Les mensonges orwelliens des médias oligarchiques sur la Catalogne : une sérieuse menace pour notre démocratie

par L’impertinent
lundi 9 octobre 2017

Le véritable danger politique auquel nous Européens sommes confrontés, et dont la situation catalane nous avertit, vient peut-être moins de partis « extrémistes », mais de la très insidieuse, et du coup très efficace, dérive autoritaire et anti-démocratique de partis perçus comme « démocratiques » et qui le sont en réalité de moins en moins. Y compris dans son utilisation orwellienne de médias oligarchiques à des fins de manipulation de masse des opinions, comme la Catalogne le montre de manière excessivement inquiétante.

« J’avais depuis longtemps remarqué qu’aucun évènement n’était jamais relaté exactement par les journaux, mais en Espagne, pour la première fois, j’ai lu des articles de journaux qui n’avaient aucun rapport avec les faits, pas même le genre de rapport qu’implique habituellement de mentir à leur sujet. (…) J’ai vu, en fait, l’histoire s’écrire non pas en fonction de ce qui s’était passé mais en fonction de ce qui aurait dû se passer selon les diverses lignes du parti. »

Voici ce que percevait George Orwell à son retour en 1937 en Angleterre de la guerre d’Espagne, en faisant le constat alarmant de la désinformation totale des médias de l’époque sur la situation sur place dans la perspective de manipuler les opinions publiques européennes. Pour avoir été témoin oculaire moi-même à Barcelone des évènements qui se produisent depuis le référendum du 1er octobre, où j’ai pu mener un travail d’investigation et de journalisme citoyen de terrain pour L’impertinent, force m’est de tirer le constat, on ne peut plus inquiétant, que les grands médias français mentent en ce moment sur la Catalogne dans des proportions tout à fait orwelliennes : de manière délibérée, éhontée et concertée pour présenter les indépendantistes catalans et la situation sur place de la pire des manières possibles, et pousser l’opinion publique française à aller dans le sens du gouvernement Rajoy, soutenu ce n’est pas un hasard par Macron et l’Union Européenne.

« Le gouvernement espagnol appelle les indépendantistes à dissoudre le parlement catalan et à convoquer des élections dans la communauté autonome.« Il serait bon de commencer à refermer la plaie en passant par le parlement de Catalogne (…) par le biais d’élections régionales », a déclaré Inigo Mendez de Vigo, porte-parole du gouvernement, lors d’une conférence de presse organisée à l’issue du conseil des ministres, vendredi 6 octobre. »

Voici ce qu’annonçait par exemple Franceinfo hier après-midi. Cette « information » est délivrée en faisant des gros titres – ce serait en effet une bombe atomique politique en Espagne – et de manière rigoureusement identique, mot pour mot (intéressant, ou plutôt inquiétant à observer) par de très nombreux médias comme par exemple : Libération, Le Figaro, Le Huffington Post, Le Point, 20 minutes, BFM, Les Echos, etc.

N’en croyant pas mes yeux devant un tel coup de tonnerre, j’ai immédiatement cherché à comprendre les réactions des uns et des autres sur place en Espagne. En effet une dissolution du parlement catalan ne peut avoir lieu qu’avec une mise en oeuvre (pour la première fois depuis la constitution espagnole de 1978) du tant redouté Article 155 suspendant l’autonomie de la région avec mesures d’exception à la clé, se que réclame l’aile dure du Partido Popular. A ma plus grande stupéfaction, je n’ai pu que constater avec stupéfaction également … qu’aucun média espagnol ne donnait cette nouvelle !

Ni EFE, l’AFP espagnole, ni la télévision nationale TVE, ni La Vanguardia le journal catalan de langue espagnole plutôt anti-indépendantiste, ni TV3 le FR3 local plutôt pro-indépendantiste, ni El Pais, ni le conservateur El Mundo, qui est complètement aligné sur le discours du gouvernement Rajoy, et d’ailleurs sur son site on peut voir en intégralité cette conférence de presse.

Il y a une bonne raison à cela… c’est que le gouvernement espagnol n’a jamais appelé à une quelconque dissolution du parlement !

