Les institutions financières internationales dans la tourmente

par Yves Rosenbaum
lundi 3 septembre 2007

Qu’ont en commun l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), le Fonds Monétaire International (FMI), la Banque Mondiale (BM) et l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE) ? La promotion active du système économique dominant, une absence totale de contrôle démocratique... et une période de turbulences dont elles ne semblent pas pouvoir s’extraire.

« Il y a un vrai problème de gouvernance mondiale. Le commerce planétaire n’a pas les institutions qu’il mérite. » La réflexion de Christian de Boissieu, professeur d’économie à l’université Paris I, résume parfaitement la situation actuelle. Cette déclaration vise plus particulièrement le plus évident symbole du malaise actuel qui frappe les institutions financières internationales : l’OMC. Qu’il est loin le temps où l’institution enchaînait accord sur accord, promouvant avec ferveur la doctrine du libre-échange, et s’évertuant à faire tomber les barrières économiques de toutes sortes. Seulement, le dernier point de « négociations », l’agriculture, remet en question à lui seul la pérennité de l’institution. Le cycle de Doha qui couvre ces discussions est toujours dans l’impasse, alors qu’il a été entamé en.... 2001. Les pays développés, en s’accrochant à leurs subventions agricoles dont tirent profit les multinationales de l’agroalimentaire au détriment des petits producteurs, portent une lourde part de responsabilité dans cet échec. L’OMC est totalement paralysée, tiraillée entre une improbable nouvelle capitulation des pays en voie de développement et un compromis que les milieux financiers des pays riches ne toléreront jamais.

Le FMI ne se porte guère mieux. Après avoir infligé pendant de très nombreuses années des cures économiques sévères aux pays pauvres soucieux de se voir accorder des prêts, le FMI est en panne de clientèle. Soucieux de se débarrasser d’une tutelle envahissante, nombre d’entre eux ont remboursé anticipativement leurs dettes. L’institution - désormais déficitaire - joue donc sa survie en tentant de se reconvertir en « grand manitou » de l’économie mondiale. Seulement, ce rôle n’est d’aucune utilité s’il n’est pas assorti de mesures contraignantes : la mise en garde du FMI au sujet de l’instabilité liée aux crédits immobiliers américains n’a pas empêché la crise des « subprimes  » qui a suivi. Le FMI ne s’apparente désormais qu’à un donneur de leçon incapable de mettre en oeuvre ses mises en garde. Grandeur et décadence.

La Banque Mondiale est quant à elle en convalescence. Tout juste sortie de la grave crise interne qu’avait provoquée la présidence du « faucon » américain Paul Wolfowitz, l’institution risque de patienter encore longtemps avant de redorer son blason. Car si la démission de Paul Wolfowitz est apparue comme un soulagement pour le plus grand nombre, elle nous débarrasse de l’homme mais pas du système. Son successeur est en effet un autre proche de Bush Jr, Robert Zoellick. Dès lors, la Banque Mondiale continuera toujours d’être perçue comme un outil de domination des pays riches - et plus particulièrement américain - ce que les contreparties demandées depuis des décennies aux pays pauvres en échange de projets de financement viennent confirmer... Là aussi, pas ou peu d’améliorations en vue.

A part celles provenant du mouvement altermondialiste, l’OCDE semble a priori plus épargnée par les critiques. Pour autant, l’institution n’échappe pas au malaise général qui frappe les institutions financières internationales. Le problème ne concerne pas tant les vieilles recettes de promotion du libre-échange et de l’économie de marché, toujours appliquées avec autant de ferveur, que l’application des nombreuses chartes dont elle s’est dotée. Parmi elles figure la grande convention anticorruption, qui est dédaigneusement ignorée par tous ces membres : en effet, la lutte contre la corruption, c’est bien, mais c’est encore mieux chez les autres. C’est ce qu’a confirmé Tony Blair en début d’année en annulant, au grand dam des instances dirigeantes de l’institution, la procédure en justice entamée à l’encontre de BAE Systems (accusée d’avoir versé plusieurs centaines de millions de livres sterling à l’Arabie Saoudite en l’échange de juteux contrats). Cadenassée par certains de ses membres qui veulent maintenir le sacro-saint principe d’« auto-régulation », l’OCDE est prise à son propre jeu d’instance qui ne peut que proposer, et non disposer. Si l’on devait encore en rajouter une couche, on devrait évoquer les salves nourries, parfois par simple calcul politique il est vrai, adressées aux Banques Centrales. La crise de l’immobilier américain et la contagion qui s’en est suivie a ravivé encore les critiques. Bien que trop vaste et complexe pour être développé dans cet article, ce débat nous rappelle que les Banques Centrales font face à la même défiance que celles qu’engendrent les autres institutions financières internationales.

