Les torpilles de Fidel Castro

par Pierre R. Chantelois
lundi 28 mai 2007

« Je fais pour le moment ce que je dois faire, en particulier réfléchir et écrire sur des questions qui sont, à mon avis, d’importance certaine. [...] Je dis à tous simplement que je vais mieux, avec un poids stable, autour de 80 kilos », vient de révéler le Lider maximo de la Revolucion cubana. Fidel Castro troque la présidence pour le journalisme citoyen.

« Fidel Castro a repris presque tout le poids qu’il a perdu : environ 18 kg », a précisé M. Perez Roque cité par le quotidien Mexican Reforma. Bien évidemment, faute de le constater de visu, il faudra croire sur parole cette bonne nouvelle du régime cubain. Castro, 80 ans, n’est plus apparu en public depuis juillet dernier après avoir subi une opération intestinale. Entre-temps, pour occuper ses heures libres, Fidel Castro écrit. « Je fais pour le moment ce que je dois faire, en particulier réfléchir et écrire sur des questions qui sont, à mon avis, d’importance certaine ». Il en a le loisir. Le président cubain se consacre depuis bientôt deux mois à d’amples réflexions de nature écologique et politique qu’il communique à la presse officielle et étrangère. Comme l’indique Wikipedia, président à vie, Castro aura connu dix présidents des États-Unis : Eisenhower, Kennedy, Johnson, Nixon, Ford, Carter, Reagan, G.H. Bush, Clinton et G.W. Bush. Ses réflexions sont comme des torpilles à tête chercheuse. Elles semblent atteindre leur but : « Je ne puis ni dire ni critiquer tout ce que je sais, parce que sinon, les relations humaines et internationales seraient impossibles », ajoute le président cubain qui assure vouloir faire « plus bref » dans ses réflexions « pour ne pas voler l’espace de la presse écrite ni celui des informations télévisées ».

George Bush

Faut-il se surprendre que Castro règle en grande partie ses comptes avec l’Amérique ? Comme un long testament, rédigé de son vivant, il aborde beaucoup de sujets, avec plus ou moins de bonheur, selon le point de vue où se place le lecteur. Quelques heures à peine après que le président américain eut signé le projet de loi sur le financement des opérations militaires en Irak sans calendrier de retrait des troupes, bien évidemment, Fidel Castro qualifie, dans son plus récent communiqué - le 12e en quelques semaines, tous publiés à la une de la presse officielle sous la rubrique « Réflexions du Commandant en chef  » et lus à plusieurs reprises à la radio et à la télévision, -, George W. Bush de « personne apocalyptique  ». Pour rappel, la loi de financement de 120 milliards de dollars (89 milliards d’euros) adoptée jeudi dernier par la Chambre des représentants américains par 280 voix pour et 142 contre est censée couvrir les dépenses en Irak jusqu’en septembre, sans fixer de date pour un début de retrait des troupes.

« Bush s’est vanté d’avoir remporté la bataille qui l’opposait à ses opposants du Congrès », écrit Castro dans ce communiqué de quatre pages. « Il dispose de 100 milliards de dollars, tout l’argent dont il a besoin, s’il le souhaite, pour doubler l’envoi de troupes américaines en Irak et continuer le carnage. [...] J’observe ses yeux, son visage et son souci obsessionnel de simuler que tout ce qu’il lit sur les écrans invisibles (les prompteurs) sont des raisonnements spontanés [...] Avec ces armes, l’impérialisme prétend institutionnaliser une tyrannie mondiale ». Poursuivant sa montée aux barricades, Castro écrit : « A qui va-t-on donc faire croire maintenant que les milliers d’armes nucléaires que possèdent les États-Unis, les missiles et les systèmes de direction précis et exacts qu’ils ont mis au point sont destinés à combattre le terrorisme ? Serait-ce par hasard à ça que vont servir les sous-marins perfectionnés que construisent leurs alliés britanniques, capables de faire le tour de la Terre sans remonter à la surface et de reprogrammer la trajectoire de leurs missiles nucléaires en plein vol ? »

Fidel Castro ne donne pas dans la demi-mesure. Dans un article précédent, il accusait le président américain George W. Bush de condamner à une mort prématurée « plus de 3 milliards » d’êtres humains en voulant développer les biocarburants : « l’idée sinistre de convertir les aliments en combustibles, estimait le dictateur cubain, a été définitivement fixée comme ligne économique de la politique étrangère des États-Unis », ce qui est, selon lui, « une tragédie ».

