Les tracas d’Aristide seront-ils éternels en Haïti ?
par SylvainD
jeudi 23 septembre 2010
"Les gens riches de mon pays, un infime pourcentage de la population, sont assis devant une vaste table débordant de bonne nourriture, tandis que le reste de cette population, donc une majorité d’haïtiens, sont entassés sous cette table, dans la poussière, le dos courbé et affamés. Un jour ce peuple se lèvera et demandera justice."
Nous étions au tout début de l’année 1990 et cette déclaration était faite par le prêtre haïtien Jean-Bertrand Aristide, qui allait devenir président de ce bout d’île des Caraïbes quelques mois plus tard.
Dans un pays durement éprouvé par trente années de Duvaliérisme et où 50% de la richesse et 75% des terres arables appartenaient à 1% de la population, il était à prévoir que le discours du prêtre serait entendu. Et nombreux voulurent croire qu’il deviendrait réalité. Mais il était aussi évident que certains ne tolèreraient pas longtemps cette volonté, sincère ou non, d’aider la majorité des haïtiens, donc près de dix millions de pauvres.
Début des tracas d’Aristide
Inévitablement sept mois après son élection, Aristide était débarqué par l’élite haïtienne, exaspérée apparemment par son trop-plein d’humanité, et remplacé par un militaire, le Lieutenant Général Raoul Cédras. Les Etats-Unis emmenaient le président haïtien en exil dans leur beau pays, dirigé à l’époque par Georges Bush père. Il parait que ce serait justement les Etats-Unis qui auraient téléguidé toute l’affaire. Il parait…
Naturellement on pourrait à juste titre s’étonner qu’un si petit pays soit une préoccupation pour les Etats-Unis. Mais ce serait un peu vite oublié que le 1% de la population haïtienne très riche avait sans doute des liens de "sang" et d’intérêts au Nord, et surtout qu’un début d’émancipation en faveur de miséreux aurait pu donner des idées à d’autres pays. Et cela, quelque soit la longitude, était impensable.
Ce qui s’était passé quelques années plus tôt au Burkina Faso[2], et dont Paris était l’instigateur, avait d’ailleurs d’étranges ressemblances avec ce putsch, si l’on veut bien admettre que son organisateur était à Washington. Et dans le cas africain, il est n’est pas surprenant de constater que le bénéficiaire de cette expédition sanglante est depuis tenu en haute considération par Paris, tandis qu’à Washington, on ne se fait, même officiellement, aucune illusion sur le personnage. A chacun ses enfants turbulents et comme des presbytes, nos pays riches ne voient bien que ce qui est loin. Le début de la vieillesse sans doute.
Retour vers Haïti et Aristide
En 1994, après son éloignement forcé aux Etats-Unis, Aristide était remis dans son fauteuil par ceux-là même qui l’en avaient retiré. Ou presque. Bill Clinton avait remplacé Bush père. Mais désormais il ne devait plus être question d’avancées sociales en Haïti. Contraintes ou convictions, Aristide se convertissait peu à peu au libéralisme, ce qui lui permit au moins de finir son mandat sans coup de pétoires.
René Préval lui succédait en 1996. Dès lors et sans doute pour le plus grand bonheur de certains, les rares avancées sociales qu’avaient amenées Aristide et qui étaient encore appliquées furent supprimées.
Second épisode pour Aristide : En 2001, il revenait au pouvoir mais à la faveur d’élections boudées par les haïtiens, qui ne se déplacèrent plus avec la ferveur des années 90. Les fraudes électorales survenues lors des élections législatives quelques mois auparavant avaient laissé des traces.
Mais quoiqu’il en soit de la politique d’Aristide, elle ne plaisait toujours pas, et un beau matin de février 2004 il était de nouveau débarqué : les Etats-Unis lui payait un allé simple pour la République Centrafricaine. Cette fois la France participait aux frais de voyage. Aristide était alors devenu un horrible dictateur aux yeux de la communauté internationale.
Drôle d’ironie tout de même : Jean-Bertrand Aristide pouvait dès lors s’honorer d’une prise de conscience occidentale envers sa personne et sa supposée cruauté, que près de trente années de dictature sanglante des Duvalier[3] et des tontons macoutes n’avaient jamais provoqué, si ce n’est à la fin du règne du fils de famille. Et encore. Comment, après cela, prendre au sérieux les convictions de nos grandes démocraties ?
Les élections de novembre 2010 vont-elles changer la donne ?
Le tremblement de terre[4] qui a dévasté Port-au-Prince, la capitale, le 12 janvier dernier, n’a pas modifié grand-chose dans la soumission de ce confetti de république. Au contraire. Et le leadership que se sont octroyés les Etats-Unis après cette catastrophe pourrait bien n’être que la continuation de cet assujettissement.
Toutefois l’occupation US du terrain après ce séisme (de nombreux marines sont d’ailleurs toujours installés sur l’île pour le maintien de l’ordre et l’aide humanitaire), quoique ressentie brutalement par la population, peut être interprétée de deux façons radicalement différentes.
Soit les Etats-Unis se servent de leur position actuelle pour imposer le pouvoir qu’ils décideront lors des prochaines élections présidentielles, et bien sûr la politique qui leur conviendra. A ce jeu, le peuple haïtien sera très certainement perdant.
Deux siècles d’histoires états-uniennes dans cette région du monde (l’indépendance d’Haïti date de 1804), dont les péripéties d’Aristide n’en sont qu’un épisode, ne laissent que très peu d’incertitudes et plaident en faveur de cette alternative évidemment.
Mais il existe une autre voie et donc une autre option : Et si cette installation impatiente d’après-cataclysme des Etats-Unis ne signifiait rien de plus que l’urgence d’une aide humanitaire efficace ? Pourquoi pas après tout ? Obama, à la différence de ses prédécesseurs, peut-il changer la donne et couper court à la fatalité ? En a-t-il l’envie et les moyens ? En tout cas et comme on peut le voir sur la photo qui illustre cet article, le peuple haïtien en rêve déjà. Je ne donnerai évidemment pas mon choix. Mais si je veux reprendre le parallèle avec la France, dont les promesses répétées de rompre avec ses politiques de voyou en Afrique ne sont que des fables[5], il reste à espérer qu’Obama saura être original.
SylvainD.
[2] Paris, aidé de la Côte d’Ivoire d’Houphouët Boigny notamment, s’est "débarrassé" en 1987 du président Thomas Sankara, qui avait la manie de vouloir un peu trop s’occuper de ses compatriotes et de son pays. Blaise Compaoré, qui a mené ce putsch sanglant et fatal, est maintenant le chef d’Etat de ce pays sahélien. Cette version est bien entendu contestée par la France.
Blaise Compaoré est depuis considéré par Paris comme un grand démocrate et il joue le rôle de médiateur dans tous les conflits qui surgissent ça et là en Afrique de l’Ouest. Etonnant non ?
[3] Depuis sa fuite d’Haïti en 1986, le fils de cette triste famille, baby Doc, coule des jours heureux sur la Côte d’Azur.
[4] Voir Repiblick d’Ayiti.
[5] Voir par exemple les incursions actuelles de l’armée française au Mali, sans même en informer Bamako... vives les colonies…