Le thème principal de cette conférence de presse était – et c’est ce que les médias espagnols commentent depuis hier – des dispositions facilitant le transfert des sièges des entreprises basées en Catalogne. Pour les reste, le porte-parole du gouvernement est resté dans une langue de bois, propre à la fonction, sur la crise catalane, mais s’est montré plutôt apaisant et aucunement menaçant : son message de fond étant surtout que les députés catalans devraient renouer le dialogue entre eux au sein de leur parlement local – ce qui semble plutôt de bon sens. Il a simplement dit tout à fait en passant dans la session questions-réponses – et c’est ce qui est monté en épingle, hors contexte, et d’une manière déformée tout à fait orwellienne – que ça pourrait être éventuellement une bonne idée que les députés Catalans convoquent des élections. Mais en aucune façon il n’y a eu une grande déclaration officielle du gouvernement espagnol pour demander une quelconque dissolution du parlement catalan.

Il est d’ailleurs intéressant de noter que la plupart des articles français mettent Rajoy en illustration, pour renforcer l’officialité de l’annonce, alors qu’il n’était absolument pas présent à cette conférence de presse. Le fait que le discours du porte-parole du gouvernement n’ait strictement rien à voir avec la désinformation des médias français, est bien démontré objectivement par le fait qu’aucun média espagnol n’ai relevé quoi que ce soit sur le sujet : évidemment puisqu’ils parlent tous espagnol, on pourrait difficilement leur faire avaler une chose pareille.

Alors pourquoi une telle manipulation ?

M’étant donc rendu sur place pour couvrir l’évènement pour L’impertinent, et à la lecture attentive du rendu de la crise par les médias français ces derniers jours, il est clair (et excessivement inquiétant) qu’il y a aujourd’hui une stratégie médiatique véritablement oligarchique concertée de désinformer l’opinion publique française sur la Catalogne. L’objectif étant de montrer qu’il y aurait sur place une situation d’instabilité explosive, causée par des indépendantistes haineux et hystériques, afin d’inquiéter les opinions publiques européennes et à les pousser ainsi à se ranger peureusement du côté du gouvernement Rajoy. La désinformation en cours sur la Catalogne vise essentiellement à façonner l’opinion publique européenne – les Espagnols et les Catalans eux savent de quoi il en retourne – afin que celle-ci ne fasse pas pression sur ses classes politiques localement pour une intervention de l’Union Européenne. Une UE qui continue à considérer qu’il s’agit d’une affaire interne à l’Espagne : ce qui est on ne peut plus mensonger.

C’était peut-être le cas jusqu’au dimanche 1er octobre matin, mais depuis c’est clairement devenu une affaire intérieure européenne. L’état espagnol, en usant d’une violence politique totalement disproportionnée sur des populations totalement pacifiques – comme le dénonce Amnesty International, y compris l’utilisation de matériels anti-émeute dangereux et prohibés en Catalogne – a tout simplement enfreint la Charte des Droits fondamentaux de l’UE et de la Convention européenne des Droits de l’Homme, comme le rappelle heureusement la société des écrivains Pen : des textes fondateurs de l’UE, que tous les membres sont tenus de respecter, qui tiennent la Turquie à l’écart, et qui normalement sont susceptibles d’entrainer des sanctions sur l’Espagne au titre de l’Article 7 : article que par un anti-fascisme tout à fait d’opérette l’UE fait planer en ce moment sur la Pologne, alors que ce pays ne frappe strictement personne. Sur ce terrain, il est absolument scandaleux que Libération soit venu à la rescousse du gouvernement espagnol par son prétendu « Désintox » en titrant de manière pitoyable et qui donne froid dans le dos que : « Aucun traité européenne ne prévoit l’expulsion d’un état pour avoir réprimé des électeurs ».

