Les dominos, les échecs et le jeu de go

par Pierre
samedi 1er octobre 2011

Aujourd’hui, principalement trois pays dans le monde se disputent le droit d’avoir des zones d’influence, autrement dit, d’avoir des ambitions impériales.

Il s’agit d’abord des Etats-Unis. C’est le seul pays à avoir des ambitions planétaires. Avec l’OTAN et d’autres pays alliés comme Israël, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie, etc. et avec 737 bases militaires (lien) dans le monde (en 2007), leur influence couvre toute la planète. On parlera de stratégie des dominos en ce qui les concerne.

Le deuxième pays abordé sera la Russie qui défend son environnement proche et qui a quelques pays amis en Amérique latine et en Asie. Sa stratégie sera associée au jeu d’échecs.

La Chine sera le troisième pays abordé. C’est un nouveau-venu qui commence seulement à placer ses pions. Ses pions de jeu de go évidement.

Cet article n’a pas l’ambition d’être une analyse exhaustive de la géopolitique mondiale. Vu à travers leur jeu respectif, il permet seulement de mieux cerner le comportement de ces trois pays.

Les dominos et Etats-Unis.

C’est un jeu relativement primitif, avec une règle simple : faire tomber un maximum de dominos en lançant de puissants coups sur des dominos faibles qui entraineront des dominos voisins dans leurs chutes. Tous les dominos couchés sont censés être gagnés. Le but est d’arriver à gagner tous les dominos et d’ainsi être le maître absolu du jeu. 

Il y a quand-même quelques écueils à éviter.

Cela veut dire que les Etats-Unis se sont donné pour objectif, grâce à la mondialisation et avec la justification de l’instauration de la « démocratie occidentale », de forcer le reste du monde à suivre leurs modèles économique et politique.

Leurs atouts : le dollar, une armée avec un équipement ultra moderne, un réseau diplomatique omniscient et tentaculaire, le soutient des plus importants média et le contrôle de l’espace cybernétique.

Leurs points faibles. Leur endettement excessif, leur manque de perspective de croissance économique, leurs échecs stratégiques en Irak et au Proche-Orient et la montée en puissance des BRICS.

Depuis l’effondrement de l’URSS, on a vu de nombreux pays basculer dans le camp états-unien. L’Europe centrale d’abord, ensuite des ex républiques de l’URSS comme les pays baltes et la Géorgie ainsi que la Côte d’Ivoire et la Libye récemment. Beaucoup de pays sont encore visés. Ce sont surtout des pays dont le sol est riche en matières premières. On peut penser à l’Iran, à l’Asie centrale, à l’Algérie, à l’Angola, au Venezuela et à l’Afrique.

Leur stratégie est, semble-t-il, d’avoir le contrôle de la production des matières premières ainsi que des routes de transport et d’ainsi avoir un moyen de pression sur la Chine et la Russie.

Les Etats-Unis ont chaque fois utilisé une partie ou la totalité de leurs atouts pour obtenir ces résultats. 

Les écueils qu’ils doivent éviter ou qu’ils n’ont pas pu éviter.

Conclusion.

Les Etats-Unis et surtout sa composante militaire ne sont pas disposés à céder ou à partager leur leadership mondial. La nouvelle approche, plus en concertation avec les alliés, que le président Obama avait présentée lors de son élection, semble se mettre en œuvre. 

La France agissant en Côte d’Ivoire, la France et la Grande-Bretagne en Libye, la Turquie sans doute bientôt en Syrie et, ensuite, tous ensemble contre l’Iran.

Il faudra s’attendre à une très forte pression sur les pays européens pour qu’ils augmentent substantiellement leurs budgets militaires dans les prochaines années pour pouvoir répondre aux attentes de leur allié états-unien. Les Européens devront bientôt choisir entre « butter oder kanonen », du beurre ou des canons

Les échecs et la Russie.

Ici, il s’agit d’un jeu beaucoup plus complexe. Le but de ce jeu est de faire tomber le roi adverse avant que l’adversaire ne mette le vôtre échec et mat.

Quelques règles à connaitre.

Suite à des erreurs stratégiques dans les années 90, la Russie se trouve dans une position défensive avec pratiquement aucune chance de vaincre son principal adversaire, les Etats-Unis, sauf si celui-ci commet lui-même une grave erreur. 

La Russie se contente d’essayer d’intervenir dans son étranger proche pour former un glacis autour de son pré carré. Il s’agit surtout des pays de l’ex-URSS et de l’Arctique. La Syrie semble être une timide avancée offensive qui permettrait à la Russie d’avoir une base navale en Méditerranée. Il faut savoir que le passage de navires de guerre en mer Noire par les détroits turcs est régi par la convention de Montreux (lien) qui n’autorise pas le passage de certains types de navires comme des porte-avions par exemple.

Les alliances militaires avec des pays éloignés ne sont pas à l’ordre du jour. Vendre des armes à un pays en fait un client, pas un allié.

