Les leçons d’un référendum

par Lucchesi Jacques
vendredi 14 octobre 2016

Entre l’état colombien et les FARC un accord de paix semble avoir été trouvé. Mais voilà, le peuple n’en veut pas. Sa volonté, exprimée par référendum, sera-t’elle respectée ? On peut en douter.

Le 26 septembre dernier, à la Havane, un accord de paix historique était signé entre l’état colombien, par l’entremise de son président Juan-Manuel Santos, et Rodriguo Londono, commandant en chef des FARC (Forces Armées Révolutionnaires Colombiennes). Du coup, l’Union Européenne retirait aussitôt les FARC de la liste des organisations terroristes. Après cinquante deux ans de combats, de répression, d’exactions et d’enlèvements – la franco-colombienne Ingrid Betancourt en sait quelque chose -, les armes allaient enfin se taire et laisser la place à une ère de reconstruction du pays.

Mais cet accord final devait néanmoins être soumis au peuple colombien par référendum, le dimanche suivant 2 octobre. Et là les choses se gâtèrent car, loin de confirmer les espérances de ceux qui l’avaient organisé, les Colombiens rejetèrent à une courte majorité (50,21% de « non » contre 49,78% de « oui ») l’accord passé avec les révolutionnaires. Pour leur décharge, il faut dire que les méthodes des FARC, durant ces décennies de guerre civile, furent extrêmement violentes, visant tout particulièrement les populations rurales qui refusaient – on les comprend – d’être émancipées au prix de la destruction de leurs biens, voire de leurs vies mêmes. Il dégouline encore, le sang que ces guérilleros – par ailleurs grands trafiquants de cocaïne – ont sur les mains, puisqu’on estime à 260 000 morts et 45 000 disparus le bilan global de ce demi-siècle de luttes armées. Contrairement aux Algériens qui, en 2005, ont approuvé massivement l’amnistie des tueurs du GIA, les Colombiens n’ont pas voulu d’une paix civile au mépris de la justice. Ils ne veulent pas croiser tranquillement dans la rue leurs anciens oppresseurs et encore moins les retrouver à des postes administratifs et politiques. Car le problème de la réinsertion des anciens combattants révolutionnaires ne peut que se poser rapidement dans ce pays en mutation.

Ce sursaut de fierté et de courage – même orienté par l’opposition au président Santos – les honore certainement. Est-il cependant souhaitable à l’heure où une embellie de paix apparaît enfin après tant de souffrances ? Il illustre le sempiternel conflit entre l’absolu et le relatif, l’éthique et le pragmatisme, l’intransigeance et la compromission. Sur ces entrefaites, vendredi dernier, l’académie Nobel a décerné son prix annuel de la paix à Juan Manuel Santos pour récompenser son travail de négociateur. Il le méritait sans doute plus que Laurent Fabius (également en lice), mais cette attribution est quand même lourde de présupposés politiques. Manifestement, le jury suédois a voulu ainsi contrebalancer un processus de paix déjà minée par la discorde. Y aura-t’il une renégociation de ce fragile accord, voire un nouveau référendum ? Dans les conditions actuelles, il y a tout lieu de penser que l’état colombien va s’asseoir sur la volonté de son peuple et le contraindre à la paix désirée avec le soutien de la communauté internationale. Si on sait depuis longtemps que la consultation directe est un mode de scrutin dangereux pour les dirigeants d’un pays, on mesure aussi sa fragilité quand il remet en cause leur prestige et leurs intérêts.  

 

 Jacques LUCCHESI


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