On comprend devant de tels messages hallucinants tout l’enjeu et en quoi ce qui se passe en Catalogne nous concerne tous depuis le 1er octobre. Par son désintérêt de la situation, l’UE crée un plus que fâcheux précédent qui nous concerne tous citoyens européens : celui que tout état peut désormais en toute impunité tabasser une population pacifique, en requalifiant toute revendication politique en trouble de l’ordre public et en sédition. On comprend ainsi pourquoi des gouvernements comme celui du MEDEF-Macron est aligné sur le gouvernement espagnol, car il va bien dans le sens de la dérive autoritaire de nos institutions (plus de débat parlementaire, 49.3 et ordonnances, répression policière des manifestants, dispositions de l’état d’urgence rentrant dans la loi) depuis 2012. Et notamment depuis Valls, qui d’ailleurs en France est beaucoup plus représentatif due ce que les Espagnols appellent « franquisme sociologique » (la permanence et le recyclage des élites franquistes dans l’appareil d’état et économique post-franquiste) du Partido Popular que le FN : c’est-à-dire un rejeton de franquistes (alors qu’il avait prétendu être un descendant d’exilés politique anti-franquiste), s’étant recyclés après 1975 dans l’économie ou la politique, et ayant gardé une vision du monde et des méthodes excessivement autoritaires. On aura pu le constater lors de la loi Travail dans l’usage du 49.3 et de la répression policière : ce sont précisément ce type de violences policières que l’UE cautionne.

La question fondamentale n’est pas de savoir si on est pour ou contre, en tant que Français, l’indépendance ou pas de la Catalogne. Futile discussion de café du commerce que nous eûmes aussi à l’égard du Brexit ou de Trump, et dans laquelle nous entrainent les grands médias français pour nous détourner de l’essentiel : à savoir si en tant que citoyens européens nous acceptons une violation des droits de l’homme par un état au sein de l’UE, à commencer par le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et à l’autodétermination, qui est pourtant inscrit au chapitre 1 de la charte des droits de l’homme de l’ONU qu’a aussi ratifié l’Espagne. Un droit qui est nié par le refus obstiné du gouvernement de Rajoy depuis des années d’accorder un référendum, comme l’Ecosse l’a eu sans que cela cause le moindre souci : est-ce sérieusement « légal » ?

L’argument de l’illégalité par construction d’un référendum catalan au titre de la constitution espagnole post-franquiste de 1978 (présentée comme un Ancien Testament gravé dans le marbre par le Partido Popular), qui justement est incohérente avec le droit des peuples à l’auto-détermination, a autant de fondement que l’ « illégalité » en leur temps des indépendances des Etas-Unis, du Mexique, de l’Algérie, de l’Inde, de l’Ukraine ou de l’Estonie. Dénigrer l’indépendantisme catalan au titre d’un supposé égoïsme économique, voilà une drôle de façon de refuser aux Catalans ce droit universel et inaliénable des peuples à disposer d’eux-mêmes. A-t-on jamais dit en France des Québécois qu’ils étaient des égoïstes haineux ? On ne cesse ne nous rabâcher dans les médias que les indépendantistes sont des extrémistes ultra-minoritaires (alors qu’ils ont obtenu 48% des voix aux dernières élections de 2015, on verra ci-après dans quelles conditions déloyales orchestrées illégalement par Rajoy) : très bien, alors pourquoi ne leur accorde-t-on pas un référendum démocratique en bonne et due forme pour voir ?

Une acceptation de fait de l’UE de ces violences politiques d’état qui, si elle se confirmait, pourrait avoir rapidement de très graves conséquences pour nos droits fondamentaux à nous tous Européens. De plus, en tant que citoyens français, nous devons également être très inquiets au regard de la désinformation tout à fait orwellienne, oligarchique et concertée, de la part de nos grands médias : si de telles manipulations de masse de l’information sont possibles par (théoriquement) le contre-pouvoir démocratique par excellence, peut-on encore parler de démocratie ? Peut-on encore aussi parler de démocratie quand 19 individus, 11 familles, 5 banques et sociétés financières et 3 états (France, Allemagne, Qatar) – d’une remarquable homogénéité sociologique et idéologique contrôlent à peu près tous les médias français : et que cette oligarchie médiatique est capable, comme le montre le cas catalan, d’orchestrer une campagne massive de désinformation ?

