Les Tunisiens ont déjà gagné

par Peyiba
mardi 25 octobre 2011

Quel que soit le résultat des élections pour l'Assemblée constituante tunisienne, quel que soit le déroulement travaux de cette future Assemblée qui aura un an pour élaborer le texte fondateur de la nouvelle république, quel que soit le score obtenu par le parti Ennahdha, les Tunisiens ont déjà gagné. C'est le constat dressé par de nombreux spécialistes, dont Lotfi Bel Hadj hier dans le Journal du Dimanche.

"La Tunisie est dans cette période intense mais éphémère où elle peut décréter le futur qu’elle se choisit" affirme l'entrepreneur tunisien, et c'est déjà une victoire sur les années Ben Ali, synonymes de dictature et de muselage de l'opinion. "La Tunisie va décider librement d’un destin nouveau qu’elle a commencé à imaginer et à rêver aux premières aubes du soulèvement de janvier dernier". Cette liberté conquise, nul ne peut la retirer à présent.

Les électeurs se sont massivement rendus aux urnes lors de ce premier scrutin réellement pluraliste, démocratique et transparent. Le taux de participation a dépassé 90% dans la plupart des bureaux de vote.

Bien sûr, les médias, notamment les médias français, se sont surtout focalisés sur la percée d'Ennahdha, le parti islamique. Les rumeurs lui donnent 60 sièges sur 217 au sein de l'Assemblée constituante, soit moins de 30%. Tous ceux qui annoncent un basculement de la Tunisie vers l'islamisme se trompent. Les différents partis politiques vont apprendre à vivre et travailler ensemble. 

"Cette union survivra t-elle à la révolution ? Oui, parce que nous n’avons pas le choix. Depuis des mois, la bataille fait rage entre les laïcs et les islamistes, entre les opposants historiques et la jeunesse cyber-politisée. C’est normal : nous faisons l’apprentissage du désaccord, un mot auparavant interdit et dont nous avions une peur irraisonnée. L’échange, même vif, est nécessaire, il est salvateur, il est fécond." explique Lotfi Bel Hadj.

On se dirige donc vers une recomposition de l'échiquier politique tunisien. Ennahdha, en position de force pour occuper une place centrale dans la vie politique tunisienne, n’obtiendra cependant pas de majorité absolue nécessaire afin de dicter sa loi. Ce parti, qui bénéficie d’une assise populaire certaine, pourrait progressivement devenir l’équivalent tunisien de l’AKP turc, à savoir un parti très conservateur mais ni révolutionnaire, ni islamiste, au sein « libyen » du terme, pourrait-on dire au vu de l’évolution de la situation à Tripoli. Les forces libérales, progressistes et de gauche, comme Ettakatol, qui a fait une magnifique campagne, le Congrès pour la République (CPR), ou encore le Parti Démocratique Progressiste (PDP), par exemple, seront là pour servir de contrepoids s’ils arrivent à mettre fin à leurs querelles afin de constituer la plus large coalition possible.

La stratégie anti-Ennahda de certains partis a échoué. Le PDP, le Pôle Démocratique Moderniste (PDM) et l’Union Patriotique Libre (UPL) ont tenté en vain d’agiter l’épouvantail islamiste, pendant qu’Ennahdha multipliait les gages de bonne conduite, montrant patte blanche et multipliant les engagements en faveur de la consolidation du modèle socio-économique tunisien (statut de la femme, tourisme, libéralisme…). Ces mouvements devraient comprendre que la diabolisation ne marche pas et que les partis de gauche peuvent remporter davantage de voix que prévus en se focalisant sur leur programme, l’exemple d’Ettakatol le prouve.

Comme le dit Lotfi Bel Hadj, « il faut oublier ce langage qui divise. Les hommes et les femmes qui auront la charge de dessiner l’organisation politique du pays seront tous gagnants, parce qu’ils seront tous gardiens et gardiennes de la valeur cardinale pour laquelle les Tunisiens se sont révolté : la liberté. ». La Tunisie vient de réaliser un magnifique tour de force qui mérite d’être salué. En quelques mois, ce pays a mis un terme au régime de Ben Ali qui régentait toute la société. Ensuite, les tunisiens ont mis en place un processus institutionnel de transition qui devrait faire école dans le monde arabe. Dans le même temps, le pays a aussi encaissé un choc économique violent, avec notamment une baisse supérieure à 50% des recettes touristiques ainsi qu’un décrochage des exportations à destination de l’Europe, tout en accueillant des dizaines de milliers de réfugiés libyens quand, en Europe, certains dirigeants démagogues protestaient contre l’arrivée de quelques centaines de tunisiens dans l’île de Lampedusa.

Au lieu d’entraîner le chaos comme en Egypte, toutes ces épreuves ont fortement unis les tunisiens. Le pays offre maintenant le premier exemple concluant et significatif d’une transition démocrate dans le monde arabe et c’est déjà une victoire pour un peuple qui a eu le courage de mettre fin de lui-même et sans intervention de l’OTAN à un régime dictatorial.


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