Les Dogons dans la tourmente !
par siatom
mercredi 16 janvier 2013
La triste actualité malienne me donne l’occasion de présenter à ceux qui ne le connaissent pas encore le pays Dogon. Très proche de Konna, à peine 70 kms à vol d’oiseau, la dernière ville la plus au sud investie par les mouvements islamistes. Les dogons sont installés sur les falaises de Bandiagara, le plateau de Sangha et la plaine du Séno.
C’est probablement l’ethnie malienne qui a le mieux conservé son originalité, ses traditions et ses croyances séculaires. Mon histoire personnelle fait que je ne peux rester indifférent au destin du Mali, mais mon but n’est pas de convaincre qui que ce soit de la nécessité de l’intervention militaire française décidée par Hollandemol , grand producteur de gadgets sociétaux, mué en chef de guerre.
J’ai lu et entendu la litanie des arguments contre, certains recevables, d’autres plus spécieux en vrac, les arrières pensées politiques et économiques vraies ou fantasmées qui sous-tendent cette intervention, le risque d’enlisement, la vie de nos otages, de nos militaires etc.
Ceux qui sont pour, et notamment l’immense majorité des maliens si j’en crois la presse locale et les forums maliens et africains pourraient nous rappeler les milliers de soudanais morts pour que la France ne devienne pas la ‘’Vranze’’.
Les détracteurs de cette intervention, très nombreux sur la toile connaissent sans doute mieux que quiconque la géographie, la culture, la composition ethnique de ce vaste pays. Selon le député Mamère, marieur compulsif, il était urgent d’attendre la délibération des députés et le Mujao, Aqmi et Ansar ed-Dine demeureraient sagement l’arme au pied en guettant les décisions du Palais Bourbon.
Pour ma part, j’ai juste pensé à ce qui arriverait aux Bambaras, Malinkés, Peuls, Bozos, Sénoufos, Songhaïs (déjà touchés à Gao) et autres qui composent la mosaïque ethnique de ce pays. Les Dogons eux, se situent géographiquement au nord de la ligne sécurisée par les troupes maliennes et françaises à Sévaré et Mopti.
Qu’adviendrait-il de ce peuple venu du sud ouest du Mandé, entre le XIIIème et XVIème siècle s’installer en trois vagues de peuplement sur la falaise de Bandiagara ou vivaient alors des populations troglodytes les Tellem afin d’éviter une islamisation qui a fini par les rattraper au 19ème siècle pour une bonne partie d’entre eux ? Cette islamisation se conjugue encore de nos jours avec de nombreuses pratiques animistes.
Le peuple Dogon a éveillé rapidement l’intérêt d’abord d’un lieutenant de l’infanterie coloniale Louis Desplagnes en 1907, mais c’est surtout grâce aux travaux des le début des années 1930 d’éminents ethnologues, le Professeur Marcel Griaule, rejoint quelques années après par Germaine Dieterlen qui vivront vingt ans parmi eux que la connaissance de la cosmogonie Dogon symbolisé par les masques est parvenue jusqu’à nous.
C’est probablement grâce à la situation géographique et aux falaises de grès au sein desquelles sont blottis ces villages constituant ainsi des forteresses difficilement accessibles que cette vieille civilisation a pu rester relativement épargnée.
Les deux ethnologues français, initiés par un prêtre Dogon, le Hogon Otogommeli publieront une étude en 1951 dans le journal de la société des africanistes intitulée « un système soudanais de Sirius ». Dans cet article, ils décriront la vision des Dogons de l'univers, tellement stupéfiante pour un peuple dit primitif qui suscita l’incrédulité.
Ce qui semble incontestable, c’est que la cosmogonie Dogon intègre des faits astronomiques observables qu’avec des télescopes dont ils ne disposaient bien évidemment pas, par exemple, les quatre satellites de Jupiter, les anneaux de saturne. L’origine de ce savoir astronomique reste une énigme.
Le célèbre masque Kanaga qui illustre cet article est censé être l’évocation d’Amma le dieu créateur, qui semble évoquer un homme les bras levés a même figuré fugitivement sur le drapeau du Soudan français (actuel Mali) en 1958/1959 et sur l’éphémère Fédération du Mali constituée du Sénégal et du Soudan français.
Ce qui surprend le visiteur en visitant le pays Dogon, c’est aussi l’architecture qui diffère totalement des autres villages maliens. La vue qui s’offre à lui est à la fois magnifique et spectaculaire avec des hauts greniers surplombant les cases et plus haut encore des anfractuosités dans lesquelles les Dogons placent leurs défunts.
Les cases sont construites en pierres venues des éboulis, matériau quasiment absent ailleurs au Mali ou en briques d’argile façonnées à la main, elles sont entourées de greniers à mil reconnaissables à leur toiture conique en paille et à leurs portes sculptées.
Autre particularité, la case à palabres, la Togou-na ou Toguna sous laquelle les hommes du village, et plus particulièrement les anciens, se réunissent pour parler des affaires communes. Sa taille basse est conçue pour préserver l'ombre et la fraîcheur du lieu de réunion. Il est dit aussi que sa hauteur réduite à 1.20 m empêcherait les hommes de se tenir debout et réduirait les emportements.
Les dogons sont également connus pour leurs danses masquées régies par ‘’ La Société des masques’’ composé uniquement d’hommes dont la plus emblématique s’exécute sur des échasses organisées lors des différentes cérémonies. On peut regretter qu’elles s’organisent aussi désormais pour les touristes moyennant rétributions.
Le tourisme constitue aujourd’hui un revenu non négligeable pour certains acteurs locaux : guides, hôteliers, agences de voyage mais les Dogons sont essentiellement des agriculteurs cultivant le mil, le sorgho, le fonio et là ou l’eau est présente, notamment grâce à de petits barrages s’est développée une culture maraichère, majoritairement des oignons.
L’art Dogon est réputé dans le monde entier pour ses masques, ses statuettes rituelles et ses fameuses portes en bois sculptées et les falaises hautes de 100 à 300 mètres d’altitude sont désormais classées au patrimoine de l’UNESCO comme site exceptionnel.
J’espère que ce petit billet écrit sur la base de souvenirs personnels forcément parcellaires avec l’aide du livre de Bokar N’Diaye ‘’Les Groupes ethniques au Mali’’ éclairera le conflit actuel sur d’autres aspects que la politique et la géostratégie. Une rencontre avec l’islam radical risquerait d’anéantir à jamais ce qu’ils ont su préserver jusqu’à ce jour : leur identité.
Je formule le vœu aussi que le Mali tout entier qui recèle beaucoup d’autres richesses culturelles échappe enfin à cette tourmente que l’inconséquence de sa classe politique et les errements des putschistes plus à l’aise pour perpétrer des coups d’état que d’aller se confronter avec les islamistes n’ont pas su éviter.