Aujourd’hui tous les grands médias sont en train de relayer et d’amplifier, de manière excessivement grossière pour qui suit un minimum le dossier, toutes la propagande et les fake news du gouvernement Rajoy. On fait croire maintenant par exemple qu’il y a aurait eu (comme le dit le ministère de l’Intérieur) des policiers blessés et que la violence était des deux côtés, ce qui est rigoureusement impossible, les Catalans ayant adopté le 1er octobre et depuis des années une stricte politique de non-violence et de résistance pacifique (contrairement à d’autres régions il n’y a jamais eu la moindre bombe indépendantiste en Catalogne). 

A moins de s’être blessés tous seuls en cognant, c’est rigoureusement impossible, et il est tout à fait parlant que le gouvernement est incapable de montrer la moindre vidéo de violence contre des policiers, alors que la moindre vidéo aurait été montée en épingle pour décrédibiliser le mouvement comme c’est toujours le cas pour un pouvoir en place toujours prompt à montrer des casseurs. Incapables de décrédibiliser de la sorte, le gouvernement Rajoy – pour qui officiellement il n’y a jamais eu la moindre violence sur des personnes – essaie de propager des fake news sur le thème que les images de violence policière auraient été truquées ou proviendraient d’évènement antérieurs. Qu’un grand quotidien comme El Mundo, la voix officielle du gouvernement dans la presse locale, diffuse de telles fake news c’est déjà consternant, mais qu’elles soient reprises par des quotidiens comme les « Décodeurs » du Monde et « Désintox » de Libération comme le montrait L’impertinent, c’est tout de même excessivement grave : et peut même se poser la question de la propagation de fausses informations, ce qui est de l’ordre du délit.

On fait aussi croire que le pays est au bord de la guerre civile, que l’économie catalane va s’écrouler : et à côté de ça AUCUN média français n’a informé sur le fait, pourtant plus qu’apaisant et rassurant, que la Suisse se propose d’être médiateur dans cette affaire – un pays pas vraiment hostile au business et aux banques, et pas vraiment « bolivarien » comme les tartuffes français des droits de l’homme se plaisent à stigmatiser désormais tout opposant en France – la source étant on ne peut plus officielle puisqu’il s’agit de la Radio Télévision Suisse et des Affaires Etrangères d la Suisse. Pire que ça France Inter, le seul grand média qui semble en parler, présente la chose comme si elle était définitivement enterrée, alors que c’est pas du tout le cas ! La demande d’une médiation internationale étant aujourd’hui la seule, et bien raisonnable, revendication catalane : une médiation que pour l’instant refuse Rajoy pour qui par définition toute demande de référendum démocratique est un acte factieux et séditieux.

Aucun de ces grands médias ne rappelle en premier lieu la demande le 6 septembre de la tenue d’un référendum du Parlement Catalan, démocratiquement élu où les indépendantistes sont tout de même majoritaires. Demande bien légitime comme cela fut accordé à l’Ecosse, mais systématiquement refusée par Madrid, nos médias préférant sciemment se répandre en considérations vaseuses et alarmistes sur le pour ou contre l’indépendance, ce qui est totalement hors sujet.

Aucun de ces grands médias ne contextualise ce qui se passe aujourd’hui en Espagne, au regard du réel coup d’état institutionnel perpétré par le gouvernement Rajoy en 2010. En effet à 120 voix sur 135 (une majorité on ne peut plus claire, les 15 autres étant du Partido Popular) les députés du Parlement catalan avaient adopté un Statut d’autonomie, en rien indépendantiste, et tout à fait comparable à ce que Madrid a accordé au pays basque (qui lui il est vrai maniait la bombe) et où en conséquence de cet autonomie l’indépendantisme a virtuellement disparu. Ce Statut avait été approuvé au Cortes, le parlement espagnol. Mais le Partido Popular, ulcéré par un Statut de la Catalogne contraire à son idéologie, a porté cela devant le Tribunal Constitutionnel – entité non-élue donc, et notoirement aux ordres du Partido Popular – qui l’a vidé de sa substance, ce qui a créé un sentiment d’humiliation en Catalogne et un mouvement indépendantiste qui n’existait absolument pas il y a dix ans. Depuis, le gouvernement Rajoy est dans un déni total de la question catalane, refuse tout débat sur le sujet, et rétorque tout ce qui vient du parlement catalan comme notamment des mesures socialement progressistes. C’est véritablement Rajoy et sa clique qui ont créé l’indépendantisme catalan, qui plus qu’une revendication bêtement nationaliste, comme on le croit souvent en France à tort, est très largement une protestation citoyenne contre un état non-démocratique, qui semble à beaucoup de Catalans totalement irréformable.

