Les raisons du « malaise algérien »

par GHEDIA Aziz
samedi 20 décembre 2008

Sur la page 2 du Quotidien d’Oran du samedi 6 décembre 08, l’article qui a attiré mon attention portait le titre de "Malaise algérien" ; il a attiré mon attention pour deux raisons : D’abord le nom de l’auteur de l’article ne m’était pas inconnu et il m’a rappelé de vieux souvenirs qui remontent au milieu des années 70, années pendant lesquelles nous avions, l’auteur et votre serviteur, fréquenté la même classe au lycée "Thaâlibiya" d’Hussein Dey.

Il m’a rappelé aussi et surtout ces fameuses réflexions politiques auxquelles notre prof de français, une française de la région parisienne si mes souvenirs sont encore bons, nous initiait. Elle nous initiait aux débats politiques parce que tout simplement le contexte de l’époque s’y prêtait bien : en Algérie, on s’apprêtait alors à voter la charte nationale de 1976 et des débats politiques étaient organisés ça et là, pas seulement dans les salons feutrés d’Alger, mais certainement à travers tout le territoire national, même dans les endroits les plus reculés et les plus enclavés des hauts plateaux et de la steppe et cela pour soit disant apporter d’éventuelles modifications à certains articles de cette charte et ainsi l’enrichir avant qu’elle ne soit adoptée par un vote populaire.

Pendant plusieurs jours, la démocratie en Algérie n’était pas un vain mot. Elle régnait en maîtresse des lieux d’Est en Ouest et les gens pouvaient dire tout et n’importe quoi. Tout cela sous l’œil amusé et vigilant de feu Houari Boumedienne qui en tirait une certaine fierté. 


La philosophie de notre professeur de français s’insérait justement dans ce cadre-là : il n’était nullement question pour elle de s’immiscer dans le débat politique algéro algérien mais elle tenait plutôt, par ces discussions hors cours si j’ose dire, à ce que les jeunes têtes brunes que nous étions sachent appréhender la chose politique et tenir un langage politique plus ou moins cohérent. Parmi les élèves qui s’intéressaient à ces joutes oratoires si je peux encore m’exprimer ainsi, deux têtes émergeaient particulièrement du lot ; elles émergeaient du lot par leur clairvoyance, leur esprit de synthèse et leur façon de s’exprimer et donc d’exprimer leurs opinions. Il s’agit de l’auteur de l’article dont il est question ici, Soufiane Djilali, et d’un autre élève dont j’ai oublié le nom. Normal, cela remonte à plus de trente ans maintenant. 

L’UNIQUE, la télévision algérienne, nous montrait d’ailleurs, chaque soir au journal de 20h, des travailleurs sur le lieu même de leur travail ou des paysans dans les fermes agricoles, les uns fiers d’avoir relevé, dans cette charte, une anomalie concernant notre "socialisme spécifique", par exemple, les autres vantant les mérites ou au contraire dénonçant l’insuffisance de tel ou tel article. Particulièrement ceux relatifs au rapport de l’Etat à la religion, par exemple. Cette question, si on fait un petit effort de se rappeler, avait fait couler beaucoup de salive et d’encre, plus que celle relative aux racines historiques des algériens car, en ces années-là, il était encore tabou d’évoquer de façon officielle la composante Amazighe de la personnalité du peuple algérien. Il était de facto interdit à quiconque d’établir une "archéologie mentale à notre société" ; ce qui, entre parenthèse, expliquerait donc selon Djilali tous nos déboires actuels. En tout cas, je me rappelle encore d’une chose : tout le monde à cette occasion-là, lettré ou illettré, s’autoproclamait politicien, juriste, et que sais-je encore ; A Alger, le moins qu’on puisse dire c’est qu’il régnait, du moins pendant cette campagne électorale, une certaine effervescence politique et un certain optimisme en un avenir radieux. Le contenu de la charte nationale avait fait naître d’immenses espoirs au sein de la "paysannerie" et de la "classe prolétarienne". Mais, au fil du temps, tout ceci s’avéra être de la poudre aux yeux.

Ni la charte nationale ni la Constitution, la première de l’Algérie indépendante, votée quelques semaines plus tard, ne changèrent la vie de la masse prolétarienne. Celle-ci continuant de trimer comme par le passé sans pouvoir accéder à une "vie meilleure", slogan de celui qui succédera à feu Houari Boumediene. En Algérie, on change de Constitution pratiquement à chaque changement de président mais, au fond, le régime ne change pas : on prend toujours les mêmes et on recommence ; pourtant cette politique qui consiste à vouloir faire du neuf avec du vieux n’a jamais prouvé son efficacité. Et, de ce fait, elle a été maintes fois dénoncée, notamment par les jeunes qui veulent eux aussi accéder à des postes de responsabilité que ce soit au niveau des institutions politiques ou dans d’autres domaines. Malheureusement, ceux qui se réclament de "la famille révolutionnaire", ceux qui pensent détenir "la légitimité historique" ne l’entendent pas de cette oreille et continuent à s’agripper de toutes leurs forces sur leurs sièges ; Niet, nous disent-ils. Et "ce niet" contribue indiscutablement à entretenir "le malaise" dont parle notre ami au sein d’une jeunesse qui ne sait plus à quel saint se vouer ni vers quel procédé se tourner pour pouvoir prendre ses destinées en main. 

Deuxièmement, et c’est surtout ce point-là qui m’a vraiment incité à écrire cet article, c’est ce que Soufiane Djilali a écrit d’entrée de jeu, si j’ose dire. Je le reprends ici texto : " En ce début du XXIe siècle, la société algérienne est en proie à un malaise profond, sans cause évidente". Evidemment, ça saute aux yeux, c’est ce "sans cause évidente" que je n’ai pas, personnellement, du tout apprécié. Pour la simple et bonne raison qu’il est loin, très loin même, de refléter la réalité. Il n y a pas de malaise sans cause évidente ; bien au contraire, les causes de ce "malaise algérien" sont si nombreuses et si variées qu’il est impossible de les énumérer toutes. Et la question que je me suis tout de suite posé, bien avant d’avoir terminé la lecture de cet article est la suivante : comment se fait-il qu’un esprit aussi brillant que celui de cet ancien camarade de classe n’arrive-t-il pas à voir ou à cerner la multitude de causes qui ont engendré plus qu’un simple malaise au sein de la société algérienne ? 

Il ne faut pas se voiler la face, en Algérie il y a mille et une choses pouvant expliquer ce malaise. Et la responsabilité de ce malaise incombe, nul doute là-dessus, aux hommes politiques qui ont eu, jusqu’au jour d’aujourd’hui, la charge de gouverner ce pays. Pour preuve : les dernières chamailleries par presse interposée entre l’ancien président de la République, Chadli Ben Djedid et l’ex chef de l’état major Khaled Nezar à propos de "qui a fait quoi" pendant la révolution algérienne ne fait que renforcer ce malaise. 

A suivre 


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