Au vu de ce qui précède, on devrait se réjouir de la perte de crédibilité de ces institutions qui, au lieu de s’adapter au nouvel équilibre mondial et de s’intéresser davantage aux populations les plus vulnérables, ne reflètent plus que la médiocre tentative des pays riches de maintenir leurs privilèges à n’importe quel prix. Et pourtant, on aurait tort de se réjouir de la crise de confiance que traversent les IFI actuellement. Car ce délitement n’engendre finalement que des perdants.

Telles qu’elles fonctionnent actuellement, les institutions financières internationales ne peuvent en effet que creuser le fossé qui sépare les pays riches des autres. La Banque Mondiale et le FMI restent plus que jamais cadenassés par les pays développés. D’une part, la répartition des votes au sein de la Banque Mondiale et du FMI est le reflet d’une attitude quasi colonialiste. La redéfinition des parts de vote décidée par le FMI en septembre 2006 n’a été qu’un leurre, puisqu’elle n’octroie qu’à quatre pays une augmentation cumulée de moins de 2 %. La Belgique bénéficie par exemple toujours de plus de voix que tous les pays africains réunis... La règle non écrite stipulant que le président de la Banque Mondiale est américain et celui du FMI européen est toujours d’application. On pourrait encore rajouter que les pays riches et leurs industries ont été systématiquement les grands bénéficiaires des accords passés à l’OMC et que ce sont encore ceux-ci qui tentent de s’accrocher à leurs privilèges dans le cadre du cycle de Doha. Tous ces éléments ne peuvent que conforter ceux qui perçoivent dans ces institutions un instrument de domination des pays du nord en leur faveur, qui contribue à maintenir le rapport de force actuel.

Les dysfonctionnements de l’OMC peuvent apparaître au premier abord comme un soulagement pour tous les défenseurs d’un commerce international plus équitable. Pourtant, à y regarder de plus près, la stagnation des négociations du cycle de Doha engendre un phénomène encore plus désastreux qui renforce le déséquilibre entre dominants et dominés : l’essor d’accords bilatéraux. On en recense actuellement dans l’institution plus de 200. Mais qu’on ne s’y trompe pas, ces accords ne reflètent jamais un équilibre entre les pays signataires. Les Etats-Unis, qui ont sans surprise profité de l’aubaine, en sortent toujours gagnants. Les pays pauvres, dans l’espoir d’obtenir des échanges commerciaux privilégiés avec les puissants, sont obligés en contrepartie de lâcher du lest : abaissement de barrières fiscales, ouverture de marchés aux multinationales étrangères, etc. La loi de la jungle menace les échanges mondiaux.

Quant à l’OCDE, force est de constater que son coût est largement disproportionné pour son « apport ». Pour assurer le budget de 420 millions d’euros nécessaire à son fonctionnement, l’Organisation « est financée principalement par des contributions statutaires et volontaires de ses pays membres ». Traduction : les citoyens des pays riches en général. Pour un outil de propagande qui sert avant tout les grands groupes financiers des pays riches, ne serait-ce pas cher payé ? Poser la question, c’est y répondre.

Au final, la problématique des institutions financières internationales nécessite une action immédiate et concertée de la part de l’ensemble des protagonistes. Les chantiers les plus urgents sont de les réadapter à la nouvelle architecture mondiale, de recréer urgemment un capital de confiance auprès de la société civile en redéfinissant leurs objectifs, et d’imposer une plus grande transparence dans leurs fonctionnements et leurs processus de nominations. Laisser la situation en l’état actuel serait non seulement contre-productif mais n’aboutirait qu’à renforcer d’une part le gouffre qui sépare les pays riches des autres, et d’autre part celui qui sépare les citoyens d’institutions pour le moment trop peu soucieuses de leurs revendications.


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