Il s’agit pour la Russie de gagner du temps pour reconstituer ses forces économiques et militaires. Elle fait actuellement partie des 10 premières puissances économiques mondiales mais a l’ambition de devenir la cinquième d’ici 2017 (lien). La modernisation de son armée est en cours. De nouvelles armes vont bientôt l’équiper comme par exemple les BPC (lien), les avions Sukhoï T 50 (lien), les missiles anti-aériens S 400 et S 500 (lien), les sous-marins de la classe Boreï (lien) et les missiles stratégiques Topol (lien) et Boulava (lien). Il ne faut aussi pas oublier que le système de positionnement par satellite GLONASS (lien) est avant tout à vocation militaire. On sait aussi que des recherches sur de nouvelles pistes sont en cours comme par exemple l’étonnant blindage liquide (lien) dont on se demande quelle va-t-être son application pratique.

La Russie ne prévoit pas de créer de forces de projection au-delà de son étranger proche. Il n’y a pas de projet de construction de nouveau porte-avions avant 2020 (lien) ou d’ouverture de bases militaires éloignées par exemple.

La Russie peut compter sur quelques pays amis en Asie et en Amérique latine. La Syrie, le Vietnam, le Venezuela, le Nicaragua, …

Les règles que la Russie semble suivre.

Les atouts de la Russie : un redoutable arsenal nucléaire, des réserves de matières premières de première importance, un faible endettement, des réserves de change de plus de 500 milliards de dollars (lien), son complexe militaro-industriel, des potentiels de développement économique et industriel appréciables.

Les points faibles de la Russie : sa dépendance du cours des matières premières, les réflexes des Russes hérités de la période communiste comme le peu de productivité, la corruption (lien) ou les marchés parallèles par exemple et l’évasion des capitaux organisée par son oligarchie,.

Conclusions.

On va sans doute retrouver le très expérimenté Monsieur Poutine à la présidence du pays en lieu et place du très accommodant (avec les occidentaux) Monsieur Medvedev qui a cédé sur trop de dossiers. Libye, sanctions contre l’Iran avec refus de vendre les S 300 commandés, bouclier antimissiles de l’OTAN, etc.

Cela laisse présager des tensions avec les pays de l’OTAN à un moment où les Européens ont plus que jamais besoin du gaz russe. 

Le jeu de go et la Chine.

Le but du jeu est de placer ses pierres sur des lignes d’intersections du goban, un plateau de 19 lignes sur 19 et d’encercler le maximum de pierres adverses sans se laisser entourer les siennes par celles de l’adversaire. Certains placements sont donc défensifs, d’autres offensifs. 

C’est un jeu avec des règles simplissimes mais d’une complexité infinie.

On pourrait se retrancher derrière notre manque de connaissance profonde de la Chine et son arrivée récente comme puissance économique majeure pour éluder une analyse de sa stratégie. Il y a quand-même pas mal d’éléments dont on peut se servir pour y arriver.

Les Chinois sont un peuple de commerçants, pas de conquérants. Depuis l’avènement de la République populaire de Chine, ses guerres ont eu lieu à ses frontières, l’Aksai Chin en 1962 et du Xinjiang en 1968 à cause de désaccords sur des frontières héritées de l’époque coloniale ou ont été l’expédition punitive contre le Vietnam en 1979.

Ce qu’on sait du programme militaire chinois indique plutôt que la Chine n’a pas l’ambition de sillonner tous les océans de la terre. Ne se doter que de trois porte-avions ne le permettrait pas. 

En revanche, les études concernant la mise au point de missiles balistiques antinavires (lien) indiquent que la Chine veut menacer les porte-avions états-uniens qui naviguent près de ses côtes.

Comme la Russie, la Chine rattrape rapidement son retard qualitatif dans l’armement. L’avion de cinquième génération Chengdu J 20 (lien), la construction de porte-avions, la production de sous-marins de tous types et le système de positionnement par satellites Beidou (lien) en sont les principaux signes.

Les atouts de la Chine. Ses réserves de change de plus de 3000 milliards de dollars (lien), sa croissance extraordinaire et son image d’alternative aux Etats-Unis

Les points faibles de la Chine. Son retard militaire actuel, son besoin crucial de matières premières importées, le fait que les Etats-Unis ont bien compris que la perte de leur leadership viendra de la Chine, les menaces de sécession de provinces éloignées comme le Xinjiang ou le Tibet, 

Conclusion. 

La Chine va progressivement étendre sa zone d’activité navale dans une grande partie de l’océan indien en concurrence avec les Etats-Unis.

L’expansion chinoise dans le reste du monde sera uniquement commerciale. 

Il y aura un face à face entre la Chine et les Etats-Unis dans les pays de la péninsule arabique et en Afrique qui sera sans doute dans un premier temps favorable aux Etats-Unis.

Si l’Iran parvient à éviter une guerre, il basculera sans doute du côté chinois.

Conclusion générale

Quel que soit le jeu qu’on choisit, on peut dire que le monde va entrer dans une dangereuse période de turbulences dans les décennies qui arrivent. On pressent que ceux qui possèdent la force militaire vont l’utiliser faute d’autres arguments de persuasion.

A l’avenir, les pays du BRICS (lien) vont probablement avoir de plus en plus souvent des positions communes face à la « communauté internationale du bloc états-unien »

Pour terminer, je reformulerais une célèbre phrase qu’André Malraux n’a jamais prononcée (lien) en disant : je crois que le XXIème siècle sera multipolaire et tolérant ou ne sera pas.

 Pour le spirituel, il faudra attendre le XXIIème siècle.


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