Les révolutions arabes : le cas particulier de l’Algérie
par Mohamed BOUHOUCH
mardi 22 mars 2011
Les uns après les autres et semaine après semaine, des régimes arabes s’effondrent et s’effritent sous la ruée de leurs peuples affamés de liberté et décidés plus que jamais à briser ce joug honteux et inacceptable qui les asservit à la volonté et aux caprices d’un führer, despote et dominateur. Le mérite revient aux Tunisiens qui, les premiers, ont décide de secouer les puces. La révolution égyptienne ne tarda pas à suivre. Bien entendu ce ne fut pas facile. Des « présidents-rois », inamovibles étaient prêts à tout entreprendre pour ne pas céder aux pressions populaires et pour perpétuer un pouvoir devenu indispensable à leur existence. Le libyen Mouammar Kadhafi ou encore le yéménite Abdullah Salah offrent les meilleurs exemples de l’obstination de ces hommes politiques qui refusent de comprendre et encore moins d’admettre qu’ils sont là pour un temps et par la volonté de leurs peuples
Si dans les Etats arabes les conjonctures politiques et sociales diffèrent d’un pays à l’autre, il n’en reste pas moins qu’ils ont un point commun à savoir que leurs présidents se considèrent presque tous comme étant des surhommes, des surdoués, bref les seuls citoyens compétents, clairvoyants et aptes à gouverner. Le fait qu’ils sont venus au pouvoir, pour la plupart, à la suite d’un coup d’Etat militaire, semble leur conférer -du moins ils le croient- un certain droit de propriété et de jouissance, une légitimité à vie et une hypothèque sur le territoire et sur les hommes. Certains parmi eux espéraient même léguer le commandement à leurs héritiers : Moubarak à son aîné Jamal et Kadhafi à Sayf al Islam à l’instar du syrien Hafid al Asad à son fils Bachar. On comprend dans ces conditions l’acharnement du président libyen à s’accrocher à son « ROYAUME » et son refus absolu de se démettre de ses fonctions, quitte à mourir et à laisser derrière lui une terre brûlée et des milliers de morts.
En Algérie le problème est beaucoup plus sérieux et plus compliqué encore. Après une colonisation de cent trente ans par la France, le pays accède à l’indépendance. Le FLN parti politique unique et sa branche militaire l’ALN se considèrent comme étant les seuls et uniques artisans de la libération. Le pouvoir algérien pense par conséquent incarner aujourd’hui le peuple entier et notamment le million de moujahidines tombés au champ d’honneur pour la décolonisation du pays. La première formation gouvernementale (15 septembre 1963-19 juin 1965), présidée par Ahmed Ben Bella a connu l’assassinat d’un ministre (Mohamed Khemesti), la destitution de deux autres membres du gouvernement (Ahmed Francis, Mohamed Khobzi) et la démission de Moussa Hassani (Postes et télécommunication) et Mohamed hadj Hamou (Information). Cette période d’hésitation et d’instabilité a pris fin à la suite du coup d’Etat mené par le colonel Houari Boumediene qui devint à partir du 19 juin 1965 et jusqu’à sa mort en 1978 à la fois : président de la République, premier ministre et ministre de la défense.
En réalité il s’agissait tout simplement d’une prise du pouvoir par l’armée algérienne laquelle, depuis cette date, exerce sans partage une dictature absolue sur le pays, avec une domination totale sur toute la vie publique, une autorité directe sur les organes de décision et une mainmise sur les richesses nationales. Après la mort de Boumediene c’est toujours l’armée qui fait et défait les présidents de la république dont la conduite et les décisions restent dictées et contrôlées par la junte militaire, un groupe de généraux de la génération de l’indépendance qui détiennent le pouvoir réel en Algérie. Tous les chefs d’Etat qui se sont succédés depuis 1965 l’ont été avec l’aval de l’armée. Les deux présidents qui ont essayé de s’écarter quelque peu de la ligne de conduite tracée par la junte ont été l’un destitué ou contraint de démissionner (Chadli Bendjedid), et un autre carrément assassiné (Mohamed Boudiaf).
Les quelques partis politiques d’opposition tolérés en Algérie ne le sont que pour le décor d’un régime autocratique qui veut se donner une vision démocratique. En réalité aucune liberté d’action de grande envergure n’est permise pour ces formations politiques qui sont piégées, pénétrées et bâillonnées par les services de sécurité de l’Etat lesquels constituent la grande force et les piliers du gouvernement algérien.
Il est vrai que le paysage politique, ethnique et religieux exige des responsables d’Alger le besoin de s’appuyer sur un tel dispositif de sécurité pour le maintien d’un certain équilibre entre les différentes composantes de cette société algérienne hétérogène : Arabes et Berbères, Touaregs et Kabyles, laïcs et islamistes, modernistes et traditionalistes. Cette junte militaire est peut être aussi pour les Occidentaux un rempart contre les adeptes de la Qaïda. D’ailleurs le président Sarkozy ne s’est pas empêché de dire qu’il vaut mieux un régime à la Bouteflika qu’un gouvernement taliban. Mais Mr le président français oublie que les Islamistes trouvent justement toute leur légitimité et tout l’appui populaire qui leur est accordé dans le fait qu’ils luttent pour débarrasser les Algériens de la dictature d’une poignée de militaires qui les étouffent et piétinent leurs droits les plus élémentaires. Je précise ici qu’il n’est pas dit que les dirigeants de la Qaïda vont être plus démocratiques que les généraux de l’armée algérienne. Mais le dernier mot doit rester au peuple qui a seul le droit de choisir librement ses gouvernants.
C’est cette liberté et ce droit que réclament et exigent aujourd’hui les jeunes algériens qui ont essayé ces derniers jours de braver les forces de l’ordre pour manifester leur colère contre le régime en place. Dans France Observateur du 19/2/11 http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/monde/20110219.OBS8341/la-police-repousse-les-manifestants-dans-un-alger-quadrille.html
Il est écrit :
- Tout le monde réclame une rupture définitive avec le régime.
- La police repousse les manifestants dans un Alger quadrillé.
- Les Algériens ont tenté de réinvestir la rue pour réclamer le changement du système, mais ont été accueillis par un important dispositif policier.
Bien entendu ces manifestants n’appartiennent pas tous à des organisations islamiques. La plupart sont des jeunes universitaires ou des mécontents des conditions de vie qui leur sont imposées. Alors jusqu’à quand cette dictature ? Certes le cas algérien est bien particulier puisqu’il ne s’agit pas d’un homme fort qui détient le pouvoir mais d’une armée bien soudée et super équipée qui tient le pays d’une main de fer. Mais pendant combien de temps encore Mr Bouteflika et ses patrons militaires pourront-ils continuer à voiler la vérité, à étouffer la voix d’un peuple privé de liberté ? Pourquoi ne pas tirer une leçon de ce qui s’est passé en Tunisie, en Egypte et demain en Libye et au Yémen ?