Les mensonges de Bush devant une « commission de la vérité »

par Pierre R. Chantelois
samedi 14 février 2009

Patrick Leahy est le président démocrate de la commission judiciaire du Sénat américain. C’est lui qui a présidé les auditions pour la candidature au poste de ministre de la Justice. Âgé de 58 ans, Eric Holder est devenu, après approbation du Sénat, 75 voix pour, 21 contre, le premier afro-américain à assurer la direction du département de la Justice. À cette occasion, le sénateur Leahy avait déclaré que cette confirmation constituait la réalisation du rêve du défenseur des droits civiques, Martin Luther King, qui estimait que tout le monde doit être jugé par le contenu de son caractère.

Le nouveau ministre avait pris un engagement ferme : « Il ne devrait pas y avoir de place pour le favoritisme politique, aucune raison d’être timide en appliquant les lois qui protègent nos droits, notre environnement et nos principes, tant que j’aurais la chance de mener ce Département ». Devant Eric Holder à qui il lui faisait prêter serment, Joe Biden, le Vice-président déclarait : « Avec la nomination de Eric Holder comme ministre de la Justice, nous allons revenir aux normes qui ont prévalu dans ce grand ministère dans ses moments les plus glorieux, à mon avis ».

Cette rupture de ton, voulue par Barack Obama, jette évidemment un éclairage cru sur le passé peu glorieux de l’administration de George W. Bush, et sur ses exactions. Personne ne s’en surprendra. Autant il fut un temps où George W. Bush était vu comme un héros, autant il est vu aujourd’hui comme un paria. Le Département américain de la Justice (DoJ), par exemple, a connu des heures sombres et s’est abaissé au rang de la politicaillerie lorsque, en 2006, neuf procureurs fédéraux avaient fait l’objet d’une purge politique commandée directement par la Maison Blanche. Le Congrès n’avait jamais pu obtenir que trois anciens conseillers de George W. Bush, Harriet Miers, Karl Rove et Joshua Bolten, répondent à leurs citations à comparaître.

Pour Eric Holder, il ne fait aucun doute que la simulation de noyade est une forme de torture. Son prédécesseur, Michael Mukasey, avait nommé un procureur pour enquêter sur les dérives observées à l’intérieur du ministère. Mais il avait refusé de prendre position sur la légalité de l’interrogatoire par simulation de noyade. Mukasey avait lui-même succédé à l’infâme Alberto Gonzales qui avait dû démissionner dans la honte, après une série de parjures devant le Congrès. Et Mukasey s’est tu devant les déclarations profondément odieuses du Vice-président Dick Cheney qui justifiait, jusqu’à la veille de son départ, la pratique de la simulation de noyade en expliquant qu’elle avait permis d’obtenir des informations importantes.

Rien n’est tout blanc, rien n’est tout noir, au pays de l’Oncle Sam. Il existe toujours des zones d’ombre qu’il faut savoir décrypter. S’il a promis de fermer Guantanamo, comme l’a demandé Barack Obama, Eric Holder a prévenu que tout cela serait bien difficile. Il s’en est expliqué : « Il est possible qu’il y ait de nombreux autres personnes qui ne puissent pas être jugées mais qui constituent néanmoins un danger pour ce pays. Nous allons devoir tenter de déterminer ce que nous ferons d’elles ».

Le ministre Eric Holder n’est pas au bout de ses difficultés. Le juge de la Cour suprême des États-Unis, Richard B. Sanders, a demandé, dans une lettre ouverte au ministre de la Justice, qu’une enquête soit ouverte pour déterminer les exactions de l’administration George W. Bush. Il demande rien de moins à Eric Holder de faire toute la lumière sur des gestes de nature criminelle qui auraient pu être commis ou endossés sous l’administration de George W. Bush : « Make no mistake, these are real crimes : criminal prisoner abuse, criminal violations of the Federal Intelligence Surveillance Act involving illegal wiretaps, as well as grave violations of numerous treaties and conventions, which are war crimes as defined by federal statute ».

Une question vient hanter le ministre de la Justice : quelle suite faut-il donner au rapport de la Commission de la Justice de la Chambre des représentants dont le titre est on ne peut plus évocateur : « Reigning in the imperial presidency : Lessons and recommendations relating to the presidency of George W. Bush » ? Tout y passe. De la torture aux expéditions de prisonniers à l’étranger pour « interrogatoires hors normes ». Et ce rapport touche un aspect qui devrait intéresser, au premier chef, Eric Holder puisqu’il s’agit de la mise en tutelle de son ministère par la Maison Blanche. Dans les conclusions du rapport, il y a cette recommandation incontournable de tenir une enquête sur les huit années d’administration sous George W. Bush. Pourquoi une telle enquête ? Pour que la vérité éclate au grand jour. Une fois pour toutes.

