Les Farc, Betancourt, le gouvernement colombien

par Eratosthène
mercredi 5 mars 2008

Quelques rappels sur les Farc, Betancourt et la situation en Colombie.

Les Forces armées révolutionnaires de Colombie-Armée du peuple (Farc-EP, abrégé en Farc) sont formées de guérilleros marxistes-léninistes. Ces groupes, ainsi, professent officiellement leur désir de justice sociale, de paix, d’égalité, de lutte contre la faim. Qui serait contre ?

Mais, par derrière, ce groupe terroriste se finance à coup d’enlèvements de civils, de personnes politiques, de touristes, afin de demander une rançon (et n’hésite pas à assassiner les otages si la famille n’a pas de quoi payer), taxe les populations locales, pille les banques des villages, organise des barrages sur les routes pour prendre l’argent et les bijoux des voyageurs et, surtout, contrôle une bonne part de la production de cocaïne.

Avec toutes ces sources de revenu, on estime qu’un soldat des Farc gagne à peu près 40 fois le revenu national moyen.

D’après Human Rights Watch, les Farc organisent des attentats à la voiture piégée, à la bicyclette piégée, à l’ « animal-bombe » et à la bonbonne de gaz contre les politiques (Uribe échappa ainsi à un attentat) ou des objectifs, militaires (commissariat de Toribio) ou pas (église de Bojaya, 119 civils morts dont 45 enfants).

D’après le Centre d’information sur le développement de la démocratie en Colombie, les Farc ont également recours à l’arme chimique : elles utilisent ainsi du cyanure, des gaz toxiques, de l’ammoniac lors de leurs attaques ; celles-ci se passant souvent au milieu de villages, les munitions chimiques utilisées contaminent les civils et les tuent ou leur infligent des séquelles à vie.

Les produits chimiques sont également utilisés contre les otages : quatre policiers, après avoir été obligés d’ingérer des produits toxiques, sont morts. Notons également que les Farc ont plusieurs fois, toujours d’après le Cidec, mais également Xornal (un journal électronique galicien), empoisonné les réservoirs d’eau potable des villages, qu’elles considèrent comme des objectifs militaires, avec du chrome, des nitrates ou du parathion (produit toxique, même à dose très faible).

La Campagne internationale contre les mines antipersonnelles a déploré que les mines antipersonnelles posées par les Farc tuaient ou blessaient chaque année des centaines de civils, en plus des militaires colombiens.

L’ONU et Amnesty international ont aussi recensé des actes de violence sexuelle contre les femmes et les filles de la population civile, ainsi que des actes de tortures.

Le Conseil pour les droits humains et le déplacement, quant à lui, a dénoncé des milliers de cas d’expulsions forcés de civils de la zone contrôlée par les Farc ; mais bien souvent il n’est même pas nécessaire pour les Farc d’expulser les habitants, ceux-ci, craignant pour leur vie ou ne voulant pas voir leurs enfants enrôlés de force dans les Farc, préfèrent partir d’eux-mêmes.

En interne, la discipline est extrêmement sévère ; les déserteurs, s’ils sont repris, sont systématiquement fusillés. Les membres des Farc peuvent être punis pour la moindre broutille. Les femmes soldates sont beaucoup moins bien considérées que leurs homologues combattants masculins. Les Farc n’hésitent pas à embrigader également des enfants : selon Human Rights Watch, 20 à 30 % des combattants ont moins de 18 ans, retenus contre leur gré.

Ingrid Betancourt, députée et sénateur, candidate à l’élection présidentielle sous l’étiquette Oxigeno Verde, décide le 23 février 2002 d’aller soutenir le maire de San Vincente del Caguán, malgré les avertissements des autorités gouvernementales à propos de la présence des Farc. Ingrid Betancourt s’en moque et signe un papier comme quoi elle est unique responsable de la décision de continuer sa route. Elle est kidnappée après avoir roulé quelques kilomètres.

Aussitôt, il y a une forte mobilisation internationale, qui se focalise sur Betancourt, au détriment des centaines de personnes également détenues par les Farc dans des conditions inhumaines. Mais cette mobilisation se fait également au détriment d’Ingrid Betancourt elle-même ; plus la mobilisation est forte, plus Betancourt prend de la valeur, et plus les Farc ont intérêt à faire monter les enchères et à attendre.

