Les Suisses voteront pour retirer aux banques le pouvoir de créer la monnaie

par Laurent Herblay
samedi 2 janvier 2016

C’est un long et passionnant papier de Romaric Godin dans la Tribune qui en rend compte  : les partisans de la monnaie pleine ont remporté une victoire importante en réunissant plus de 100 000 signatures de soutien à leur initiative : une votation devrait avoir lieu sur la question en Suisse.

 
Un débat absolument fondamental
 
Curieusement, c’est un débat qui reste marginal dans la plupart des pays, malgré la grave crise financière de 2008. Heureusement, les choses semblent progresser. En Islande, un parlementaire a remis un rapport au gouvernement il y a quelques mois et maintenant, en Suisse, c’est une initiative qui a rassemblé assez de signatures pour déclencher une votation. C’est un sujet que j’avais détaillé fin 2011, dans une introduction au « 100% monnaie », puis un papier sur « la réforme du 100% monnaie ». Puis, André-Jacques Holbecq, auteur d’un livre de référence sur la dette publique, a écrit trois papiers sur le blog sur le sujet : un premier pour rapporter la tribune de Martin Wolf sur le sujet, un second sur l’avancée du débat en Suisse, puis un troisième de synthèse sur les enjeux de ce débat fondamental.
 
En effet, comme l’avait bien expliqué Pierre-Noël Giraud dans un livre primé, aujourd’hui, l’essentiel de la monnaie n’est pas créé par la banque centrale, mais bien par les banques privées, à des fins mercantiles, jouant un rôle majeur dans la multiplication des bulles et crises financières. Bien sûr, il y a des règles qui encadrent (un peu) cette création, mais ces règles, que les banques « aident » à concevoir, leur laissent une grande latitude d’action, qui a permis à certaines d’avoir un bilan 20 à 30 fois supérieur à leurs fonds propres en 2008. Et il ne faut pas croire que les récentes règles ont véritablement changer la donne tant les lobbys bancaires parviennent à jouer sur les modalités de ces règles. Ainsi, la reprise du contrôle de la création de la monnaie est un débat fondamental pour la démocratie.
 
Un débat qui reste encore difficile

Comme le note Romaric Godin, le débat n’est pas facile. Le puissant lobby bancaire jouera de tout son poids en Suisse pour faire barrage à cette initiative qui leur retirait un pouvoir colossal. De plus, l’histoire monétaire démontre tous les tâtonnements de nos démocraties dans l’encadrement de cette chose si fondamentale à nos sociétés qu’est la monnaie. Au 19ème siècle, les Etats-Unis expérimentèrent « la banque libre », un mot habile pour qualifier une véritable anarchie monétaire porteuse de crises. Aujourd’hui, nos gouvernements trouvent le moyen de laisser faire Bitcoin, une création spéculative qui remet pourtant en cause le monopole monétaire naturel de l’Etat, et l’Etat semble vouloir mettre fin à l’argent liquide et aux chèques, démontrant que notre époque est loin d’avoir fini avec le débat monétaire.

 
Malheureusement, il faut bien reconnaître que le sujet est trop souvent absent des grands médias, et il faut remercier ceux qui, comme la Tribune et Romaric Godin, contribuent à en populariser tous les enjeux. Il faut dire que la question n’est pas simple, et donc très peu propice à un débat au format Twitter. Il peut paraître dangereux ou même aventureux de vouloir remettre à plat un mécanisme économique si fondamental. Les forces du conservatisme seront puissantes dans ce débat. Malgré tout, il faut bien se rendre compte que les réformes marginales ne règlent pas les problèmes mais ne sont souvent que des efforts de communication à des fins purement politiciennes, ou, au mieux, des changements mineurs et souvent si complexes que les banques peuvent à peu près continuer à faire ce qu’elles souhaitent.
 

 

Merci donc à tous ceux qui contribuent à la réflexion sur l’organisation monétaire, et notamment Romaric Godin et la Tribune. Même s’il prend du temps à s’imposer dans le débat public, cela deviendra tôt ou tard un thème absolument majeur de notre vie démocratique.

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