Le TPIY, la Serbie et ses criminels de guerre : Pour une justice objective et des principes universels
par Daniel Salvatore Schiffer
jeudi 21 juillet 2011
Ainsi la nouvelle Serbie démocratique du Président Boris Tadic vient-t-elle d’arrêter, ce 20 juillet 2011, le dernier de ses présumés criminels de guerre, Goran Hadzic, que le Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie - le fameux TPIY, dont le siège est à La Haye - a formellement inculpé, en attendant son procès, du meurtre de centaines de civils croates lors de la prise, en 1992, de la ville de Vukovar.
Certes, ne voulant pas m’immiscer dans une affaire dont je ne connais pas tous les éléments, me garderai-je bien de porter ici quel que jugement que ce soit. De même, en un dossier aussi complexe que celui des guerres de Croatie et de Bosnie (1991-1995), n’aurai-je jamais la prétention, surtout en d’aussi tragiques circonstances sur le plan humain, de me substituer au travail, que l’on espère serein, de la Justice. Mais il n’empêche : une réflexion, se voulant non partisane, s’impose, tout de même, ici !
Car si les Serbes, que nos intellectuels les plus médiatiques n’eurent de cesse de diaboliser tout au long de ce conflit, auront finalement répondu, avec l’arrestation de tous leurs anciens responsables politiques (dont Slobodan Milosevic et Radovan Karadzic) et militaires (dont Ratko Mladic), aux attentes de la communauté internationale, il n’en va pas du tout de même avec les Croates et les Musulmans, que ces mêmes intellectuels se seront pourtant évertués, au contraire, d’angéliser, durant cette terrible guerre civile, sans le moindre esprit d’objectivité.
Ainsi, par exemple, tant l’ex-Président de la Croatie, Franjo Tudjman, antisémite notoire et révisionniste invétéré, que l’ex-Président des Bosno-Musulmans, Alija Izetbegovic, fondamentaliste islamiste, moururent-ils, quant à eux, de leur belle mort, et même, dans leur pays respectif, avec tous les honneurs. Quant à Jovan Divjak, ex-commandant en chef des forces militaires bosniaques, il n’a été arrêté, dans un pays tiers qui plus est, que parce que les autorités politiques serbes avaient lancé, contre lui, un mandat d’arrêt international au même titre - certes toutes proportions gardées, aurai-je l’honnêteté intellectuelle de préciser, au vu de l’ampleur des massacres commis par les forces serbes - que pour Ratko Mladic.
Pis : Hashim Thaci, actuel Premier Ministre du Kosovo, est toujours autant encensé, lui, par la plupart des grandes puissances occidentales, au premier rang desquelles émergent les USA, malgré cet incontestable fait que Dick Marty, soutenu en cela par le Conseil de l’Europe lui-même, l’ait accusé, il y a quelques mois déjà, des pires activités criminelles, dont un abominable trafic d’organes humains prélevés sur des prisonniers serbes, lorsqu’il était l’impitoyable chef, en 1999, de l’UCK (Armée de Libération du Kosovo) !
Aussi, l’intellectuel épris de principes universels que je suis ne peut-il dès lors que répondre, à son tour, à cette interrogation que formulait Bernard-Henri Lévy, dans l’hebdomadaire « Le Point » du 10 juin dernier, au lendemain de la livraison de Mladic, par les Serbes eux-mêmes, au TPI : « A-t-on bien pris la mesure de l’importance qu’a revêtue, après plus de quinze ans d’une bien étrange cavale, l’arrestation de l’ex-général Ratko Mladic ? », s’y demandait-il en effet. Car j’ai, moi, bien envie de lui rétorquer aujourd’hui, maintenant que les Serbes ont accompli jusqu’au bout leur devoir judiciaire, par ces mots guidés par une même soif, mais quant à elle impartiale et sans exclusive, de justice : quand les Kosovars auront-il le courage, eux, d’arrêter cet ex-bourreau d’Hashim Thaci, dont il n’est pourtant pas jusqu’à l’inénarrable Bernard Kouchner qui, enlisé en une subjectivité non moins suspecte que celle de son ami BHL, ne vante encore, envers et contre tout, les supposés mérites ?
Car, par-delà nos bien dérisoires positions en la matière, c’est peut-être la définitive réconciliation entre ces différents peuples martyrs, au sein des Balkans, qui se trouve là, de fait, en jeu !
DANIEL SALVATORE SCHIFFER*
* Philosophe, écrivain, auteur notamment de « Requiem pour l’Europe - Zagreb, Belgrade, Sarajevo » (Ed. L’Âge d’Homme ») et « La Philosophie d’Emmanuel Levinas (Presses Universitaires de France).