Les Farc, pour un accord d’échange entre les prisonniers qu’ils détiennent et les guerilleros emprisonnés, réclament avec insistance une démilitarisation du pays. Mais quand Pastrana, l’ancien président du Mexique, avait voulu dialoguer avec les Farc et avait démilitarisé en 1998 une zone de plus de 40 000 kilomètres carrés, que s’était-il passé ? Les Farc en avaient profité, selon la BBC et Human Rights Watch, pour se réarmer, installer des nouveaux camps d’entraînement, étendre la culture de cocaïne et enlever de nouveaux civils, dont des enfants de moins de 12 ans, afin de les embrigader. Finalement, suite au détournement d’un avion le 20 février 2002 (soit trois jours avant l’enlèvement de Betancourt) par les Farc qui enlevèrent le sénateur Gechem, présent dans l’avion, le président Pastrana mit fin aux négociations, qui n’avaient débouché sur rien de concret en raison de la duplicité des Farc. La population colombienne, dont seulement 3 % ont un avis positif sur les Farc, décida de voter pour le candidat partisan de la manière forte, Uribe.

D’ailleurs, il est clair que la démilitarisation d’une zone vaste comme la Suisse n’est absolument pas nécessaire à un échange d’otages. On en a eu la preuve avec la libération d’otages de la part des Farc. De même, la Colombie a, elle aussi, en signe de bonne volonté, libéré des guérilleros sans qu’il y ait eu besoin d’une zone démilitarisée, qui serait utilisée, on peut le supposer, non à un échange de prisonniers, mais pour le réarmement des Farc.

Car il faut bien comprendre que les Farc sont à bout de souffle. Les offensives déterminées des troupes colombiennes, le rejet absolu de la population, les rivalités avec l’autre mouvement terroriste (l’ELN), le découragement d’une partie des membres des Farc, tout cela a contribué à affaiblir gravement les Farc ; la mort de Reyes est un nouveau coup dur pour elles. D’après un numéro de L’Express paru en 2007, "le taux d’homicides est à son niveau le plus bas depuis vingt-cinq ans. Le nombre d’enlèvements est passé de 2 800 par an (en 2002) à 687". Est-il réellement pertinent de suspendre les opérations militaires, commencer un dialogue et libérer des guérilleros au risque qu’ils reprennent le combat ? Ne vaudrait-il pas mieux en finir une bonne fois pour toutes ? Certes, ce serait faire courir un risque très important aux otages, mais permettre par la passivité un réarmement des Farc engendrerait un nouveau cycle de violences et d’enlèvement aux conséquences bien pires pour les Colombiens.

Mais, aussi, pourquoi les Farc n’ont-elles pas joué le jeu de négociations ? Pourquoi n’ont-elles pas répondu aux propositions et à la main tendue des différents gouvernements colombiens ? Les paramilitaires d’extrême droite ne se sont-ils pas réintégrés dans la vie civile à la faveur d’un programme spécial ? N’ont-ils pas déposés les armes ? L’Armée populaire de libération et sa faction dissidente, l’Armée révolutionnaire du peuple, deux mouvements d’extrême gauche, ont eux aussi cessé le combat, et ce sans condition, et leurs membres se sont réinsérés dans la société, grâce aux efforts de la classe politique colombienne. Pourquoi les Farc n’ont-elles pas fait comme ces mouvements ?

Prenons garde, dans les négociations, à ne pas "donner une prime" aux enlèvements, ne pas reconnaître ni accepter que ceux-ci soient un bon moyen pour accéder à la reconnaissance internationale. Veillons à ne pas récompenser l’acharnement dans la violence et les meurtres par des propositions trop favorables, au risque de créer un dangereux précédent.

La communauté internationale et, en particulier, les populations des pays occidentaux feraient bien de réfléchir à deux fois avant d’appeler inconsidérément à des négociations entre le président démocratiquement élu et une bande de terroristes assassins partisans d’une idéologie d’un autre âge qui utilisent les moyens les plus criminels et les plus répugnants pour se faire connaître.


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