Que fait Barack Obama ? Il semblait, en 2008, confiant de mener à terme une telle enquête. Obama déclare maintenant qu’il est préférable d’aller de l’avant au lieu de regarder en arrière. Des juristes ont constaté, par exemple, que le décret signé par Barack Obama qui interdit à certains hauts responsables américains de torturer pourrait laisser la voie libre pour d’autres de faire torturer à l’étranger, par exemple, comme l’indique Le Grand Soir, en Égypte, en Israël, en Arabie Saoudite, en Éthiopie, au Pakistan, en Jordanie, en Indonésie, en Thaïlande, en Ouzbékistan, en Colombie, au Nigeria, et aux Philippines. Et les États-Unis pourraient toujours, écrit Nairn Allan, du média Le Grand Soir, « financer, former, équiper et conseiller les tortionnaires étrangers, et veiller à ce que ni eux, ni leurs sous-traitants ne soient inquiétés par la justice internationale ou locale ».

Retour au sénateur démocrate Patrick Leahy, président de la commission judiciaire du Sénat américain. Il vient de proposer la création d’une « commission vérité  », à l’image de la Commission Vérité et Réconciliation créée en 1993 en Afrique du Sud après la chute du régime d’apartheid. Une telle commission pourrait notamment examiner la question des techniques d’interrogatoires apparentées à de la torture, ainsi que celle des écoutes téléphoniques extrajudiciaires. Elle pourrait enquêter également sur la promotion de la guerre en Irak, telle que voulue et menée de bon train par George W. Bush.

Le fait qu’on ait menti aux commissions parlementaires sur plusieurs dossiers comme le limogeage de hauts fonctionnaires pour influencer les scrutins, le traitement des personnes soupçonnées de terrorisme ou encore la guerre en Irak, sur le fait également qu’on ait menti au peuple américain du début à la fin, justifierait, selon le sénateur Leahy la tenue d’une telle commission.

C’est lors d’un discours à l’Université de Georgestown que le sénateur Leahy a présenté son projet, qu’il n’a pas encore soumis à la Maison Blanche. « Nous avons besoin de parvenir à une compréhension commune des échecs du passé récent. Plutôt qu’une vengeance, nous devons chercher à savoir, en toute honnêteté, ce qui est vraiment arrivé. Afin de s’assurer que cela ne reproduira jamais », constatait le sénateur. En d’autres termes, en lieu et place de poursuites judiciaires devant les tribunaux, George W. Bush et ses caciques seraient invités à venir dire toute la vérité, rien que la vérité, seulement la vérité, après avoir proféré plus de 935 mensonges au peuple américain. En bref, comme l’explique le sénateur démocrate : « Les gens seraient invités à se présenter et partager leurs expériences et leurs connaissances, non pas pour instruire des procès, mais pour rassembler des faits ».

Paul Krugman, économiste et prix Nobel, écrivait dans le New York Times : « Si l’on n’enquête pas sur ce qui s’est passé pendant les années Bush - or, à la suite de la déclaration d’Obama, tout le monde ou presque a compris qu’il n’en serait effectivement rien -, cela prouve que ceux qui sont au pouvoir sont bel et bien au-dessus des lois puisqu’ils ne risquent rien s’ils abusent dudit pouvoir. Le fait est que les abus de pouvoir du gouvernement Bush vont de la politique environnementale au droit de vote. Et que l’usage du pouvoir a servi à récompenser des amis et à châtier des ennemis politiques ».

Si cela devait être le cas, George W. Bush s’en sortirait à bien bon compte. Il serait en meilleure posture que les 800 prisonniers qui sont passés par la prison de Guantanamo. Il serait également en meilleure posture que les 260 autres qui attendent leur procès. Enfin, il serait en meilleure posture que les quatre prisonniers de Guantanamo qui se sont enlevés la vie depuis six ans. De ce nombre, trois se sont pendus dans leur cellule en juin 2006, et un autre en mai 2007. Animé de bons sentiments, et voulant offrir à Barack Obama une sortie de crise honorable, le sénateur Leahy considère que cette solution serait un pis-aller : « Plutôt qu’une vengeance, nous avons besoin d’une vision impartiale de ce qui s’est passé. Parfois, la meilleure façon de progresser est d’aller vers la vérité, découvrir ce qui s’est passé pour que cela n’arrive plus ».


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