Aucun de ces grands médias, non plus, n’informe sur la nature réelle du Partido Popular en rien comparable avec Les Républicains, qui reste malgré tout un parti démocratique : un Partido Popular à la fois porté par un personnel, une idéologie et des méthodes franquistes (le comble est que certains en France traitent encore les Catalans de fascistes !) et corrompu dans des proportions absolument inimaginables en France, où nos politiciens sont réellement des enfants de coeur en comparaison.

En effet Franco et tout son petit monde autour, fait de collusions et de népotisme, ont gouverné l’Espagne de 1939 à 1975, et après 1975 tous les responsables du régime et leur progéniture ont été recyclés soit dans l’économie, soit dans la politique au Partido Popular qui fut créé par d’ex-franquites. Dans l’optique d’une transition pacifique avec la constitution de 1978, il n’y a jamais eu en Espagne d’épuration comme en France à la libération, ou « défranquisation » comme en Allemagne en 1945. C’est d’ailleurs pour ça qu’il n’y a pas de parti d’extrême droite en Espagne, la frange la plus conservatrice du Partido Popular c’est l’extrême droite espagnole. Ce n’est pas un jugement de valeur, c’est une réalité que tout Espagnol connaît parfaitement, et là aussi projeter le débat anti-fasciste ou anti-diabolisation à la française est à côté de la plaque. 

La droite espagnole du Partido Popular est bien l’héritière directe du franquisme par son personnel politique (soit des ex-franquistes, soit leur progéniture, avec un clan Franco omniprésent non seulement en politique mais dans l’économie) mais aussi par son idéologie, et comme on l’a vu le weekend dernier par ses méthodes brutales de sinistre mémoire. C’est un parti qui n’a non seulement jamais condamné ou renié l’histoire franquiste, mais qui au contraire continue à l’honorer, en maintenant et restaurant des noms de rues et des monuments franquistes, en faisant régulièrement l’éloge du bon temps du franquisme avec un révisionnisme total, à refuser de reconnaître les centaines de milliers de victimes, et qui finance avec des fonds public une fondation Franco qui est là pour perpétuer son héritage culturel. Les seules manifestations anti-indépendantistes samedi 30 septembre étaient le fait de la Phalange, avec chants franquistes et bras levés. Le jacobinisme français était au moins porté par certaines valeurs républicaines, rationnelle et universelles, venant des Lumières etc, alors que le jacobinisme à l'oeuvre en Espagne est d'inspiration impérialiste, ultra-conservatrice et ultra-nationaliste au sens franquiste du terme, ils ne sont pas du tout comparables.

Ce qu’on ne sait pas du tout non plus en France, c’est aussi qu’il s’agit d’un gouvernement qui a orchestré une conspiration politique de déstabilisation avérée de très grande ampleur – dite « Opération Catalogne » – à la veille des élections de 2015 (tout de même remportées par les partis indépendantistes, majoritaires au parlement, mais qui auraient été sans doute majoritaires sans cette conspiration) pour nuire au personnel politique catalan avec un méga cabinet noir composé d’ex-membres de la police politique franquiste et utilisant des fonds publics détournés, et chargés de trouver ou pire de fabriquer de toutes pièces des affaires : un méga-Watergate, impliquant entre autres directement Rajoy et son ex-ministre de l’intérieur, sur lequel n’importe quel gouvernement réellement démocratique aurait sauté. Donc les Catalans en ont marre et refusent de continuer à vivre dans un état actuellement non-démocratique et qui bafoue toutes les lois d’un état de droit. C’est véritablement Rajoy le factieux et qui devrait être poursuivi pénalement, et emmené avec des menottes par la Garde Civile, poursuites actuellement intentées par le gouvernement catalan.

