Libye : Haftar ou pas Haftar
par Alain Roumestand
samedi 6 avril 2019
Etat des lieux
Depuis la mort de Muammar Kadhafi le dirigeant de la "Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste", après 42 ans de pouvoir, en octobre 2011, la Libye (superficie de plus de 3 fois la France) est dans une crise générale qui dure depuis 8 ans.
Des milices ont pris pied dans différentes villes, menaçant les populations et le pouvoir qui remplace Kadhafi, le bédouin devenu colonel.
L'état libyen est coupé en 2 avec des rivalités ouest-est. C'est une véritable déliquescence généralisée.
Actuellement la situation de la Libye peut se résumer en 8 points :
1) l'absence d'un état capable de réguler et aussi de lutter contre la violence avec les multiples attentats contre les institutions, les personnalités de la société civile, les intellectuels, les militaires, avec les réglements de compte, les enlèvements, les mises au secret, les assassinats de policiers. A plusieurs reprises des associations civiles ont manifestées contre l'insécurité totale et les violences perpétuelles : Forum national de l'Etat civil, Organisation libyenne pour l'action nationale, Société pour la protection de la patrie.
2) l'existence de 2 pôles politiques, géographiques, l'un à l'ouest, avec le gouvernement d'union nationale à Tripoli et l'autre à l'est et au sud ouest avec l'Armée nationale libyenne et le parlement de Tobrouk. Les 2 pôles se déclarant légitimes.
3) la prolifération des milices le plus souvent antagonistes qui règnent en maitresses sur les localités au gré de leur obédiences.
4) des interventions étrangères en tous sens, Algérie, Tunisie, Egypte, Emirats, Qatar, Europe, ONU, Russie, USA.
5) des groupes djihadistes bien implantés, territorialisés, porteurs de la charia et pour certains de la création d'un califat, soumis à l'état islamique global. Des conseils locaux de notables peuvent s'associer aux organisations djihadistes. On notera aussi la présence d'Al Qaïda au Maghreb islamique AQMI depuis le Mali, de Boko Haram depuis le Nigéria, des mouvements armés du nord du Tchad, de l'Armée de libération du Soudan ALS.
6) une logique tribale qu'il faut toujours garder à l'esprit si l'on veut comprendre le pays. Sous le roi Idriss, avant l'arrivée au pouvoir de Muammar Kadhafi, on comptait plus de 150 tribus et clans. Sous Kadhafi 11 élections ont eu lieu sur la base tribale avec des députés qui ne défendent pas la communauté nationale. Kadhafi a utilisé les tribus pour identifier les besoins des populations, diffuser ses messages et injonctions révolutionnaires, veiller au développement de la production, donner des racines à la jeunesse bien ancrée dans leurs tribus respectives.
7) le pétrole et une production pétrolière d'importance mondiale, que se dispute les chefs militaires et politiques, les milices, les clans et les aventuriers.
8) dans le no man's land de l'immense sud du pays une immigration clandestine intense, venue d'Afrique noire, encouragée par les mafias locales, qui continue à perturber gravement l'Europe notamment du sud, comme on le sait.
Et on ne parlera pas du chaos économique et des soubresauts de la production.
Un homme semble émerger au milieu de ce chaos, le maréchal Khalifa Haftar, s'appuyant sur les forces de défense de Benghazi berceau de la révolution, à l'est, avec leurs capacités organisationnelles depuis la lutte contre le régime de Kadhafi. Haftar peut compter sur le soutien d'une population qui n'en peut plus des attentats, de la violence, des luttes de clans,des risques pour sa vie quotidienne, de la désorganisation ambiante.Il a rallié les Emirats arabes unis, l'Egypte, la Jordanie.
Haftar a été un des "officiers libres" qui ont participé au coup d'état de Kadhafi en 1969, qui a renversé le roi Idriss. Dans la guerre contre le Tchad en 1987 il a été fait prisonnier par les troupes d'Issène Habré. Libéré, il fait défection au régime de Kadhafi ; il ne rentre en Libye qu'en 2011 au moment de la révolution et il commande l'armée de terre. En 2013 il est mis à la retraite, victime des luttes internes pour le contrôle du pouvoir. Et en 2014 il réapparait avec la volonté de reconstituer une armée nationale libyenne avec, d'après ses dires, une seule idée en tête : "pour qu'il y ait démocratie, il faut qu'il y ait paix sociale, sécurité, réconciliation nationale. L'armée professionnelle doit rétablir la sécurité du pays. L'ordre public doit permettre le retour des services de sécurité et de justice dans toute la Libye. La démocratie pourra alors s'appliquer".
La communauté internationale semble lui faire confiance. Elle souhaite tenter la reconstruction du pays avec de vraies élections présidentielles et législatives, en s'appuyant sur le maréchal Haftar et surtout sur une conférence nationale inclusive avec toutes les parties de la composante libyenne, sous l'égide de l'ONU, qui doit déboucher sur une vraie politique de réconciliation.
Aux dernières nouvelles le maréchal Haftar a lancé ses troupes de l'est, vers la capitale Tripoli. Ce que récuse cette même communauté internationale.
On se rappellera pour finir ce tour d'horizon de la situation libyenne que la chute de Muammar Kadhafi a été précipitée par une coalition franco-anglaise, sous l'impulsion du président Nicolas Sarkozy et du premier ministre anglais David Cameron, sous l'égide de l'ONU, de l'OTAN, de la Ligue Arabe, alors que le colonel Kadhafi noyait dans le sang la rébellion contre son régime, dans l'est du pays. François Hollande pour sa part stoppa toutes les actions enclenchées par la France pour accompagner la Libye dans sa transition démocratique, suite à la mort de Kadhafi et au changement de régime. Les mesures économiques pour assurer une transition efficace furent également abandonnées.