Les raisons des flux de migrants
par Laurent Herblay
jeudi 3 septembre 2015
La crise des migrants provoque un déluge de bons sentiments, qui en vient même à toucher l’UMP. Mais on oublie un peu trop souvent de se demander quelles sont les, nombreuses, raisons de ces flux avant de se poser la question de ce qu’il faut en faire aujourd’hui.
Mondialisation, interventions militaires et Europe
Bien sûr, les immenses écarts de richesse entre pays jouent un rôle majeur dans l’attraction qu’exercent les pays dits développés pour les populations des pays pauvres. L’idée d’un salaire minimum à plus de mille euros par mois représente forcément un rêve attirant pour qui gagne un ou deux euros par jour. En outre, la révolution technologique des dernières années a sans doute contribué à davantage répandre l’information et à rendre ce rêve plus proche pour les populations des pays les plus pauvres. En outre, comme l’a démontré Joseph Stiglitz dans « La grande désillusion », nous avons soumis ces populations à l’horreur des marchés, des fluctuations dérégulées du cours des matières premières, qui peuvent ruiner en un instant les paysans d’Afrique et d’ailleurs. Pas étonnant que nos pays les attirent.
Mais il y a un facteur un peu trop oublié par les commentateurs : le rôle joué par les interventions militaires des dernières années, qui ont profondément déstabilisé le Moyen Orient et l’Afrique. La Libye est aujourd’hui un pays clé pour les passeurs, conséquence d’une intervention dont on comprend aujourd’hui qu’elle était une erreur car elle a semé un chaos sans doute encore plus cruel pour les populations locales que ne l’était Khadafi. Et les interventions des Etats-Unis en Afghanistan ou en Irak ont créé un terreau plus que favorable au développement de l’état islamiste et ses terreurs, qui poussent les populations à fuir leur pays. Nos pays (et en premier lieu Washington) portent donc une part de responsabilité dans les désordes de ces parties du monde, qui expliquent en partie les flux de migrants actuels.
Mais les pays européens ont également une grande part de responsabilité, à travers ce projet funeste qu’est l’UE. D’abord, la mise en place de l’espace Schengen porte sans doute une grande part de responsabilité dans ces flux. En supprimant toutes les frontières intérieures, les pays européens ont supprimé des filtres qui permettaient de gérer les mouvements de personne. Les migrants savent aujourd’hui qu’ils n’ont qu’une frontière à passer et qu’après, ils peuvent se déplacer assez librement. Ce faisant, cela pousse les migrants à viser les points faibles de cette frontière commune, créant une pression insoutenable pour la Grèce ou la Hongrie, dont la réaction est légitime. Enfin, les discours sur les quotas ou sur les besoins d’immigration ne sont qu’un encouragement officile à la venue des migrants.
Que faire de ces flux de migrants ?
Bien sûr, les drames humains et la part de responsabilité de nos pays dans ces flux peuvent pousser à une forme d’acceptation de ces immigrés illégaux, par un souci pas illégitime d’humanisme. Mais cette solution n’en est pas une. Parce que la porte est aujourd’hui en bonne partie ouverte, beaucoup viennent. Il n’est pas difficile de comprendre qu’en l’ouvrant davantage, plus encore viendront, et donc davantage mourront sur le chemin. Paradoxalement, c’est une forme de générosité (qui a ses limites, comme l’explique Michéa) qui a une part de responsabilité directe avec le nombre de morts. Cela est sans doute dur à entendre, mais si les migrants savent qu’ils ne pourront pas rester et qu’il y aura de nombreux contrôles, des frontières difficiles à franchir, alors moins tenteront leur chance, et moins mourront.
En outre, il est légitime que les peuples européens questionnent cette générosité vis-à-vis d’étrangers entrés illégalement chez eux, alors que depuis des années, ils subissent le contrecoup des politiques d’austérité et de compétitivité. Et il est aberrant d’accueillir des immigrés avec un tel taux de chômage et une telle tension identitaire, qui compliquent leur intégration, faisant de leur arrivée un terreau à crises de tous ordres, comme on le voit un peu partout. Et d’abord, il faudrait se soucier un peu plus des malheureux de notre pays : les chômeurs gagneraient plus à du protectionnisme qui protégerait nos emplois qu’à des contrôles dont il n’est pas difficile de deviner qu’ils visent surtout à améliorer les statistiques artificiellement. Enfin, la générosité à géométrie variable est un puissant acide pour notre vie commune.
Bien sûr, cela ne règle pas le problème du sort des populations des pays émergents. D’abord, il convient de les laisser se protéger des excès des marchés, comme l’ont fait les pays qui se sont développés, notamment en Asie. Et pourquoi pas un nouveau plan Marshall, comme nous aurions du le faire il y a 25 ans avec les pays d’Europe de l’Est au lieu de leur proposer une purge néolibérale violente.