(Entre parenthèses cela doit aussi nous conduire rétrospectivement à nous interroger sur le cas Fillon, quoi qu’on pense du personnage, et du rôle joué à l’époque par ces mêmes médias, d’autant que le parquet national financier s’illustre sous l’ère Macron par une surprenante inaction à l’égard des multiples casseroles du gouvernement actuel. Question : pourquoi ?)

On connaît bien mal en France, grâce aux grands médias oligarchiques qui les taisent, les méthodes du gouvernement espagnol du Partido Popular, qui est non seulement une émanation du franquisme (avec son personnel politique, son idéologie, ses méthodes) mais aussi une véritable « organisation criminelle » (c’est d’ailleurs aujourd’hui le terme juridique utilisé par certain juges et qui pourrait valoir à ce parti d’être dissout) : plus de 1300 inculpations pour corruption aggravée, 10 morts « suspectes » avant qu’ils puissent témoigner, et récemment l’incendie d’un palais de justice à Valence pour faire disparaître les documents. Vous imaginez en France par exemple tous les principaux responsables de l’affaire Bygmalion disparaître bizarrement les uns après les autres et l’incendie « accidentel » du palais de justice de Paris pour effacer les preuves ? C’est ça la véritable Espagne de la prétendue légalité de Rajoy que nous vendent les grands médias français. 

Si vous parlez la langue de Cervantes un bon, et tout à fait édifiant, documentaire sur le sujet de Mediapro (c’est pas demain la veille hélas qu’on aura en France, sous omerta, des documentaires de cet ampleur investiguant les scandales d’état) - les Cloaques du Ministère de l’Intérieur - qui explicite aussi au passage la machine de guerre à fake news du gouvernement Rajoy qui est à l’oeuvre aujourd’hui et relayée mot pour mot par des médias comme Le monde ou Libération : vous trouvez pas ça inquiétant ?

Il faut tout de même rappeler que la crise économique espagnole a été très largement causée par la corruption du Partido Popular qui a nourri des quantités de projets immobiliers bidons créant une montagne de dette qui va affliger le pays pour des générations. Une petite oligarchie connectée au parti de Rajoy s’en est littéralement foutu plein les poches sur le dos du contribuable espagnol avec la complicité d’un système bancaire ripou : à qui en prime Rajoy a accordé en septembre (comme par hasard une semaine après l’annonce du parlement catalan de la tenue d’un référendum…) un cadeau de 40 milliards, en de facto faisant un abandon de créances sur les aides publiques reçues par les banques au plus fort de la crise.

Pas étonnant que les banques espagnoles aujourd’hui rendent la monnaie de leur grosse peseta au gouvernement (quel autre terme que « corruption » pour désigner une telle pratique et ce à une échelle aussi massive ?) en alimentant l’idée d’un désastre économique en cas d’indépendance par le déplacement de leurs sièges, idée que les grands médias français s’empressent de monter en épingle avec une évidente jubilation.

Pas étonnant non plus que la monarchie en place – dont le rétablissement par Franco n’a jamais été soumis à un vote démocratique et qu’avait refusé, tout à son honneur, le père de Juan Carlos (quelle est dans ces conditions la réelle légitimité de ce dernier ?) – se range derrière un gouvernement corrompu… dans la mesure où elle l’est elle-même. Outre les scandales de corruption qui ont émaillé ces dernières années la famille royale (y compris la propre fille et le gendre de Juan Carlos), le New York Times avait révélé que Juan Carlos a accumulé, en partant d’un patrimoine quasi-nul, une fortune de 2 milliards d’euros depuis qu’il est roi (alors qu’il ne perçoit qu’une indemnité de 8 millions d’euros par an). Patrimoine occulte, qu’il faut rapprocher de l’activité de VRP en ventes d’armes confié à la monarchie – avec les commissions qui vont avec sur ce type de contrats – et notamment de vente d’armes conclues par son fils et actuel roi Philippe VI avec l’Arabie Saoudite. L’Espagne est aujourd’hui le troisième exportateur d’armes au monde vers l’Arabie Saoudite.