Les biocarburants

Le Lider maximo de la revolucion cubana s’en prend violemment aux plans de développement - américain et brésilien principalement - des biocarburants, qu’il accuse de faire courir des risques de famine dans les pays en développement : « Quand la question de la production de biocarburants à partir d’aliments, qui sont toujours plus chers et plus rares, a été abordée aux Sixièmes Rencontres continentales de La Havane [contre les traités de libre-échange et pour l’intégration des peuples], l’immense majorité des participants a repoussé l’idée avec indignation. Mais il est toutefois incontestable que des personnalités dotées de prestige et d’autorité et agissant de bonne foi ont été gagnées à l’idée que la biomasse de la planète était suffisante pour faire les deux choses à la fois dans un délai relativement bref, sans penser à l’urgence de produire les aliments appelés à servir de matière première au bioéthanol et à l’agrodiesel  ».

Fidel Castro n’hésite pas à pourfendre : « Le capitalisme s’apprête à pratiquer une euthanasie massive des pauvres, et plus particulièrement des pauvres du Sud, parce que c’est là que se trouve la majeure partie des réserves de biomasse de la planète requise pour la fabrication des biocombustibles ». À ses yeux : « La transformation des aliments en énergie constitue un acte monstrueux ».

Pour Fidel Castro : « la lutte contre la faim - environ deux milliards de personnes ont faim dans le monde - serait sérieusement entravée si l’on accroissait les surfaces semées en vue de la production d’agroénergétiques. Les pays où la faim est un fléau généralisé, verront comment leur agriculture sera rapidement reconvertie pour étancher la soif insatiable de produits énergétiques que réclame une civilisation fondée sur leur usage irrationnel. Il ne pourra en résulter qu’un enchérissement des aliments et, donc, une aggravation de la situation sociale des pays du Sud ».

Le Lider maximo n’hésite pas à s’attaquer à un mythe qui, aux yeux du monde, justifierait la production de ces agroénergétiques : « Il est faux qu’ils ne polluent pas. S’il est vrai que l’éthanol émet moins de carbone, il n’en reste pas moins que sa fabrication pollue le sol et l’eau par des nitrates, des herbicides, des pesticides et d’autres déchets, et l’air par des aldéhydes et des alcools cancérigènes. Supposer qu’il est un carburant « vert et propre » est un mensonge ».

Les traités de libre-échange

Fidel Castro s’oppose avec fermeté aux divers traités de libre-échange qui se signeraient à l’insu des populations et en dehors des cadres légaux des pays concernés : « Les traités de libre-échange doivent aboutir un jour ou l’autre devant les congrès ou parlements qui doivent les ratifier. Or, le fait est que les congrès, et même celui de l’Empire, ont de plus en plus de mal à les ratifier. L’astuce est donc de dire que comme il ne s’agit pas de traités internationaux, ils n’ont pas à être ratifiés. Mais comme il s’agit bel et bien de questions qui bouleversent le cadre légal dans nos pays, on les présente par petits morceaux : telle modification d’une loi à un moment donné, telle autre à un autre moment... On met en œuvre tel ou tel décret du pouvoir exécutif, on modifie les normes opérationnelles, les règles de fonctionnement standard, mais on ne présente jamais l’ensemble complet. [...] De toute façon, bien qu’on les négocie dans notre dos, et en général dans le dos de tous les peuples, les traités de libre-échange doivent se traduire un jour ou l’autre dans un texte écrit à présenter devant les congrès. C’est alors que nous en connaissons la teneur ».

Après Georges W. Bush, il était prévisible que le Lider maximo s’en prenne à ce qu’il appelle l’Empire : « L’essentiel de cette lutte concerne les traités de libre-échange, notamment ceux avec les États-Unis, qui ont été approuvés au Guatemala, au Honduras, en El Salvador et au Nicaragua, à feu et à sang, et ce n’est pas une expression rhétorique. Au Guatemala, des militants ont été assassinés quand ils s’y opposaient. Cette lutte nous a permis de constituer un axe d’articulation et de mobilisation du plus vaste mouvement populaire unitaire dans la région. Au Honduras, les députés ont abandonné le Parlement, brisant le cadre minimal de légalité constitutionnelle. [...] Un an après, les traités de libre-échange n’ont apporté à aucun pays centraméricain ni plus d’emplois, ni plus d’investissements, ni de meilleures conditions de la balance commerciale. Nous lançons aujourd’hui dans toute la région le mot d’ordre de réforme agraire, de souveraineté et sécurité alimentaires, en tant qu’axe central pour nos pays éminemment agricoles ».

La Vieille Albion

Fidel Castro, pour son neuvième commentaire, ironise sur la nouvelle génération de sous-marins nucléaires britanniques, qui « couleront ce qui reste de prestige » à la Grande-Bretagne en réalisant « l’holocauste de l’espèce » humaine. Dans cet article, Fidel Castro ironise en reprenant à son compte un article d’El Mercurio, du Chili, qui déploie la nouvelle en manchette : « Les dépêches de presse nous l’ont annoncé. Il est de la classe Astute, le premier en chantier en Grande-Bretagne depuis plus de vingt ans ».

