Les Démocrates à la croisée des chemins
par Terra Nova
vendredi 3 septembre 2010
Les Démocrates doivent affronter des élections législatives mid-term difficiles. John Podesta, président du Center for American Progress et membre du conseil scientifique de Terra Nova, en fournit la grille de lecture dans une tribune qui paraît aujourd’hui dans Le Monde. Si les Démocrates au pouvoir ont déjà mené des réformes progressistes fondamentales, la méthode n’est pas la bonne : la volonté d’action pragmatique transpartisane s’est heurtée à une guérilla politicienne nauséabonde, menée par une opposition républicaine hystérisée par les mouvements extrémistes des Tea Parties ; et elle a interdit au Président Obama de capitaliser sur la dynamique de l’extraordinaire mouvement citoyen qu’il avait soulevé en tant que candidat.
En dépit de succès politiques réels et significatifs - création d’un système de santé accessible à tous, réforme de Wall Street – et malgré des mesures vigoureuses et rapides pour prévenir une catastrophe économique, les sondages prédisent aux Démocrates des pertes substantielles aux prochaines élections de mi-mandat.
La pilule est amère deux ans seulement après l’écrasante victoire d’Obama, porté par une vague de soutien populaire avec l’appui d’un mouvement progressiste revigoré. Après un été difficile marqué par la poursuite des destructions d’emploi et des reportages en boucle sur la marée noire dans le Golf du Mexique, les taux d’approbation de Barack Obama ont plongé à leur plus bas niveau. Le public américain a assisté à une guérilla législative, rendue nauséabonde par une opposition républicaine déchaînée et calomnieuse. Mais les frustrations de l’électorat ont vocation à peser en priorité sur les Démocrates - le parti au pouvoir.
Le fardeau le plus lourd pour le Parti Démocrate reste la lenteur de la reprise économique et l’anémie du marché de l’emploi. Le Président et son équipe ont eu l’immense mérite d’éviter à l’économie de basculer de la récession dans l’effondrement absolu, sauvant au passage huit millions d’emplois, selon les estimations officielles. Il est pourtant probable qu’ils n’en tireront pas bénéfice dans l’isoloir. Un travailleur américain sur dix est aujourd’hui incapable de trouver du travail et les chiffres du chômage de longue durée continuent de s’alourdir, à des niveaux jamais atteints.
Au-delà des défis posés par la lenteur de la reprise, le Président Obama est aussi frappé par un paradoxe politique. Il est arrivé au pouvoir avec un programme politique extraordinairement ambitieux, porté par une vague de rhétorique post-partisane qui promettait la fin des pugilats politiciens qui déchiraient Washington.
Deux problèmes l’attendaient pourtant une fois à la Maison Blanche. Pour convertir ses idées en lois, son Administration a d’abord dû travailler avec le Congrès. Son équipe a alors annexé l’action gouvernementale à sa traduction législative, liant étroitement les récits quotidiens des succès et des échecs du Président à la dramaturgie qui se jouait au Capitole. En second lieu, le Président Obama s’est heurté à une opposition républicaine enragée, qui a refusé, souvent sous la pression du mouvement extrémiste Tea Party, de travailler avec le Président ou les Démocrates. Des conservateurs de premier plan ont mis en cause non seulement les politiques du Président, mais aussi son patriotisme – et, parfois, jusqu’à la légalité de sa citoyenneté américaine. Il est rapidement devenu évident qu’il n’y avait pas de voie qui permette à la fois d’appliquer avec succès les grands axes d’un programme politique dont le pays avait désespérément besoin et, dans le même temps, d’ouvrir une ère moins politicienne et partisane dans la politique américaine.
Le résultat est que le Président et son équipe ont passé le plus clair de leur temps à essayer de rallier quelques voix démocrates charnières au sein d’un Sénat hostile, de surpasser en astuce les stratèges du Parti républicain et de contrecarrer l’hystérie conservatrice qui submergeait les ondes médiatiques. Sur la défensive, la Maison Blanche n’a pas consacré assez de temps à clarifier ses grandes priorités pour le pays auprès d’un public anxieux et troublé. L’opinion américaine, ébranlée par la récession, a été progressivement frustrée de constater que le fossé entre les deux partis politiques était plus profond que jamais, et qu’Obama ne réussirait pas à réaliser sa promesse électorale de mettre un terme à la guérilla politicienne permanente de Washington.
Obama et son équipe promeuvent actuellement un admirable modèle de pragmatisme dans leurs politiques : appliquons ce qui marche, sans s’arrêter aux postures idéologiques. Mais en choisissant de formuler l’action gouvernementale en termes seulement pragmatiques, et non comme une vision philosophique cohérente au service d’un projet politique offensif, le Président Obama n’a pas capitalisé sur la dynamique de l’extraordinaire mouvement citoyen qu’il avait soulevé en tant que candidat. En bref, les Démocrates ont perdu le contrôle de la narration politique.
La bonne nouvelle est que le Président Obama s’est concentré avec succès sur ses plus importantes priorités, posant ainsi les fondations d’une économie solide et juste. Les Américains ont compris que le Président Bush et les Républicains ont conduit l’économie dans une impasse dangereuse. Le jour où la reprise s’affermira, où le rythme des créations d’emplois redémarrera, le sort du président fera de même.
Aussi, à un moment où les Démocrates risquent de subir des pertes électorales significatives aux élections législatives de novembre, une chose reste certaine – Barack Obama a déjà mené à bien des réformes progressistes fondamentales, celles qui dureront des générations. Se battre pour les travailleurs et les travailleuses contre les privilèges et le pouvoir ; soutenir le bien commun contre des intérêts particuliers étroits ; mettre en place une vraie coopération internationale pour s’attaquer aux défis collectifs et globaux : ce sont là des combats intemporels. Si le Président Obama reste fidèle à ces principes progressistes dans les années qui viennent - et s’il réussit à rappeler au public ce qu’il a réalisé et ce qu’il réalisera encore – l’Amérique en sera plus forte et plus juste. Et comme le Président Reagan et le Président Clinton, qui ont essuyé des échecs dans les élections intermédiaires avant de connaître des réélections impressionnantes, les premières réalisations d’Obama auront jeté les fondations de succès politiques durables pour les politiques progressistes aux Etats-Unis.