On comprend mieux les sifflets qu’il reçut à Barcelone après l’attentat récent, qu’on présenta évidemment alors comme provenant d’hystériques indépendantistes (en qui certains imbéciles français voient des « islamo-gauchistes » voire des « talibans »). Voici ce qu’est la supposée « moderne monarchie constitutionnelle » espagnole, et de quoi largement alimenter un républicanisme en Espagne, que nous Français pourrions comprendre. Nous sommes très loin en Espagne d’une véritable monarchie constitutionnelle comme celle du Royaume-Uni, qui a permis un référendum pacifique aux Ecossais mais aussi un référendum sur l’UE : que n’avons-nous pas entendu alors aussi de la part des grands médias français sur les partisans du Brexit (eux aussi étaient des fascistes, des égoïstes, des imbéciles, etc.) et des supposées conséquences catastrophiques pour ce pays en cas de sortie !

Vu ce que l’UE est capable de cautionner en matière de violations des droits de l’homme en son sein, et vu aussi le noyautage du Parlement européen par tous les lobbies industriels et financiers, là pour nous empoisonner et faire du dumping sociale et fiscal, on peut commencer à se demander quelle est réellement l’intérêt d’appartenir à une telle mascarade. C’est précisément d’un sursaut populaire – essayant de reconquérir des souverainetés perdues au profit de technocrates et de lobbiystes professionnels aux moeurs de plus en plus autoritaires – dont les oligarchies européennes ont très peur aujourd’hui, et aucunement de la prétendue balkanisation de l’Europe (effectivement quel cataclysme géostratégique serait une indépendance des Ecossais ou des Wallons !) qui est surtout agitée pour faire peur à l’opinion. Comme on nous fait peur depuis des années sur le marasme que serait une sortie de l’UE : y croyons-nous encore ?

On commence au final à comprendre le véritable sens du terme orwellien. On commence à le comprendre, mais c’est pour le moins excessivement inquiétant que ce ne soit plus du tout d’un roman dystopique dont il s’agit… mais désormais d’une réalité : 1984 n’était pas censé être le manuel de formation journalistique qu’il est manifestement devenu.

Les Catalans aujourd’hui ne se battent pas pour un prétendu égoïsme économique ou animé d’un quelconque fanatisme nationaliste « fasciste » (très fort de dire une chose pareille vu le franquisme avéré du Partido Popular) : des odieux préjugés colportés pour les discréditer, dirions-nous la même chose si des Québécois pacifiques s’étaient fait tabasser par une meute de policiers envoyée par l’état anglophone canadien ? Que n’aurions-nous pas entendu alors en France sur le thème de la défense de la francophonie, des méchants anglophones impérialistes ultra-libéraux, du Général de Gaulle et de son « Vive le Québec libre », etc. de la part des grandes âmes droits de l’hommistes de d’habitude, qui auraient exigé de beaux discours de désapprobation à l’ONU.

Il est temps de réaliser que les Catalans se battent aujourd’hui POUR les respect des droits humains fondamentaux des Européens, que nous sommes tous, et CONTRE la dérive autoritaire de nos « démocraties », y compris la nôtre. 

Que nous ayons aujourd’hui très clairement, comme on le voit en France, un appareil médiatique oligarchique, capable de conduire de manière délibérée et concertée une vaste campagne de désinformation et de manipulation de l’opinion publique, voilà ce qui en tant que Français devrait très sérieusement nous inquiéter. 