Décrivant en long et en large les particularités du nouveau sous-marin britannique (« On dirait un animal maléfique »), le Lider maximo n’hésite pas à lancer quelques torpilles de son cru contre ce projet : « Bel exploit de la Grande-Bretagne ! Le peuple britannique, intelligent et tenace, n’en tirera sûrement aucune fierté. Le plus affligeant, c’est qu’avec une somme pareille on pourrait former 75 000 médecins en mesure de soigner 150 millions de personnes, à supposer que le coût de la formation d’un médecin au Royaume-Uni soit le tiers de ce qu’elle vaut aux États-Unis. Ou alors on pourrait bâtir 3 000 polycliniques dotées d’équipements de pointe, soit dix fois plus que celles que compte notre pays ».

Pour bien appuyer sa critique, Fidel Castro reprend une dépêche de l’Associated Press : « La compagnie d’armements BAE Systems construira deux autres sous-marins du même type », informe l’Associated Press. Le coût total des trois submersibles, selon des calculs qui seront vraisemblablement dépassés, sera de 7,5 milliards de dollars. [...] Inclinons-nous donc, pleins d’émotion, devant ce sous-marin britannique dont nous parlent les dépêches de presse, qui nous éclairent, entre autres choses, au sujet des armes perfectionnées grâce auxquelles on prétend maintenir l’ordre insoutenable mis en place par le système impérial des États-Unis ».

Fidèle à lui-même, le Lider maximo n’hésite pas à se citer en exemple : « Cuba, qui s’est préoccupée dès la victoire de la Révolution de former des médecins, des enseignants et d’autres professions, compte aujourd’hui, pour ses moins de douze millions d’habitants, plus de spécialistes en médecine générale intégrale que toute l’Afrique subsaharienne ne compte de médecins avec ses plus de 700 millions d’habitants ».

Dernière torpille de Fidel Castro : « Churchill avait lancé le cri de : "Coulez le Bismarck !" Celui de Blair est : "Coulez ce qu’il reste du prestige de la Grande-Bretagne !" »

L’effet Michael Moore

Moore a, dans le cadre de son film Sicko, emmené des malades américains tester l’excellence des soins gratuits à Cuba, faisant fi de l’embargo instauré par le gouvernement contre le pays de Fidel Castro. « Je ne prends pas la menace de prison à la légère », a déclaré le cinéaste. De sérieux ennuis attendent le réalisateur de Fahrenheit 11/09 à son retour aux États-Unis. Refoulé par les autorités militaires de Guantanamo, le groupe se rend à La Havane, où les citoyens sont pris en charge gratuitement par un système de santé cinq étoiles. Pas d’attente, des équipements « dernier cri », des médicaments qui ne coûtent presque rien, les nouveaux amis de Moore croient rêver, eux qui se battent depuis des années avec leurs compagnies d’assurance médicale.

Avec Sicko, son nouveau « J’accuse  » consacré au système de santé américain, Michael Moore s’emploie à démontrer par A+ B, en voyageant au Canada, en France, en Grande-Bretagne et à Cuba pour des séquences d’anthologie, que le système de santé américain est le pire du monde occidental. « Mon film est un appel à l’action. Je ne veux pas attendre vingt ans pour avoir une couverture médicale universelle aux États-Unis », déclare Michael Moore. Un bébé qui naît au Salvador a, selon Michael Moore, aujourd’hui, davantage de chances de survie qu’un bébé qui voit le jour sur le sol des États-Unis, et que l’espérance de vie des Canadiens est plus élevée que celle des Américains. C’est ainsi également qu’un même médicament peut coûter 5 cents à Cuba et 120 dollars aux États-Unis, information qui apparaît lors de l’épatant chapitre consacré à Cuba et à la base de Guantanamo, unique parcelle américaine où le système de santé est libre, solidaire et gratuit pour les prisonniers comme pour leurs gardiens. Il est évidemment obligé de renoncer au projet de faire soigner ses amis à Guantanamo, mais pas à celui d’aller faire examiner sa petite troupe dans les hôpitaux cubains avec des résultats présentés comme remarquables.

« Où est passée notre âme ? »

Un moment émouvant est celui où des « soldats du feu » cubains rendent hommage à trois de leurs homologues américains, atteints de graves troubles respiratoires en raison du temps qu’ils ont passé dans les décombres du World Trade Center, à la recherche de survivants.

Ce qui ne doit pas déplaire au Lider maximo. Il vient de publier un troisième article livré à la presse en trois jours, et le 11e depuis le 29 mars. Sa communication est consacrée à sa santé qui ne vient qu’à la fin comme pour « ouvrir une parenthèse qui concerne ma personne », dit-il, en s’excusant (Cyberpresse). [...] « Aujourd’hui, je reçois par voie orale tout ce qu’exige mon rétablissement. Il n’y a pas pire danger que ceux liés à l’âge et à une santé dont j’ai abusé dans les temps hasardeux qui m’ont été donnés de vivre », poursuit le président cubain », révèle-t-il simplement.

Pierre R.


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