernements peinent à privilégier un échelon administratif plutôt qu’un autre [France, pays désincarné aux territoires emboîtés et mal identifiés]. Et ce n’est pas au Congrès des Maires que l’on va apprendre un changement [Le Monde].

J’ai donc mésestimé la source d’inspiration pour la France, en doutant de l’existence d’un modèle en bonne et due forme…


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