Il est aussi temps de réaliser que depuis 2012 nous avons en France une loi (Article L211-9 du code de la sécurité intérieure, passée par ordonnance, donc sans débat démocratique encore une fois) qui permet en toute légalité à la police française de faire sur nous la même chose que la police espagnole fait sur les Catalans : à savoir de pouvoir réprimer des citoyens pacifiques et non-violents. Les violences policières de la Manif pour tous, de la Loi travail ou encore récemment le traitement plus que musclés des GM&S – victimes d’un odieux cas d’abus social de délinquants en col blanc – et qui se voient aussi comme les Catalans traités de « fouteurs de bordel » alors qu’ils ne font qu’exprimer un droit parfaitement démocratique de manifestation. On le voit c’est exactement la même logique à l’oeuvre, c’est-à-dire de requalifier une contestation populaire en un trouble de l’ordre public, et par conséquent légitimant l’usage de la force ; avec là aussi un traitement des grands médias, qui aura brillé sur cette violence par son mutisme et ses euphémismes, préférant s’amuser du « bon mot » présidentiel. Un bon mot qui montre à quel point il s’agit désormais d’une stratégie cohérente d’humiliation et de déshumanisation des classes populaires, permettant ainsi en toute bonne conscience aux classes dominantes de les exploiter, et en cas de « bordel » de leur taper dessus. Dans toute guerre, en l’occurence sociale, il est nécessaire de déshumaniser l’ennemi par des mots qui le rabaissent, y compris à ses propres yeux, et c’est une grave erreur des militants syndicaux de reprendre ces termes insultants en dérision, car cela contribue à les faire rentrer dans la psychologie collective.

Il serait grand temps aussi de cesser nos petites conversations de géo-stratèges de café du commerce - basées sur une connaissance de l’Espagne qui d’ailleurs excède rarement la paella et à la corrida (divertissement franquiste par excellence, interdit en Catalogne) et tous les préjugés à l’égard des peuples du Sud - pour saisir réellement l’enjeu démocratique essentiel qui est en train de se jouer, et qui va bien au-delà de la seule question catalane : car sans aucune protection contre la violence d’état – qui pourra toujours considérer un revendication populaire comme un trouble à l’ordre public, et réprimer en conséquence impunément sans sanction de l’UE – et sans presse un minimum indépendante sur laquelle se fier, sommes-nous encore en démocratie ?

George Orwell disait que « La vraie distinction n’est pas entre conservateurs et révolutionnaires mais entre conservateurs et révolutionnaires mais entre les partisans de l’autorité et les partisans de la liberté. » Il est plus que jamais le moment pour les Européens épris de liberté de choisir leur camp et de le défendre, surtout dans une époque où les partisans de l’autoritarisme sont quant à eux désormais totalement mobilisés et, comme on le voit, bien organisés. 

Une presse indépendante des grands intérêts oligarchiques du pays, fonctionnant en conjonction avec un journalisme citoyen (c’est d’ailleurs lui qui a permis de montrer la violence policière en Catalogne, aucun grand média ne l’a fait) est plus que jamais aussi un des derniers remparts démocratiques, avant que le mensonge – pourquoi encore euphémiser en « post-vérité », ou « faits alternatifs » ? – devienne de manière irréversible la norme dans nos sociétés ; avant que l’information ne se transforme en publireportage (comme pendant la campagne à propose de Macron) ou en relations publiques sur le mode des grandes entreprises, dont sont issues nos nouvelles élites d’aujourd’hui, n’ayant rien à envier aux propagandes totalitaires d’hier.

A ce titre, le véritable danger auquel nous sommes désormais confrontés, et dont la situation catalane nous avertit, vient peut-être moins, comme on le croit souvent, de partis « extrémistes » : partis instrumentalisés comme épouvantails le soir d’élections pour gonfler le prétendu « vote utile », sur fond de discours antifascistes ou antibolivariens d’opérette qu’affectionnent des médias aux ordres comme Libération, qui est aujourd’hui une véritable honte pour la presse nationale. Mais de la très insidieuse, et du coup très efficace, dérive autoritaire et anti-démocratique de partis perçus comme « démocratiques » et qui le sont en réalité de moins en moins.

François Serrano

Editeur de L’impertinent

www.larevuelimpertinent.com

Twitter : @_l_impertinent


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