Liban : histoire d’une nation qui n’existait pas
par A.
mardi 19 mars 2013
Le Liban. Un pays aux charmes indéniables, ou plutôt dans l’imaginaire français un pays aux contradictions culturelles démesurées.
Ce pays, considéré jusqu’à récemment comme une exception au monde arabe, sombre de nouveau dans une dégringolade vers la violence et la guerre civile. La cause ? La guerre civile qui fait rage en Syrie. Cette dernière est alimentée aussi par des tensions communautaires qui risquent de déborder sur le Liban.
Mais loin de la raison publiquement invoquée, ou qui sera invoquée à la fin de la future guerre du Liban, la véritable source de la déstabilisation chronique du pays est à chercher ailleurs.
Le Liban, un petit pays de la taille de la région Nord-Pas-de-Calais (en superficie et en nombre d’habitants), n’est pas, en réalité, une nation unie. Certes, c’est un pays avec des institutions qui gouvernent l’ensemble du territoire national. Certes aussi c’est un pays avec une seule langue officielle, une constitution qui date de mai 1926, un gouvernement et un parlement qui représentent l’ensemble des communautés libanaises, et une armée qui protège le pays. Tout cela est vrai, mais cela n’empêche pas le Liban de sombrer dans une guerre civile tous les 15-20 ans. Najah Wakim, un ancien député et président d’un petit parti de gauche disait : « Le Liban n’a jamais connu de paix civile dans toute son histoire, tous les 15-20 ans, une guerre civile éclate ».
Une des raisons concevable à l’instabilité du pays, et que peu de Libanais sont prêts à en admettre qu’elle pourrait être une source de cette faillite, est la construction même du Liban.
Au début du 20ème siècle, à l’aube de la fin des empires supranationaux, le monde arabe ainsi que l’Europe connurent des surenchères nationalistes. Ces dernières ont abouti à la montée du fascisme en Europe, mais aussi aux États-nations : une réintroduction des concepts de l’antiquité que les peuples devraient vivre dans des pays séparés. L’idée est certes attirante, mais les conséquences étaient souvent des guerres interminables.
C’est dans ce contexte-là que le Liban a été construit. Mais avec une exception notable : une fusion forcée de ces mini États-nations dans un seul nouveau pays, le Grand Liban.
Plusieurs peuples, avec des cultures différentes, un mode de vie différent, et des aspirations différentes ont été contraints de partager ensemble le pouvoir d’un nouveau pays. Peu importe que les musulmans ne voulaient pays du Grand Liban et préféraient l’attachement à la Syrie. Peu importe que les chrétiens ne voulaient pas agrandir le pays à la région du sud, majoritairement chiite. Le Liban, ce nouveau pays, était destiné à être le laboratoire de la tolérance des communautés d’Orient. Non pas une tolérance par la force d’une majorité (comme en Égypte ou dans l’ancien Empire Ottoman), mais une tolérance choisie par les communautés libanaises.
Nous connaissons le résultat de cette expérience libanaise. Depuis l’indépendance, trois conflits majeurs ont secoué le Liban : un conflit civil en 1958 (plus de mille morts), une longue guerre civile de 15 ans en 1975 (plus de 120 milles morts), et récemment un deuxième conflit civil en 2007-2008 (plusieurs centaines de morts). Mais aussi, un pays en instabilité permanente, un état en faillite, et une émigration continue depuis 50 ans (dont un de ses effets est qu’il y a plus de personnes d’origine libanaise résidentes à l’extérieure du pays qu’au Liban).
Les raisons de cet échec sont multiples, nous notons quelques-unes ici :
- Le Liban est certes un pays, mais peu de choses unissent les communautés libanaises. Le pays ressemble à un énorme ghetto, où les communautés se côtoient, mais ne se mélangent pas. Dernière folie en date ? Une proposition de loi électorale où chaque personne n'a le droit de voter que pour élire les députés appartenant à sa propre communauté.
- Un pays unique, des lois uniques ? Pas au Liban. Chaque communauté a ses propres lois de mariage, divorce, garde d’enfants, etc. Chacune a aussi des tribunaux communautaires distincts qui règlent les différends qui y sont liés.
- Aucune politique d’intégration entre les différentes communautés n’a été élaborée depuis l’indépendance. Pourtant des points communs culturels existent : même langue, l’arabe, même cuisine, même culture économique (le commerce). Et à l’indépendance, les différences dans le mode de vie et les visions culturelles étaient plus étroites qu’aujourd’hui.
- Une partition du pouvoir politique entre les communautés avec un système de quotas. Ce système, sensé représenté les communautés afin qu’une communauté ne gouverne pas une autre, s’est transformé en une lutte acharnée pour le renforcement du pouvoir de chaque communauté. A l’aube de la guerre de 1975, les politiques musulmans demandaient plus d’équités dans la représentation politique de leur communauté, le parlement étant constitué de 54 chrétiens et de 45 musulmans. 15 ans de guerre civile après, le nouveau parlement contient désormais 64 députés pour chaque communauté.
Le Liban pouvait être un exemple réussi de tolérance et de vivre ensemble entre communautés différentes. Ce pays avait, à l’indépendance, tous les ingrédients d’un succès éblouissant. Mais ces ingrédients demandaient une délicatesse, et surtout une bonne volonté pour construire un pays stable, tolérant, et avec une identité commune.
L’échec de la construction du Liban ne devrait pas être une cause pour la fin du rêve du vivre ensemble. Au contraire, l’alternative (les États-nations) n’est pas préférable, et notamment dans des régions où l’isolationnisme ne conduit que vers l’effritement et l’éclatement sanglant.
C'est aussi une raison pour sauvegarder le système laïque français, et le défendre contre tout effort d'inclusion de quotas ou de notions, voire terminologies, communautaires dans l'espace politique et public français.
Cet échec libanais devrait donner plus de motivation vers la construction de pays en Orient accueillant à toutes leurs communautés. Des états laïques, modernes. Des pays où une loi commune, civile, est appliquée sur l’ensemble du territoire et de la population. En d’autres termes, faire tout le contraire de ce qui a été fait au Liban depuis 100 ans.